Meule, soleil couchant, Claude Monet, 1891. © photomontage Le Vif/L'Express - musée des beaux-arts, boston

Sauce Schtroumpfette

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : Fabienne Bister, qui dirige la PME wallonne Bister-L’Impériale.

Achêne, 110 kilomètres de Bruxelles, 6 kilomètres de Ciney, 237 mètres d’altitude. Une jolie petite commune qui, outre son école et trois commerces, abrite un mini- zoning industriel. Des vaches, des camions, des usines mais aussi une moutarderie, celle de Fabienne Bister, troisième génération de CEO au sein de l’entreprise familiale éponyme. Elle nous a donné rendez-vous ici, pour  » comprendre comme on fabrique la moutarde  » et puis aussi parce qu’elle y passe les trois quarts de son temps, week-end compris. C’était plus simple, donc. D’autant qu’elle a  » quelques petites choses  » dans son bureau à nous montrer, entendez des oeuvres d’art. Pour la rejoindre, il faut traverser deux bureaux et saluer quatre collaboratrices. On la trouve derrière son écran, tapotant des mails, nez sur le clavier. Ça sent la patronne de PME, de celles qui arrivent tôt et rentrent tard, au four et au moulin tout le jour et qui gèrent et prospèrent sans avoir besoin de vous en mettre plein les yeux ; en un mot, ici, on investit plutôt dans la production que dans la décoration.

Les lieux ? Un drôle de bâtiment, ancien atelier de découpe de viande qui abritait également l’habitation des propriétaires. Nous nous trouvons dans ce qui fut jadis le salon, sorte de grande pièce sans étagères mais avec un feu ouvert, face à un tableau en dégradé de bleu et entouré de sculptures de Patricia Timmermans accrochées aux murs. Derrière nous, des Kroll, qu’elle adore presque autant que son tableau bleu, un Michèle Delorme qu’elle a acquis lorsqu’elle vivait encore à Bruxelles. A cette époque, signale- t-elle, elle était abonnée à un système de location d’oeuvres d’art que l’on pouvait acheter si on ne se résignait pas à les rendre à terme.

Au téléphone, Fabienne Bister avait prévenu : elle n’aurait pas le temps de farfouiller ni dans les livres ni dans sa mémoire pour pêcher ses oeuvres d’art préférées. Et quant à celle qu’elle rêverait de posséder, il n’y en a pas. Ses indispensables, ajoute-t-elle, elle les a déjà. Essentiellement des aquarelles, des huiles aux couleurs claires et douces, des sculptures aussi. Dans son bureau, comme dans son jardin, comme dans sa maison. Assise derrière son pense-bête, un A5 quadrillé qu’elle a préparé tout exprès pour nous parler, elle insiste sur le fait que bien qu’elle achète, elle ne collectionne pas. Pas de goût pour la possession donc, encore moins pour l’investissement, non, simplement une envie de jouir des oeuvres,  » une histoire d’amitié en somme « . Et c’est sans doute là la différence avec une voiture, autre dada qui semble la séduire :  » Le désir d’une oeuvre d’art, c’est bien plus fort. D’ailleurs, c’est souvent la première chose qu’on accroche ou qu’on décroche lorsqu’on arrive ou qu’on doit s’en aller.  »

Tandis qu’elle nous parle, une de ses collaboratrices traverse la pièce, chargée d’un baril de cinq litres de sauce, sortie par la porte opposée avant de faire le chemin inverse, les mains vides, trois minutes plus tard. La patronne explique qu’elle en a décidé ainsi lors du déménagement de l’usine historique de Jambes, dans ce zoningeke, dirons-nous, six ans plus tôt. Elle voulait son bureau pile entre l’usine – à l’arrière du bâtiment – et les bureaux situés à l’avant. Pile entre les ouvriers et les employés. Donc, son bureau est appelé à être traversé une bonne trentaine de fois dans la journée.  » Ils peuvent passer par les couloirs extérieurs s’ils le veulent mais je trouvais que c’était une bonne manière de maintenir le contact et d’encourager les discussions ou les questions entre personnel et direction.  »

Merci l’Eglise !

