Sarkozy, président… du PSG ?

Grand supporteur du club de la capitale et ami du Qatar, l’ancien chef de l’Etat français suit de très près les affaires du Paris Saint-Germain, qualifié pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions. Une passion qui pourrait devenir un plan B pour le cas où son retour en politique échouerait…

Ce soir-là, Nicolas Sarkozy élève à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur le général Jacques Capliez. Devant des élus UMP, il critique à voix basse l’intervention française au Mali. Mais, le 16 janvier 2013, c’est un autre aparté que l’ancien président français va savourer, ici, dans les salons de la mairie du XVIe arrondissement de Paris. L’hôte des lieux, Claude Goasguen, n’aime pas le PSG. Ce n’est pas une raison pour cacher ses opinions. L’ex-chef de l’Etat aperçoit Pierre Ménès, le tempétueux chroniqueur sportif de Canal +, qui, lui, compte parmi les supporteurs du Paris Saint-Germain :  » Vous n’êtes pas comme tous ces journalistes qui ont peur de tout, vous, vous prenez position ! Comment va notre club ?  » Sarkozy sera toujours Sarkozy, avec cette envie de démontrer en tout domaine qu’il domine son sujet mieux que les autres. Il se targue volontiers de pouvoir citer toutes les équipes du PSG depuis 1973, alors ce n’est pas son interlocuteur du jour qui va l’impressionner.  » Saviez-vous, M. Ménès, qu’Ibrahimovic, à 16 ans, a refusé de faire un essai à Arsenal ? Quel caractère !  »

Pour un peu, depuis qu’il ne préside plus la République française, c’est le PSG que Nicolas Sarkozy rêverait maintenant de présider. Pendant l’été, il l’a dit à Louis, l’un de ses fils, qui, étudiant aux Etats-Unis, reçoit des revues de presse sur son club préféré. Il l’a affirmé, avec ce codicille important :  » Si je ne suis pas élu en 2017  » – l’Elysée reste son ex-future priorité, le PSG n’est qu’un plan B, tant son appétit de politique semble insatiable. Sarkozy à la tête du PSG, voilà peut-être une boutade, mais une boutade qui vient de loin. Le 6 février 2010, le Paris Saint-Germain n’a rien d’une équipe de stars mondiales. Au Parc des princes, il fait froid, il fait humide et, en plus,  » on  » perd : Lorient l’emporte 3 à 0. Dans les tribunes, un président supporteur – c’est la première fois qu’un chef de l’Etat en exercice assiste à une rencontre de championnat. Il n’apprécie pas le résultat et prévient :  » Plus tard, je serai président du PSG !  » Et comment se prépare-t-il, le 15 février 2012, quelques minutes avant d’annoncer, sur TF 1, sa candidature à l’élection présidentielle? Le documentaire Campagne intime lève le voile : il regarde, à son domicile, un improbable Dijon-PSG, huitième de finale de la Coupe de France, diffusé sur Eurosport.

Au Parc aussi, Sarkozy se sent chez lui. Après sa défaite face à François Hollande, il y effectue l’une de ses toutes premières réapparitions publiques, le 29 septembre 2012, en assistant à PSG-Sochaux. Avant la rencontre, dans un salon, il fait, encore, toujours, de la politique :  » Ça se passera très mal, il va y avoir une crise sociale « , lance-t-il à ses interlocuteurs. Il sort ensuite du minitunnel, tourne à gauche pour se diriger vers sa place, située au centre de la corbeille. Sur le chemin, il s’arrête, serre des mains, se laisse prendre en photo par les spectateurs assis dans les tribunes adjacentes. Au retour de la mi-temps, il emprunte de nouveau le tunnel, puis tourne… à droite. Rebelote !  » Il se prend une double dose de bain de foule, à un moment où il peut redouter d’être sifflé, comme si la campagne électorale, pour lui, ne s’interrompait jamais « , commente l’un de ses voisins de la tribune officielle. La scène se répétera.  » C’est comme au théâtre, il arrive en avance et se fait applaudir « , note son copain, le sénateur de Paris Pierre Charon. Quelques  » Nicolas, reviens  » fusent.

