SHAKESPEARE CRÈVE L’ÉCRAN

L’oeuvre du dramaturge constitue une manne inépuisable pour le cinéma, qui y a trouvé matière à d’innombrables variations. Inventaire.

Les amateurs de raccourcis aiment à voir dans Shakespeare le scénariste le plus prolifique de Hollywood, et au-delà. Si le trait est naturellement un peu forcé, il n’en recèle pas moins sa part de vérité, tant l’oeuvre du dramaturge de Stratford-upon-Avon a généré une filmographie abondante, et ce, dès les premiers temps du cinéma : Sarah Bernhardt interprétait en 1900 Hamlet dans Le Duel d’Hamlet, de Clément Maurice, Méliès signant pour sa part un Jules César en 1907, tandis que D. W. Griffith y allait, un an plus tard, de sa Mégère apprivoisée. Soit quelques exemples parmi d’autres d’un engouement qui n’allait pas se démentir – si Theda Bara, la première  » vamp  » du cinéma, campera Juliet pour J. Gordon Edwards en 1916, Ernst Lubitsch proposera une version parodique du drame en 1920, son Romeo und Julia im Schnee voyant Capulethofer et Montekugerl s’affronter à coups de boules de neige dans la Forêt-Noire !

En toute logique, l’avènement du parlant annonce l’essor définitif du drame shakespearien à l’écran. Après William Dieterle (A Midsummer Night’s Dream) ou George Cukor (Romeo and Juliet) au milieu des années 1930, Laurence Olivier donne ses lettres de noblesse à l’exercice, l’acteur-réalisateur alignant, à compter de 1944, des versions imposantes de Henry V, Hamlet et Richard III. Il ne se trouvera jamais qu’un autre génie pour le concurrencer sur ce terrain, Orson Welles signant pour sa part des adaptations inoubliables de Macbeth et Othello, en attendant son Falstaff. Si la richesse de l’oeuvre n’en finit pas d’inspirer les auteurs les plus prestigieux – ainsi, par exemple, d’un Mankiewicz, pour Jules César -, elle se prête aussi aux variations les plus diverses. George Sidney peut, par exemple, proposer une relecture musicale de La Mégère apprivoisée dans Kiss Me Kate (1953), tandis qu’Akira Kurosawa transpose, en 1957, l’intrigue de Macbeth dans le Japon médiéval pour Le Château de l’araignée (le maître japonais revisitera encore Hamlet dans Les Salauds dorment en paix, et Le Roi Lear à la faveur de Ran, chef-d’oeuvre absolu). Quant à Robert Wise, il fait de Romeo and Juliet la matrice de son West Side Story (1961) – célébrant l’art de Shakespeare dans la rue new-yorkaise.

Le génie du dramaturge transcende, il est vrai, les époques, ce qu’a fort bien compris Kenneth Branagh qui relance, dans le courant des années 1990, avec Hamlet, Henry V et autre Much Ado about Nothing, la veine des adaptations shakespeariennes. Lesquelles fleurissent alors tous azimuts, des plus classiques (Othello, d’Oliver Parker ; Twelfth Night, de Trevor Nunn…) aux plus aventureuses (Prospero’s Book, de Peter Greenaway ; Romeo + Juliet, de Baz Luhrmann ; Richard III, de Richard Loncraine ; Titus, de Julie Taymor…), sans oublier les détournements audacieux, à l’image de ceux d’un Gus Van Sant inscrivant l’oeuvre dans l’imaginaire américain contemporain le temps de My Own Private Idaho. Autant dire que le cinéma n’en a pas encore fini de Shakespeare, de sa langue, envoûtante et pénétrante – voir à cet égard le récent Macbeth, de Justin Kurzel -, pas plus que du mystère l’encadrant, et ayant nourri aussi bien le Shakespeare in Love de John Madden que le Anonymous de Roland Emmerich…

PAR JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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