Revenant à nos moutons, Fabienne Bister confesse que la seule fois où elle a tenté de joindre le coup de coeur à l’investissement dans une oeuvre d’art, l’opération s’est soldée par un échec complet.  » David Hamilton, vous connaissez ?  » s’enquiert-elle alors. L’histoire est simple. Il y a trois ans, elle découvre une série de photos lors d’une exposition à Waterloo et décide d’acheter une des reproductions, signées et numérotées par l’artiste.  » Pas les jeunes filles en fleur, mais une photo d’une femme adulte, nue sur une plage, qui me parlait beaucoup. Il était convenu que quelques mois plus tard, David Hamilton me la dédicace lors de sa venue au salon Antica à Namur. Et voilà que deux semaines avant le grand jour, l’affaire éclate ( NDLR : le photographe britannique faisait l’objet de dénonciations de viols et d’attentats à la pudeur par d’anciennes modèles, mineures au moment des faits) et Hamilton se suicide, un sac en plastique autour de la tête.  »

Au-delà des faits reprochés à l’artiste, Fabienne Bister – qui comme beaucoup de jeunes filles de sa génération avait tapissé les murs de sa chambre de photos de David Hamilton – déclare avoir été surtout sidérée par l’attitude de ces mères qui déposaient leurs filles chez un homme qui, à en juger par son travail, devait présenter de fortes probabilités d’être un vieux dégueulasse.  » Flavie Flament (NDLR : victime d’Hamilton) le dit dans son livre : un viol, un Polaroid. A savoir, après chaque séance, sa mère recevait un Polaroid de sa fille en souvenir de la séance de pose.  » Fabienne Bister, elle, n’a toujours pas compris. De là à dire – comme certains dans le Landerneau artistique – qu’il faudrait désormais bannir toute sa série sur les jeunes filles ? Non.  » Un peu facile. Bien qu’elle mette très bien en valeur la beauté naissante des jeunes filles, cette série a toujours eu de quoi mettre mal à l’aise. On ne le disait pas mais ça me paraît évident qu’elles étaient louches et sulfureuses et c’est bien pour ça que cette série avait autant de succès.  »

De toute façon, poursuit-elle, notre société a toujours eu un problème avec la sexualité. La faute à l’Eglise, qui bannissait le sexe en dehors du mariage et qui considérait le corps comme quelque chose de sale :  » Un comble quand on entend aujourd’hui ce qui se passe au Vatican ! Et quand on pense à un certain islam qui entend faire revenir les femmes plus de soixante ans en arrière, il y a de quoi s’interroger sur la société « , lâche-t-elle, sans ciller ni céder au politiquement correct. En cause, le voile et le couvrement du corps en général, un scandale :  » Faire du corps des femmes un  »interdit » revient à renforcer l’attrait qu’il produit sur les hommes. C’est une pression supplémentaire sur eux, qui se répercutera quand même sur les femmes, les autres, celles qui ne se couvrent pas et qu’on considèrera comme des impures et donc, celles à qui on peut tout faire.  »

La faute des femmes

Sur la cause des femmes, le féminisme 2.0 et la difficulté pour une femme d’exercer une profession comme la sienne, Fabienne Bister lèverait presque les yeux au ciel avant de dégommer quelques clichés. Déjà, selon elle, il y a énormément de cheffes d’entreprise en Belgique mais on ne les voit pas parce que certaines  » préfèrent cueillir des violettes dans les sous-bois plutôt que de prendre le risque de donner des interviews « . Ensuite, ajoute-t-elle en citant Simone de Beauvoir de mémoire,  » l’égalité est surtout une question présente dans la tête des femmes bien plus que dans celles des hommes et, à titre personnel, dans toute ma carrière, je n’ai affronté que sept remarques sexistes. Toutes les autres remarques était centrées sur le business ou la taille de mon entreprise, pas sur mon genre.  »

Quant à savoir si la féminisation des noms des professions est une bonne chose, la patronne avoue en souriant, que sincèrement, elle s’en fiche un peu. Elle relève néanmoins les différences significatives entre la France ( NDLR : Bister possède une usine à Troyes) et la Belgique où, côté flamand par exemple,  » on refuse la féminisation au motif que ça reviendrait à considérer qu’une fonction n’a pas la même valeur si elle est exercée par un homme ou par une femme. En France, c’est l’inverse, les femmes militent avec acharnement pour la féminisation des noms, et pourtant, c’est un pays où lorsqu’une femme se marie, elle perd immédiatement son nom de jeune fille pour prendre celui de son mari.  » Cependant, depuis que Fabienne Bister est régent à la Banque nationale, elle se rend compte que le chemin semble encore assez long pour les femmes. Seule femme parmi les dix membres du Conseil de régence, seule femme dans les organes de l’institution contre 27 hommes, elle choisit de prendre la situation avec humour et se considère presque comme la Schtroumpfette,  » seule femme du village pour 99 mecs « . Alors, finalement, bien qu’elle n’en soit pas spécialement fan, Bister se dit que la discrimination positive, c’est peut-être pas si mal.  » Un mal nécessaire en tout cas.  »