Dans le carré VIP, le ballon rond facilite retrouvailles et présentations. C’est là qu’un soir de février 2009, à la mi-temps de PSG-Wolfsburg, le président du club de l’époque, l’ami Sébastien Bazin, présente sa fille à Nicolas Sarkozy. Le moment est très particulier : elle était parmi les enfants pris en otage dans une classe maternelle de Neuilly-sur-Seine, en 1993, et libérés grâce, notamment, à l’intervention du maire de la ville d’alors. C’est là que, beaucoup plus récemment, l’ancien chef de l’Etat présente à Nasser al-Khelaïfi, le patron qatarien du PSG (qui cumule désormais cette fonction avec celle de… ministre !), la candidate UMP aux municipales dans la capitale et néophyte de la chose footballistique, Nathalie Kosciusko-Morizet.

S’il aime l’endroit, c’est aussi parce que les autres Sarkozy ne sont jamais loin. Jusqu’à récemment, dans la famille, il manquait le petit-fils. C’est fait : au printemps dernier, accompagné de son illustre grand-père, Solal, 3 ans, a découvert les lieux. Les fils aînés, Pierre et Jean, sont des habitués.  » Quand ils te parlent football, tu sens une vraie connaissance !  » souffle Luis Fernandez, ancien capitaine et ancien entraîneur du club. L’accueil réservé à leur père n’a pas varié depuis qu’il a quitté l’Elysée : hier comme aujourd’hui, il est assis à côté de Nasser al-Khelaïfi, qui le raccompagne généralement jusqu’à sa voiture à l’issue de la rencontre. Pendant le match, pas de commentaires de café du commerce : c’est à cela que l’on reconnaît les spécialistes. Ce qui n’empêche pas Sarkozy, au coup de sifflet final, de filer dans les vestiaires. Cela le fait  » bander « , dixit Charon, de croiser ces stars.

A peine élu, il veut  » parler du mercato  »

Quand un penchant vous conduit à vous occuper de tout, y compris de ce qui vous rebute, comment ne pas intervenir dans ce qui vous passionne ? Nicolas Sarkozy se comporte parfois comme s’il dirigeait le club. En juillet 2009, ainsi que le relatent Bruno Jeudy et Karim Nedjari dans Sarkozy, côté vestiaires (Plon), il reçoit Sébastien Bazin, alors propriétaire du PSG, à la Lanterne, résidence secondaire du président français, où il se repose après son petit malaise. Il souhaite discuter avec lui du futur organigramme. Ensemble, ils valideront la nomination de Robin Leproux comme n° 1. Les échelons inférieurs l’intéressent tout autant. Le 15 avril 2013, lors d’une visite privée à L’Equipe, il s’inquiète :  » J’espère qu’ils vont acheter un bon arrière droit. Dani Alves (NDLR : un Brésilien du FC Barcelone), ce serait super !  » Sur l’entraîneur, il a évidemment son idée, un Français de renom disposant d’une bonne image. Cette idée a un nom, Arsène Wenger, le manager d’Arsenal.  » Devant Carlo Ancelotti (NDLR : le coach, jusqu’en juin 2013), il pouvait dire : il faut Wenger !  » raconte, médusé, Charles Villeneuve. Cet interventionnisme, l’ancien journaliste en sait quelque chose : peu après avoir pris ses fonctions à la tête du PSG, en mai 2008, il était venu présenter son projet à l’Elysée.

Car les dirigeants parisiens n’ont pas intérêt à trop s’émanciper. Le 3 août 2006, l’ancien publicitaire et président du club Alain Cayzac répond aux questions du Parisien. Que penser du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui  » trouve anormal que l’Etat déploie autant de moyens pour assurer la sécurité d’un match de football…  » ? Réponse de lèse-majesté :  » Mais qu’est-ce qu’il propose, le ministre ?  » Coup de fil de  » Sarko  » :  » Je croyais avoir un ami. Tu connais ma passion pour le PSG !  » Les deux hommes auront l’occasion de se réconcilier. En mai 2007, au retour de sa légendaire croisière sur le yacht de Vincent Bolloré, le président nouvellement élu s’apprête à entrer à l’Elysée et à dérouler le plan de son quinquennat. Il appelle donc… Cayzac. Il veut  » parler du mercato « , relate ce dernier. Connaître les futurs membres d’une équipe, ou le rêve de tout supporteur. Et qu’on ne s’avise pas de critiquer publiquement certaines recrues ! Nicolas Sarkozy l’a rapporté à des visiteurs : croisant le journaliste de Canal + Stéphane Guy, il lui a passé un savon au motif que ce dernier avait ironisé à l’antenne sur le montant du recrutement de l’Argentin Javier Pastore, l’équivalent de  » six Téléthons « . L’ex-omniprésident reste un omnisupporteur à qui rien n’échappe.  » Il y a toujours eu beaucoup de fantasmes à propos de son influence « , tempère l’entourage de Nasser al-Khelaïfi.

