Savoir-vivre même pas mort !

Besoin de repères en ces temps d’incivisme : les bonnes manières connaissent un retour en grâce. En librairie, où les guides de politesse se bousculent, et jusque dans l’entreprise, où apprendre à maîtriser les codes devient un précieux sésame.

Un matin, dans le XVIe arrondissement de Paris, des employés de la mairie s’affairent à débarrasser le trottoir de quelques encombrants. Marie-Christine qui habite non loin de là, passe et repère un vieux casier à bouteilles très vintage :  » Je peux le prendre ?  » demande-t-elle à la cantonade. L’un des employés municipaux se redresse, la regarde droit dans les yeux, avant de lui répondre sur un ton légèrement exaspéré :  » Bonjour, madame !  » Confuse, cette dernière lui retourne la politesse en s’excusant.

 » Etre poli, c’est trendy « , pouvait-on lire récemment dans le magazine Elle, qui révélait à ses lectrices ébahies comment le créateur Marc Jacobs avait envoyé balader Madonna, arrivée en retard à son défilé. Le professeur de droit public Frédéric Rouvillois a vendu plus de 22 000 exemplaires de son Histoire de la politesse (Flammarion), talonné par la journaliste Laurence Caracalla, avec Le Carnet du savoir-vivre, inspiré de la Baronne Staffe, coédité par le même éditeur et le Figaro (18 000 exemplaires). La même a enchaîné sur Le Carnet du savoir-vivre au bureau et Le Carnet du savoir-recevoir. Aujourd’hui, c’est un inédit de Barbara Cartland qui sort, Les Bonnes Manières. L’art du chic (J’ai lu), paru en 1962 en Grande-Bretagne, dont nous reproduisons quelques extraits. Nadine de Rothschild a de la concurrence. Alors que les internautes découvrent l’indélicatesse 2.0 sur les réseaux sociaux, nids à goujats (voir l’encadré page 84), écoles et cabinets spécialisés dans le savoir-vivre fleurissent, profitant de la vogue du coaching. Il y aura même à partir de 2011 – ça, c’est un scoop ! – une Journée nationale de la courtoisie française. L’association du même nom, fondée en 1948 (1), avec Maïté Taverna, sa présidente, aura dû batailler quinze ans. Il faut dire que les Français sont désormais 71 % à considérer les bonnes manières comme une valeur de la plus haute importance, juste après la tolérance et le respect des autres – le respect étant, comme chacun sait, la base de la politesse – d’après l’enquête sur les valeurs (éd. Armand Colin) effectuée tous les dix ans depuis 1981. Au début des années Mitterrand, seuls 21 % d’entre eux en étaient convaincus. Mais ne nous leurrons pas : le retour en grâce des belles manières va de pair avec le sentiment croissant que tout fout le camp, comme en témoignent les 65 % de Français estimant, dans un récent sondage Ipsos, que l’incivisme gagne.

Portée au pinacle au xixe siècle, écornée dès la Première Guerre mondiale et remisée au placard des valeurs ringardes dès l’après-1968, la politesse ne fait pas seulement son retour dans les discours. Sur le marché bousculé du travail, elle est désormais une carte que l’on sort comme un atout de plus de son attaché-case.  » C’est bête à dire, mais mon école de commerce ne m’avait pas du tout formé à la gestion du savoir-vivre, raconte Maxime, 28 ans, jeune cadre dans le secteur bancaire. Je manquais beaucoup de repères à ce niveau, j’avais besoin d’être rassuré pour les dîners professionnels. J’ai suivi un cours et ça m’a donné confiance.  » A la Belle Ecole (2), établissement parisien spécialisé dans  » l’Art de vivre à la française « , consultants et cadres de fir-mes étoilées du CAC 40, peuvent suivre des formations à 2 000 euros la journée –  » déjeuner compris « , précise son directeur, Alexandre Goujon. Car, comme le rappelle l’un des enseignants du lieu, Sébastien Talon, foulard de soie et phrasé raffiné,  » il y a, d’un côté, le diplôme et, de l’autre, toutes sortes de petits détails de conduite qui font la différence « . Comme celui de ne pas se tromper de registre de langage face à son interlocuteur. Témoin cette jeune diplômée d’HEC au cursus impeccable, justifiant devant un DRH le  » trou  » d’un an dans son CV par un lamentable :  » J’ai pété un plomb, j’suis partie aux States, vous savez c’est quoià « 

