La couverture panoramique du 6e volume de l'intégrale, dessinée par Jacques de Loustal. © DR

Simenon, classique et vivant

L’auteur francophone le plus lu et traduit après Jules Verne et Alexandre Dumas disparaissait il y a trente ans. Tout le contraire de son oeuvre, plus vivante que jamais. C’est l’avis de son fils et de son meilleur illustrateur.

 » Chez Simenon, tout est bon « , nous dit d’entrée le romancier et biographe Pierre Assouline dans la préface qui ouvre l’imposante et nouvelle intégrale consacrée aux 75 romans (et 28 nouvelles) que Georges Simenon a, lui, dédiés au commissaire Maigret entre 1931 et 1972. Une petite partie de son improbable production, forte de 193 romans signés de son nom, mais aussi de 176 sous pseudonymes divers et de 158 nouvelles. Imposante donc, et pourtant sans grand-chose à en jeter :  » Le génie de Simenon, c’est qu’il vous parle de vous sans jamais vous interpeller « , poursuit celui qui a tout raconté de la vie du Liégeois dans une biographie qui fait toujours référence.  » Il vous fait directement accéder à l’universel. Pas de gras chez lui. On est tout de suite à l’os. On devrait ceindre son oeuvre d’un bandeau intitulé « La condition humaine » et tant pis si c’est déjà pris.  »

Rien qu’au cinéma et à la télévision, on en est à 187 adaptations…

Autre certitude : l’oeuvre du Liégeois Georges Simenon, trente ans après sa mort, n’a pas pris une ride, que du contraire.  » Une décantation s’est faite avec le temps autour de l’homme et de ses livres, nous a ainsi expliqué son fils John Simenon, qui gère les droits littéraires de son père depuis 1995 et la mort de son demi-frère Marc, premier légataire désigné.  » Tout le superflu, le phénomène un peu acteur de foire qui entourait mon père de son vivant, a disparu. Il reste l’essentiel, l’oeuvre, qui est considérable ! Or, le public d’aujourd’hui est désormais lié plus à la lettre qu’au personnage, et continue de grandir. Mon rôle consiste à assurer la pérennité de ses droits, qu’il avait lui-même envisagée, mais jamais dans de telles proportions ! Rien qu’au cinéma et à la télévision, on en est à 187 adaptations… Et même si cette année sera particulièrement chargée, ce sera presque une année comme les autres : il se passe désormais toujours quelque chose autour de l’oeuvre de Georges Simenon, qu’on parle d’éditions, de traductions, d’adaptations ou de nouveaux médias, comme les livres audio ou les versions numériques.  » Avec ses 500 millions d’exemplaires vendus, Simenon est en tout cas devenu un classique lu et étudié dans les cours de français dès les premières années de l’enseignement secondaire, tout en restant l’auteur populaire et bien vivant en librairie qu’il a toujours été – le gras en moins.

Georges Simenon, décédé en 1989.
Georges Simenon, décédé en 1989.© DR

Atmosphères

Année chargée donc, niveau éditorial : les édition Omnibus – qui possèdent via les Presses de la Cité les droits d’édition d’une partie du gigantesque catalogue Simenon, dont les Maigret (le reste, constitué par la plupart des  » romans durs  » de Simenon, hors Maigret, étant plutôt rattaché à Gallimard) – ont décidé de mettre le paquet et de doublonner les dates de commémoration, quitte à tirer un peu sur la corde du principe, en célébrant à la fois le 30e anniversaire de la mort de l’auteur, décédé le 4 septembre 1989 à 86 ans, et le 90e anniversaire de Jules Maigret, effectivement né dans les notes du jeune écrivain dès la fin de 1929, mais dont le premier récit, Pietr-le-Letton fut édité en 1931. Avec, en tête de gondole, cette nouvelle intégrale en dix volumes dont on appréciera le format souple malgré la pagination, et surtout les couvertures, qui se prolongent à l’arrière et sur les deux rabats : des décors panoramiques et tout en atmosphère de Jacques de Loustal,  » des images qui ne sont pas rattachées directement à un volume en particulier, mais qui donnent écho aux ambiances de Simenon, fondamentales dans son oeuvre et dans son écriture « , nous a cette fois expliqué le dessinateur, de passage au récent festival Quais du Polar à Lyon, où l’oeuvre de Simenon trouve naturellement sa place et tout son sens.  » Une ville la nuit, des ambiances portuaires, le Quai des Orfèvres, une maison isolée dans la campagne, la banlieue, la Belgique, le Nord… Tous ces endroits qui me permettent de générer des atmosphères et des ambiances via les éléments d’un décor, d’une lumière, d’un parti pris graphique, là où Simenon maniait les mots.  »

