Se PROTÉGER du terrorisme et du grand banditisme

En pointe dans la prévention des attentats terroristes en Belgique et dans la lutte contre la criminalité organisée, la police fédérale et la Sûreté de l’Etat ont tendance à rivaliser. Alors que leurs missions diffèrent.

Fin décembre 2007, les Bruxellois, goguenards, se mettaient aux abris à la suite d’une menace terroriste. Les raisons de l’alerte ? L’interception d’une conversation téléphonique avec sa femme de l’ex-footballeur tunisien Nizar Trabelsi, emprisonné après sa condamnation pour une tentative d’attentat contre la base américaine de Kleine Brogel. Leurs propos avaient été interprétés comme portant sur un projet d’évasion. En réalité, il semble que les services de sécurité aient surtout voulu donner un grand coup de pied dans la fourmilière islamiste, la CIA ayant signalé aux Belges la possibilité d’un attentat. A l’époque, la Sûreté de l’Etat était restée très circonspecte. Ses  » sources humaines  » et son service d’étude ne confirmaient pas la menace.

Quatre Belges, dont Hicham Beyayo, allaient profiter du raffut pour s’éclipser au Pakistan et en Afghanistan, où Al-Quaeda reconstitue ses forces. Il est vrai que les allers et venues entre notre pays et la zone pakistano-afghane ont repris, comme c’était le cas en 2000, quand deux Tunisiens, futurs assassins du commandant Massoud, avaient quitté Bruxelles pour se mettre au service de Ben Laden. Aujourd’hui, la population belge d’origine étrangère constitue le principal vivier du recrutement. Les enquêtes  » terro  » croisent souvent celles du grand banditisme car certains acteurs évoluent dans les deux univers.

Hicham Beyayo appartient à une famille d’Anderlecht qui a souvent donné du fil à retordre à la justice. En Afghanistan, il a subi l’entraînement et l’endoctrinement de rigueur. Quelquefois, certains volontaires en reviennent éc£urés. Pas lui. Son retour en Belgique, le 4 décembre 2008, ne passe pas inaperçu. Ses trois compagnons l’y ont déjà précédé et ils sont sous surveillance depuis des mois. La tension monte d’un cran, le 7 décembre, lorsqu’un nouveau message est intercepté : il y est question de l’  » évacuation des femmes et des enfants « .  » Sur la base de cette information et comme un sommet européen se tenait à cette période à Bruxelles, il a été décidé d’intervenir, le 11 décembre 2008, a expliqué à la Chambre le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V). L’enquête devra démontrer pourquoi ces gens sont revenus en Belgique et s’ils avaient l’intention de commettre un attentat.  » Une vidéo d’adieu de Hicham Beyayo, retrouvée en perquisition, tend à démontrer que celui-ci se préparait à un attentat-suicide. Mais où ? Pas sûr qu’il se soit agi de la Belgique.

Des treize autres personnes interpellées le 11 décembre, six ont été privées de liberté. La chambre des mises en accusation de Bruxelles, qui est indépendante du parquet fédéral, a confirmé, jusqu’à présent, leur mandat d’arrêt. Parmi ces suspects figure Malika el-Aroud, l’égérie belgo-marocaine d’Al-Quaeda. Avec son mari resté en Afghanistan, elle aurait été en contact avec les numéros 2 et 3 d’Al-Quaeda. L’objectif assigné à la  » cellule belge d’Al-Quaeda  » ? Ouvrir un nouveau front terroriste en Europe, rien de moins. Malika avait déjà été brièvement interpellée lors de l’alerte du 21 décembre 2007. Pour le parquet fédéral, pas de doute, le  » dossier salami  » (parce qu’il se compose de plusieurs tranches) a progressé de 2007 à 2008. Avec l’aide indispensable des services secrets étrangers, dont la CIA.

Quelques risques d’anarchie

Depuis le 11-Septembre, plus personne ne conteste qu’il vaut mieux prévenir que guérir et que le renseignement est l’une des pièces maîtresses d’un bon dispositif antiterroriste. Encore faut-il y aller avec ordre et méthode. Or la situation belge présente quelques risques d’anarchie et de manques de transparence, avec une pointe d’excès de pouvoir. Outre les très nombreux services secrets étrangers qui s’activent sur notre territoire, certains dits  » amis « , d’autres moins (lire Le Vif/L’Express du 12 décembre 2008), outre les officines privées et les diverticules  » renseignement  » des grandes sociétés d’audit, trois services sont officiellement en charge de la collecte et de l’analyse d’informations a priori non disponibles au grand public. 1. La Sûreté de l’Etat, qui dépend du ministre de la Justice et n’exerce qu’en Belgique (service défensif). 2. Le Service général de renseignement et d’analyse (SGRS), qui relève du ministre de la Défense et est partiellement offensif (sur les théâtres extérieurs où l’armée belge est présente). 3. Et enfin, la police judiciaire fédérale (PJF), qui fait du renseignement dans le cadre de ses enquêtes judiciaires proactives ( voir encadré en page 23).

C’est l’ex-gendarmerie, devenue entre temps PJF, qui a développé ce segment d’activité : le recueil de données alors qu’aucun délit n’a (encore) été commis, grâce à des  » méthodes particulières de recherche  » (observation, infiltration, recours aux indicateurs). La PJF a également obtenu très tôt le droit de pratiquer des écoutes téléphoniques, alors que la Sûreté de l’Etat et le SGRS (du moins en Belgique, pour ce dernier) en sont toujours privés. D’où une rivalité contreproductive entre la Sûreté et la police judiciaire fédérale de Bruxelles, dirigée par l’omniprésent Glenn Audenaert.

Le principe de base est acquis : la Sûreté de l’Etat doit obtenir les écoutes pour ne pas se laisser distancer par les policiers fédéraux et défendre son rang parmi les services secrets occidentaux. En effet, les agences étrangères pourraient prendre l’habitude de s’adresser directement à la police fédérale pour obtenir des infos. La  » communauté du renseignement  » fonctionne sur la base du troc, en principe entre homologues : les agents secrets ne parlent qu’à d’autres agents secrets, et pas à des policiers, en principe.

Même sans les écoutes, la Sûreté de l’Etat a fait ses preuves dans la lutte antiterroriste. La plupart des succès engrangés l’ont été grâce à ses indications, qui permettaient aux policiers, cornaqués par le parquet, d’orienter leurs recherches vers des preuves. Cette urgence terroriste a toutefois un effet pervers : elle se focalise sur le court terme. L’exposé des motifs de la proposition de loi Vandenberghe ( lire en page 25), qui octroie les écoutes aux services secrets, rappelle que leur job est avant tout  » un travail intellectuel d’analyse par la compréhension de structures et de réseaux susceptibles de représenter un danger pour la société, ce qui implique des recherches à moyen et long terme.  »

Marie-Cécile Royen

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