Vivre mille vies

Feuilletant les pages de deux livres d’art à la recherche d’oeuvres susceptibles d’illustrer cet article, la patronne poursuit sur l’évolution des mentalités et celle de la société qui, ces dernières années, n’a pas fondamentalement changé. Comme en matière de divorce, enchaîne-t-elle, une situation qu’elle reconnaît avoir vécue et qu’elle qualifie de  » grosse cassure dans sa vie « . Plus que ses changements de cap ou de job ( NDLR : jadis, elle était consultante et journaliste) ; dans le boulot d’ailleurs, elle parlerait plus volontiers d’étapes mais pas de ruptures.  » C’est fou comme la société n’évolue pas au même rythme que notre espérance de vie. Si hier on ne se mariait qu’une seule fois et qu’on mourait à 40 ans, aujourd’hui la situation est bien différente et il est normal d’avoir dès lors plusieurs partenaires de vie.  » C’est une chance d’ailleurs de pouvoir vivre plusieurs vies, selon elle. Et d’évoquer ces couples qui racontent avoir pris sur eux pour traverser 15 000 tempêtes, et de trancher :  » Finalement, entre 15 000 tempêtes – passées, présentes et à venir – et une rupture, le choix est vite fait.  »

Fabienne Bister semble de plus en plus impatiente de se remettre au travail. Elle précise alors, vite, qu’elle aime surtout les oeuvres douces aux couleurs qui apaisent, comme certains tableaux de Turner ou de Monet ou les aquarelles en général. Et sur la raison d’être de l’art ? Sans hésiter, elle l’avait noté d’ailleurs, elle souligne qu’avant tout et surtout, l’art sert à exprimer ce qu’on est  » incapable de verbaliser, ou de sortir de soi des choses qui font mal ou qui nous interpellent « . L’art qui lui est le plus familier ? La lecture.  » En général, quatre à cinq romans par mois.  » Et le Club d’écriture de Rochefort auquel elle est affiliée : deux soirs par mois, les membres se retrouvent dans une bibliothèque pour écrire et partager ensuite ce qu’ils ont produit.

A la tête de la moutarderie depuis vingt-neuf ans, Fabienne Bister, 55 ans, confie n’avoir pas dit son dernier mot. Elle rêve toujours de devenir inspectrice du Guide rouge Michelin. Une belle reconversion, finalement, pour une après-carrière…  » Car ce n’est pas parce qu’on est héritière qu’on doit mourir dans son fauteuil.  » Entre l’usine et les bureaux d’Achêne.

Claude Monet (1844 – 1926)

Si l’OEil (Claude Monet) n’avait pas rencontré le Maître des ciels (Eugène Boudin), la peinture n’aurait jamais été la même. C’est le second, en effet, qui a converti le premier à la peinture sur motif (en plein air) et devant son talent de s’exclamer :  » Monet, ce n’est qu’un oeil mais quel oeil !  » La nature, certes, mais pour la première fois, celle-ci quitte le registre des  » états d’âme  » pour exprimer  » l’instant de son éclat « . Pourfendeur de la  » vérité léchée de l’académisme  » qui le hérisse, le peintre ne représentera que ce qu’il ressent pour n’en offrir que la synthèse lumineuse. Alors que ses amis peintres s’attachent principalement au mouvement, Monet, lui, poursuivra inlassablement son désir de fusion totale avec la nature, à Giverny.

Sur le marché de l’art : contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a encore des Monet disponibles à la vente. Au bas mot, 16 millions d’euros. Record à plus de 46 millions.

Contorsionniste, Patricia Timmermans, 53 cm x 38 cm x 16 cm.
Contorsionniste, Patricia Timmermans, 53 cm x 38 cm x 16 cm.© dr

Patricia Timmermans (1962)

Fille et petite-fille de maîtres-verriers (les frères Timmermans), elle vit et travaille à Wavre. Sa sculpture s’inscrit dans la figuration pure tandis que sa peinture, extrêmement colorée, se veut résolument abstraite.

Sur le marché de l’art : bronzes de 1 750 à 2 500 euros. Peintures à moins de 1 000 euros.

Going to the Ball (San Martino),  William Turner, 1846.
Going to the Ball (San Martino), William Turner, 1846.© tate gallery

Joseph Mallord William Turner (1775 – 1851)

Sorte de Trésor national anglais, au même titre que les joyaux de la Couronne britannique ou la reine d’Angleterre, il n’en est pas moins – n’en déplaise aux Français – considéré comme le précurseur de l’impressionnisme. Formé au dessin et à la couleur, il fréquente assidûment la Royal Academy – en participant à presque toutes ses expositions – pour finir par en devenir un membre important. Reconnu de son vivant comme un paysagiste de grand talent, il laisse à sa mort un legs de plus de 20 000 toiles à l’Etat britannique. Depuis 1987, il bénéficie d’une aile entière à la Tate Gallery de Londres.

Sur le marché de l’art : comptez entre 30 et 34 millions d’euros pour ses huiles sur toile. Pour ses dessins – colorés et de grande qualité -, prévoyez quelques centaines de milliers d’euros.

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