Sauvé, Willy ?

Le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer (PS), doit gérer de front plusieurs dossiers explosifs. En parallèle, il arbitre le duel Marcourt-Daerden, et soutient en douce le premier. Casse-gueule. Mais le gaillard en a vu d’autres.

Demeyer. Le maïeur. Le meilleur ? Au sein d’un PS liégeois longtemps dominé par les haines corses, les combines et les petits arrangements entre amis,  » Willy  » détonne. L’homme est puissant, cela ne fait aucun doute, mais la véritable étendue de son influence reste difficile à évaluer. Tout comme sa personnalité ne se laisse pas facilement cerner. Autour de lui, on le décrit comme  » légaliste « ,  » rassembleur « ,  » bonhomme « ,  » allergique aux magouilles « à Même ses adversaires politiques admettent que l’actuel bourgmestre de Liège a redonné du tonus à la Cité ardente.  » Willy Demeyer est le meilleur bourgmestre que j’ai connu « , indique la conseillère communale Brigitte Ernst (Ecolo), échevine de 1983 à 1988.  » Incontestablement, Willy possède la volonté de bien faire, complète Pierre Gilissen, conseiller communal MR. Nous partageons la même vision de ce que Liège doit devenir. « 

Willy Demeyer jouit aujourd’hui d’une exposition médiatique à laquelle il est peu habitué. Président de la fédération liégeoise du parti socialiste, mais aussi de la coupole provinciale qui supervise les fédérations de Huy-Waremme, de Verviers et de la Communauté germanophone, il a dû affronter la tempête déclenchée par l’affaire Lizin. Il se trouve aujourd’hui en position d’arbitrer le duel sans merci que se livrent Michel Daerden et Jean-Claude Marcourt pour décrocher la tête de liste aux prochaines élections régionales. Là où il peut, en coulisses, il appuie Marcourt. Mais avec une prudence de Sioux, et en s’abstenant de toute critique publique à l’égard de Daerden.

 » Demeyer dans l’opposition ! « 

Dans l’entourage de Michel Daerden, on n’a pas attendu cet épisode pour détester Demeyer. Des témoins éberlués se souviennent encore de cette scène aperçue lors de l’été 2006, peu avant les élections communales. Au beau milieu de la place Tivoli, émoussé par quelques bières, l’attaché de presse de  » Papa  » avait lancé à tue-tête :  » Demeyer dans l’opposition !  » Peut-être plus encore que les désaccords politiques, une différence de style sépare les deux hommes. Alors que Michel Daerden a longtemps roulé en Porsche, Willy Demeyer ne détient même pas le permis de conduire.

Lorsque Demeyer adhère au PS, à 21 ans, c’est par conviction plutôt que par tradition familiale. Son père, ajusteur à la centrale électrique de Bressoux, est affilié à la FGTB et admire le leader syndical André Renard, mais il n’a jamais été membre du parti socialiste. Quant à sa mère, elle a quitté son emploi d’ouvrière à l’usine de tabac DAF pour s’occuper du foyer, peu après la naissance de Willy. Aîné de 6 frères et s£urs, celui-ci ne montre guère d’intérêt pour la politique quand il entame ses études en droit, à l’université de Liège. Il ne rejoint le PS qu’en réaction aux étudiants libéraux, qui soutiennent la présence sur le sol belge de missiles nucléaires américains. A aucun moment, par contre, il ne se rapproche de l’extrême gauche, où milite alors un certain Jean-Claude Marcourt – lui aussi sorti de la faculté de droit de l’ULg, à la charnière des années 1970 et 1980, tout comme Marie-Dominique Simonet, Laurette Onkelinx et Didier Reynders.