Sarkozy, le Qatar : deux marques explosives

Vieux routier roublard du monde du football, le responsable du service des sports de Radio France, Jacques Vendroux, laisse la langue de bois au vestiaire :  » Je suis sûr qu’il parle déjà avec les mecs du Qatar du recrutement de la saison prochaine.  » Sarkozy, le Qatar : deux marques volcaniques prises individuellement, explosives une fois réunies. L’ancienne ministre française des Sports Chantal Jouanno l’a bien compris, quand, en juin 2011, après que Doha a racheté Paris, elle lâche sur RMC :  » On aurait préféré que ce soient des fonds français.  » Elle confie aujourd’hui qu’elle aurait  » pu perdre (son) portefeuille à cause de ces déclarations  » et qu’elle a reçu deux coups de téléphone dans la foulée, l’un d’un conseiller de Nicolas Sarkozy, Olivier Biancarelli, et l’autre de l’ami du président Brice Hortefeux.  » Cela ne plaît pas du tout à l’Elysée « , l’informe le premier ;  » Tu n’as pas à te mêler de ça, ce n’est pas le rôle du ministre des Sports « , l’avertit le second. Jouanno ignore à ce moment-là à quel point le président a oeuvré pour ce rachat. Richissimes mais durs en affaires, les Qatariens ont fait traîner la négociation avant de signer un chèque pour s’offrir le PSG, en juin 2011, à Sébastien Bazin. Ce dernier jouait souvent de ses relations :  » Puisque c’est comme ça, j’en référerai au Château.  » Il aura donc fallu que Nicolas Sarkozy mette  » de l’huile dans les rouages « , comme l’écrivent Gilles Verdez et Arnaud Hermant dans Le PSG, le Qatar et l’argent (Ed. du Moment) – ou de la vinaigrette dans la salade. Michel Platini l’a dévoilé le 24 octobre dernier sur Canal + : invité à déjeuner, en tant que président de l’UEFA, par le chef de l’Etat, il découvre qu’il n’est pas seul à table. Ce 23 novembre 2010, l’hôte de l’Elysée a aussi convié le prince du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani et… Sébastien Bazin, aux commandes d’un PSG en quête d’un repreneur.

Lors du passage de Nicolas Sarkozy à L’Equipe en avril dernier, un journaliste l’interroge sur son implication dans le dossier. L’avocat de formation répond par une autre question :  » Est-ce que vous croyez les Qataris suffisamment bêtes pour que, par la seule entremise d’un président de la République, même ami, ils décident de racheter un club ? Ils avaient un projet économique !  » Un projet médiatique aussi : le lancement de la chaîne BeIn Sport, qui concurrence l’insolente Canal +, que Nicolas Sarkozy n’adore pas. Tous les acteurs du dossier le répètent les uns après les autres, l’intervention diplomatique de la plus haute autorité politique hexagonale auprès du Qatar aura été déterminante.

Du Parc des princes aux bureaux de la rue de Miromesnil, nouveau temple d’un sarkozysme au sommeil trompeur, la route est droite. Nicolas Sarkozy garde le lien avec ceux qui comptent ou ont compté. Il a reçu Nasser, mais aussi celui sur lequel il n’a jamais tari d’éloges, le classieux Leonardo, directeur sportif et architecte du PSG contemporain. On l’imagine facilement refaire le match et même plus : transformer en grognards un groupe de joueurs hagards, étouffer d’un souffle le caprice de l’une de ses stars, prendre à témoin la France pour contester une décision arbitrale, ne rien céder face à un agent trop gourmand, voire prononcer un discours triomphateur sur l’esplanade du Trocadéro un soir de victoire en Ligue des champions.  » Il saurait faire, car c’est un mélange d’autorité et de plaisir du jeu « , relève Alain Cayzac, qui connaît bien le job pour l’avoir exercé. Président du PSG… Une boutade, vous dit-on.

Par Tugdual Denis et Eric Mandonnet; T. D. et E. M.

Pendant le match, pas de commentaires de café du commerce : c’est à cela que l’on reconnaît les spécialistes

 » Je suis sûr qu’il parle déjà avec les mecs du Qatar du recrutement de la saison prochaine  » Jacques Vendroux

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