Six toiles à la loupe

Guy Gilsoul Journaliste

En comparant les dessins et croquis préparatoires aux tableaux finis, le visiteur entre par une porte dérobée dans l’univers de Paul Delvaux (1897-1994).

Paul Delvaux, les chemins de la création, Musée communal, 71, rue Van Volsem, à Ixelles. Jusqu’au 20 janvier. www.museedixelles.be

Profitant du dépôt temporaire fait au musée en 2009 par un collectionneur, le musée d’Ixelles confronte une cinquantaine de dessins et croquis préparatoires de Paul Delvaux à cinq de ses toiles réalisées entre 1920 et 1933, la sixième, La Crucifixion, de 1954, relevant seule de la période dite surréaliste. Si certaines feuilles proposent des études quasi documentaires (une approche très réaliste des squelettes, par exemple), d’autres traduisent le cheminement d’une pensée (ou d’une rêverie) qui ose puis se désiste, s’inspire de certains peintres anciens, y renonce et s’approche ainsi de l’état final de l’image, le tableau.

Un exemple

La Vénus endormie (1933) précède de quelques mois la découverte de l’£uvre de De Chirico qui encouragera Delvaux à suivre la voie des rêves. Si le thème, une femme nue allongée, est une constante de l’histoire de la peinture depuis la Renaissance, celle-ci est directement inspirée par la visite de la baraque Spitzner, une des attractions les plus spectaculaires (pièces anatomiques, maladies vénériennes…) de la Foire du Midi. Du dessin au tableau, l’£uvre gagne en étrangeté. En fait, Delvaux pénètre alors dans un monde, le sien, pris en étau entre désir et effroi. Comparons.

Le fond. Sur le dessin, le fond est divisé en deux parties, sombre à gauche, plus clair à droite comme le fit Titien dans La Vénus d’Urbino ou encore Ingres que Delvaux admire. En pratiquant de la sorte, la profondeur est double : proche d’un côté, plus aérée de l’autre. Cela amène une respiration. Mais une respiration contrariée par la position du modèle, inversée par rapport à la tradition classique.

La peinture modifie fondamentalement l’atmosphère de la scène en plaçant un véritable mur de personnages qui induit le malaise. Cette solution relève de l’expressionnisme dont, à l’époque du tableau, Delvaux n’est pas sorti.

La figure. Dans le dessin, le modèle, le regard dans le vide, est sur le dos mais légèrement tourné vers nous, ce qui, d’une certaine manière, le protège du public voyeur. Dans la peinture, le nu s’est raidi, bien à plat et les yeux fermés. La nudité est offerte en pâture mais absente au monde. Le côté suspendu et immobile (un procédé surréaliste) est encore – quoiqu’un peu maladroitement -accentué par la présence de toutes les chaussures sous le lit. En fait, ce nu s’inspire davantage du modèle de cire de la baraque foraine dont, grâce à un mécanisme silencieux, la poitrine se soulevait selon un rythme régulier. A un détail immense près : Delvaux l’a déshabillée.

Guy Gilsoul

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