Habile Demeyer. La presse lui décerne un brevet de  » rénovateur « . Il jouit d’une réputation intacte. Et pourtant, il a tout vécu des heures les plus sombres du PS liégeois. Il entre au conseil communal en 1988, au moment où la ville, étranglée par les dettes, subit un traitement de choc : plus de 5 000 employés communaux seront licenciés. Les socialistes s’entre-déchirent. Jean-Maurice Dehousse prend la tête des rebelles qui s’opposent au plan d’assainissement, ce qui lui vaut d’être exclu du parti, puis réintégréà deux heures plus tard. De son côté, Willy Demeyer soutient le plan, voulu par André Cools. Mais, en 1991,  » le Maître de Flémalle  » est assassiné sur les hauteurs de Cointe. Nouveau traumatisme. Nouveaux déchirements. Nouveaux coups bas.

 » Pour survivre à tout ça, faut être baraquéà « , observe Demeyer. Vis-à-vis de la vieille garde du PS, son attitude mêle l’art du compromis, un certain courage politique et une grosse dose d’attentisme. Il est l’un des rares socialistes à avoir mis en cause, en juin 2007, le pouvoir détenu par Michel Daerden via son (ex-)cabinet de réviseur d’entreprises.  » En tant que président du parti socialiste liégeois, rappelle-t-il, j’ai fait savoir qu’il n’était pas opportun que Michel Daerden donne l’impression de détenir un monopole sur les structures liégeoises. Je trouvais ça malsain, même si les appels d’offres étaient corrects.  » En privé, face à certains interlocuteurs, Willy Demeyer se laisse parfois aller à évoquer  » la mafia Daerden « . Mais lorsqu’on lui demande si, après Anne-Marie Lizin, il ne serait pas logique que le PS prenne également ses distances avec Jean-Claude Van Cauwenberghe, il esquive.  » Les deux cas sont différentsà Je ne critique pas ceux qui ont cherché des solutions pour améliorer l’image de leur ville. Que les socialistes carolos aient misé sur le sport, cela me paraît normal : ils ne disposent pas de la richesse culturelle que nous avons à Liège. « 

A Liège, justement, les dossiers explosifs s’accumulent : avenir du quartier des Guillemins, nouveau stade du Standard, tracé du futur tram, consultation populaire au sujet de la candidature de Liège comme capitale européenne de la culture en 2015… Sur toutes ces questions, Willy Demeyer a temporisé. Dans l’espoir d’aboutir à un consensus ? Ou par manque de vision ?  » Willy a une gestion orientale du temps, commente le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt. Il agit comme s’il avait l’éternité devant lui. Pour moi, c’est difficilement compréhensible. « 

Parquet qui craque. Lourdes tentures bordeaux. Lustres richement ornés de cristaux. Depuis son bureau de l’hôtel de ville, Demeyer gère sa commune avec pragmatisme, à la fois top manager et baron.  » Depuis 2002, la criminalité a baissé de 17 % « , insiste-t-il, rappelant par ailleurs que  » Liège, c’est un pays « . Pas vraiment idéologue, il connaît néanmoins ses classiques.  » Marx reste une référence. Pour moi, être de gauche, cela signifie être animé par une conscience de classe, être naturellement incliné vers la défense du plus faible. « 

 » A l’inverse de Marcourt et de Daerden, qui s’investissent beaucoup dans les luttes d’appareil, Willy Demeyer ne cherche pas à s’imposer par la force, décrypte un socialiste liégeois. Il essaie plutôt de dégager un espace qui lui est propre, et d’arriver aux portes du pouvoir sans que personne le remarque.  » Cette tactique, d’une efficacité surprenante jusqu’il y a peu, commence peut-être à montrer ses limites. Hors de l’agglomération liégeoise, Demeyer possède peu de vrais alliés dans les structures du PS. Jamais Elio Di Rupo ne lui a proposé de devenir ministre. Et, en décembre 2007, alors qu’il briguait la vice-présidence du parti, il a dû s’incliner devant le Dinantais Maurice Bayenet. Demeyer-le-baraqué verrait-il s’éloigner sa baraka ?

François Brabant

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