Camille Loiseau, Association des journalistes professionnels. © DR

« Seules 5% des journalistes féminines couvrent le sport »

Lionel Messi chasse les handballeuses françaises, médaillées d’or, de la Une de L’Equipe. Mais la RTBF propose pour la première fois 50% de compétitions féminines lors des JO. Les médias jouent un rôle clé dans la façon dont le sport féminin, donc les femmes, est perçu dans la société. Explications avec Camille Loiseau, responsable genre et diversité à l’ AJP.

La couverture médiatique peu équilibrée entre les sports féminins et masculins s’explique- t-elle par le fait que peu de femmes commentent le sport?

L’information sportive est la catégorie dans laquelle on parle le moins des femmes: elles ne représentent que 6% des personnes évoquées alors qu’elles pèsent 30% dans l’information en général. Dans les rédactions en Fédération Wallonie-Bruxelles, les femmes journalistes représentent 34% de l’effectif journalistique total mais parmi les journalistes sportifs, 11% seulement sont de sexe féminin. Parmi les femmes journalistes, elles ne sont que 5% à couvrir l’actualité sportive. Or, plus il y a de diversité et de profils dans une rédaction, plus les contenus informatifs sont variés.

Lionel Messi, footballeur transféré au PSG, a supplanté les handballeuses françaises, pourtant médaillées d’or, en Une du journal L’Equipe. Comment l’expliquer?

On dit toujours que si les sportives ont si peu de place, c’est que personne ne s’y intéresse et que si c’est le cas, c’est parce que les médias n’en parlent pas. On tourne en rond. Mais autant on ne peut intervenir sur les attentes du public, cette entité aux contours flous, autant sur la couverture médiatique, on peut faire des choix. Le changement doit venir des médias et des politiques éditoriales.

Les médias ont-ils tendance à reproduire des stéréotypes dans le sport en associant virilité, puissance et compétition au masculin?

Il y a de toute façon des stéréotypes véhiculés par les médias, plutôt dans le traitement réservé aux sportives. Les journalistes sportifs commentent plus souvent leur apparence, leur tenue. Ils ne les identifient pas toujours, ne donnant pas systématiquement leurs noms et prénoms, et les comparent beaucoup aux hommes. On entendra par exemple: « c’est Federer au féminin ». C’est donc plutôt la manière dont les sportives sont traitées qui rend les stéréotypes de genre présents.

Les médias ont-ils une responsabilité particulière, dès lors que plus on médiatise le sport féminin, plus il y aura de filles intéressées, meilleurs seront les résultats et plus grand sera l’intérêt du public?

Qu’il existe une diversité de profils en sport, c’est aussi une information. Il y a donc une responsabilité des médias à couvrir des compétitions sportives féminines, pour que leur information soit de qualité et complète. On voit que les inscriptions dans les clubs de sport augmentent lors des JO. Ce qui est montré à la télévision a donc un effet réel. En outre, plus il y a médiatisation, plus il y a de sponsors, plus il y a d’argent pour permettre aux sportives de s’entraîner dans de meilleures conditions, donc d’obtenir des résultats. La responsabilité médiatique va loin.

Le sport « masculin » est souvent la valeur de référence: on parlera du football féminin pour les femmes, de foot tout court pour les hommes…

La question est de savoir qui a le pouvoir d’incarner la norme, le mètre-étalon. En sport, ce sont les hommes. On devrait d’ailleurs parler d’équipe féminine de foot et non de foot féminin comme s’il s’agissait d’un sport tout à fait différent. On entend souvent sur les terrains que les femmes ne jouent pas au foot comme les hommes, font plus de passes et sont moins agressives et plus tactiques. De nouveau, on fait intervenir d’énorme stéréotypes.

Que faudrait-il pour que les représentations genrées de la population en matière de sports soient durablement modifiées?

C’est difficile d’isoler un seul élément. Mais cela va dans le bons sens, côté médias. Pour la première fois, la RTBF s’est engagée à retransmettre 50% de compétitions féminines lors des JO. Le sport n’est pas coupé du reste de la société, il évolue en même temps qu’elle. Or pour l’instant, la question de la place des femmes est à l’agenda politique avec #MeToo et ses suites. On ne peut qu’espérer que cela évolue positivement dans les prochaines années.

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