Que l’on souhaite se distinguer du tout-venant devant un recruteur, s’intégrer rapidement dans un milieu professionnel haut de gamme ou simplement améliorer son  » relationnel « , comme dit Michèle, assistante de direction, un seul conseil, donc : miser sur les bonnes manières. A la Belle Ecole, même les chômeurs prennent des cours, espérant trouver ainsi plus facilement du travail. Pour la même raison déprimante, les étudiants s’y mettent aussi. Il y a quelques semaines, Maïté Taverna a répondu à l’invitation d’un enseignant de l’université d’Evry, au sud-est de Paris, qui souhaitait doter ses élèves de quelques rudiments de savoir-vivre. Un jeune homme a retenu son attention.  » Il portait des piercings partout sur le visage, au nez, aux oreilles et à la langue, raconte la présidente de l’association la Courtoisie française. Il m’a posé énormé-ment de questions et, à la fin de la séance, tout en me raccompagnant à la gare, il m’a lancé : « Madame, je vous promets, je vais tout retirer. » Un garçon formidable ! « 

 » Historiquement, en raison de la rivalité entre nobles et bourgeois, notamment, le savoir-vivre avait fini par devenir un procédé d’exclusion ; sa fonction consistait à repérer celui qui était mal élevé « , rappelle l’universitaire Nicole Masson, qui a cosigné, avec Yann Caudal et Maguy Ly, Savoir-vivre & bonnes manières (éd. du Chêne), anthologie de textes du xviiie siècle.

Aujourd’hui – ainsi va l’Histoire – les bourgeois bohèmes sont les premiers à se piquer d’étiquette. Trentenaires et quadras raffolent des dîners sur carton d’invitation, pour lesquels ils investissent dans les nappes chics et l’argenterie.  » La meilleure façon de décompresser, témoigne Clarisse, 35 ans, attachée de presse. Quand tout le monde vient parfaitement habillé, on a l’impression de changer d’époque.  » Encore un effet de la crise, flaire Vincent Grégoire, détecteur de tendances chez Nelly Rodi. D’après cet oracle réputé dans le milieu de la mode, les  » bobos  » craindraient le déclassement, leurs secteurs professionnels – la création et la communication – ayant été parmi les premiers touchés par l’inopportun renversement de conjoncture.  » Les bobos ont pris conscience que les valeurs de tolérance qu’ils prônaient ne fonctionnent plus et ils reviennent, du coup, aux valeurs morales et BCBG « , analyse le  » tendanceur « , pour lequel le succès de la série télévisée Mad Men (Canal +), située à la fin des années 1950, est un autre symptôme de cette crispation  » réac « .

BCBG ou pas, la politesse, avec ses règles et ses codes, répond évidemment à un besoin de repères dans une époque secouée. Elle fluidifie les relations là où engueulades et cocards semblent devenus le mode favori de résolution des conflits. Etre poli, c’est dire  » non  » à la sauvagerie qui gagne, malgré l’incroyable degré de sophistication technologique du siècle.  » Contrairement au snobisme, volontairement exclusif, le savoir-vivre consiste à se mettre à la place de l’autre, lui signifier qu’il existe « , rappelle Sébastien Talon. Tout le contraire du triomphant et méprisant  » chacun pour soi « . Aux yeux de la sociologue Cécile Ernst, qui prépare un livre sur le sujet, la politesse tient même de l’enjeu démocratique, parce que  » le manque de savoir-vivre réintroduit le rapport de force « . Rien de plus antidémocratique, selon elle, que d’occuper indûment une place de parking réservée aux handicapés ou de ne pas céder sa place à une personne âgée. On le voit, il y a du travail. Alors autant commencer tout de suite. Merci à nos amis lecteurs d’avoir lu cet article jusqu’au bout. Et qu’ils veuillent bien agréer nos sentiments les meilleurs.

(1) www.courtoisie-francaise.com

(2) www.labelleecole.fr

Extraits et illustrations tirés des Bonnes Manières. L’art du chic, de Barbara Cartland. Ed. J’ai lu.

Claire Chartier, delphine peras et kevin le louargant

 » Certes, Monsieur, vous pouvez vous mettre à l’aise le dimanche ou en vacances, cependant, gardez à l’esprit qu’il y a une nuance entre décontraction et laisser-aller. « 

 » Aucune critique de son partenaire en public, c’est la règle absolue. Jamais, devant un tiers, un mari ne devrait faire des remarques ironiques sur les vêtements, la coiffure ou les propos de sa femme. « 

 » Dans chacune des phrases que vous adresserez à votre futur employeur, vous devrez absolument placer : Monsieur ou Madame. [à] Si la personne qui vous reçoit doit se lever [à], vous vous lèverez aussi et attendrez qu’elle se rassoie pour en faire autant. « 

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