Une identité graphique forte, qui n’en est en réalité pas à son galop d’essai : Jacques de Loustal, souvent considéré comme le plus littéraire des dessinateurs français, illustre l’univers de Simenon depuis maintenant vingt ans. Une relation forte et particulière qui aurait même pu commencer bien plus tôt :  » A la fin de mes études d’architecture, j’ai réalisé un mémoire un peu impressionniste autour des canaux, sous le point de vue entre autres de la littérature et donc, naturellement, de Simenon « , se souvient le désormais sexagénaire.  » Et j’ai été complètement envoûté par les ambiances qu’il dépeignait. Quelques années plus tard, les éditeurs Futuropolis et Gallimard m’ont sollicité pour faire un livre illustré issu de leur catalogue, et j’ai immédiatement proposé Simenon – pour un de ses romans exotiques et coloniaux, j’ai toujours aimé le Simenon écrivain voyageur. J’ai réalisé quelques dessins, on les a fait parvenir à Simenon lui-même. Je ne saurai jamais s’il les a vus, mais le montant des droits demandés à l’époque étaient tels que je devais presque payer pour faire le livre. Alors j’ai fait un Mac Orlan, Sous la lumière froide… Quelques années de plus ont passé, jusqu’à ce que je reçoive un coup de fil de Mylène Demongeot, l’épouse de Marc Simenon. Une nouvelle collection se lançait, j’ai immédiatement proposé Touriste de bananes (NDLR : un  » roman dur  » paru en 1938). Et depuis, on ne s’est plus quittés.  »

Jacques de Loustal illustre l'univers de Simenon depuis vingt ans.
Jacques de Loustal illustre l’univers de Simenon depuis vingt ans.© JORGE COLOMBO

L’impossibilité de la BD

Si Jacques de Loustal partage depuis son abondante  » production Simenon  » entre couvertures, expositions et livres illustrés contenant un minimum de 50 illustrations par roman, l’auteur s’est dans le même temps toujours interdit d’adapter Georges Simenon dans une  » vraie  » bande dessinée, dialoguée et découpée en cases, tel qu’il l’a pourtant déjà fait, et avec brio, avec d’autres écrivains comme Jean-Luc Coatalem, Dennis Lehane ou Tonino Benacquista.  » Mais la BD, contrairement aux adaptations audiovisuelles, reste un livre où la chose est écrite, figée. Et ce que l’on adore chez Simenon, ce sont justement ses mots. Son style et le charme de son écriture qui s’expriment beaucoup dans tout ce qui est de l’ordre de la description. Exactement ce qu’il y aurait à supprimer en cas de pure adaptation BD ! Pour y arriver, je devrais dénicher une de ses nouvelles, qui me permettrait de dilater son écriture plutôt que de la réduire, or une nouvelle ce n’est pas facile non plus à adapter ; c’est souvent un moment, la photographie d’un instant sans véritable début ni fin, tout ce que n’aime pas la BD ! C’est pour toutes ces raisons que je m’y refuse, mais que j’adore ce travail d’illustrations et de rapport texte/image qui préserve l’intégralité d’un texte. Dans les expos, j’ajoute toujours sous un dessin la petite phrase du texte de Simenon qui me l’a inspiré. En tout cas, je ne m’en lasse pas, conclut Loustal : je continue de découvrir ses livres… en repérant tout de suite ceux qui ne sont pas illustrables : Simenon a écrit beaucoup de huis clos, où il ne se passe rien de spectaculaire, dans un décor unique, où les ressorts sont purement psychologiques : La Mort de Belle, La Main, La Jument perdue… Impossible d’en faire une bande dessinée ! Et moi qui suis illustrateur, je suis béat d’admiration devant de telles histoires qui ne peuvent exister qu’en texte. Et qu’avec les mots de Simenon.  »

Des mots qui ne semblent pas près de quitter les devants de la scène littéraire malgré la disparition de leur auteur. Comme le dit à nouveau Pierre Assouline, dans la préface cette fois du tome 10 de Tout Maigret :  » On sait que Simenon a toujours eu besoin de plusieurs années de décantation avant que, à la faveur d’un détail, une odeur, une couleur ou une image, un monde qu’il conservait resurgisse et s’installe sous sa plume.  » S’il en est de même pour les lecteurs qui les découvrent chaque jour, l’avenir des oeuvres de Simenon s’annonce radieux.

Simenon, classique et vivant

L’actu Simenon

Tout Maigret, par Georges Simenon, nouvelle édition en dix tomes, avec des préfaces inédites d’écrivains et de personnalités, et des couvertures originales de Jacques de Loustal, éd. Omnibus, entre 950 et 1 200 p. par volume.

Le Passager clandestin, par Georges Simenon, roman illustré par Loustal, éd. Omnibus. 208 p.

Simenon, classique et vivant

Maigret, traversées de Paris et Simenon, le bonheur à La Rochelle, par Michel Carly. Maigret a mené très exactement 63 enquêtes dans Paris intra-muros, qui l’ont mené dans 120 lieux emblématiques du Paris de Simenon, de Pigalle au Marais en passant par le Quai des Orfèvres. Ce guide propose sept itinéraires dédiés. L’auteur et biographe Michel Carly fera de même avec La Rochelle, où Simenon a longtemps séjourné et qu’il a beaucoup décrit dans ses premiers  » romans durs « , via un guide dédié à paraître cette fois en juin prochain, toujours chez Omnibus.

Mémoires intimes, par Georges Simenon. Une réédition d’un de ses textes les plus intimes et bouleversants, écrit au crépuscule de sa vie, et revenant pour l’essentiel sur le suicide de sa fille Marie-Jo en 1978,  » morte de l’avoir trop aimé « . En septembre prochain, éd. Omnibus.

Simenon, classique et vivant

– Exposition Loustal/Simenon, jusqu’au 29 juin prochain à la Bibliothèque des littératures policières de Paris. www.bit.ly/2DwlShg.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire