Sarkozy et sa cour

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Le président français profitera-t-il du remaniement annoncé pour faire une révolution de palais ? Dans un livre dont Le Vif/L’Express publie des extraits, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin l’accuse de se tromper de gouvernance. Pendant ce temps, ce sont les villepinistes que le chef de l’Etat courtise…

Nicolas Sarkozy devrait lire Dominique de Villepin. Derrière le combat politique, il y a, dans la pensée de cet adversaire résolu, le vade-mecum pour 2012, ce qu’il lui faut changer en sa gouvernance afin de vraiment présider, mériter d’être réélu et pouvoir continuer à réformer le pays. L’esprit de cour, sous le velours d’une thèse qui balaie les siècles, est d’une violence sans pareille contre le  » système Sarkozy « , bistouri qui met à nu nerfs et viscères du pouvoir actuel. Il dépasse l’habituelle et sommaire comparaison entre Sarkozy et Bonaparte pour inscrire le chef de l’Etat dans une continuité historique et le peindre en parangon de comportements séculaires.

Un monarque qui s’épuise dans l’art de séduire

Selon Villepin, l’actuel président est parvenu à être à la fois monarque absolu et premier des courtisans auprès d’une reine nouvelle : l’opinion. Le souverain en sa cour  » a la peur comme moyen, l’argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique. La politique n’y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l’on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l’intérêt du moment « . Mais, souvent,  » Nicolas Sarkozy n’est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s’épuise dans l’art de séduire l’opinion « .

Ce double corps du roi à la manière Sarkozy, absolu avec son entourage, servile face aux sondages, a eu besoin pour s’épanouir de l’hyperprésidence, cette concentration de tous les pouvoirs à l’Elysée. Si le chef de l’Etat se flatte qu’on ne l’appelle plus, sous son mandat, le  » château « , c’est parce qu’il n’est plus un lieu distant et impressionnant, telles les forteresses de la féodalité ou le Château de Kafka. On entre facilement à l’Elysée parce que tout s’y décide et tout s’y passe : le plein pouvoir est de plain-pied. L’extinction de Matignon et des ministères fait le triomphe des conseillers élyséens, plus puissants que les membres du gouvernement et sans autre existence que la faveur du maître.

Lentement usés, aspirant à d’autres conforts, ayant remisé l’esprit de conquête des années 2004-2007, quand ils avaient la franchise comme glaive et la fidélité comme bouclier, les collaborateurs du président sont devenus son premier ennemi.  » Le malheur du sarkozysme, commente Villepin en marge de son ouvrage, c’est que les gens les plus proches de lui ne sont pas capables de lui dire la vérité.  » La flatterie qui rassure, le  » tout va bien  » lénifiant trompent Nicolas Sarkozy sur l’état du pays et sur l’humeur du peuple. Son cabinet devrait être l’avocat du pays et le confessionnal des corps intermédiaires, il n’est plus qu’une chambre d’écho pour un grand silence coupable, celui des mensonges par omission.

C’est pourquoi l’essentiel du changement doit advenir à l’Elysée : plus qu’un remaniement, c’est une révolution de palais qui est nécessaire à la France. Il faut modifier l’hyperprésidence, en confiant d’autres tâches à Claude Guéant et en rendant un vrai pouvoir à de vrais ministres.  » Il y a intérêt dans le gouvernement à avoir des gens qui existent, recommande Edouard Balladur. Le problème, ce sont les béni-oui-oui.  » Depuis quatre mois, le remaniement annoncé a porté à incandescence les phénomènes de cour. Les bassesses le disputent aux courbettes, chacun se déploie pour être promu, sauf ceux qui se terrent en espérant qu’on les oubliera tant qu’on omettra de les virerà  » Intriguant pour parvenir, conservant pour demeurer  » : Maurepas vu par Villepin, c’est aussi la définition du ministre qui pense remaniement plus que réforme.

L’autre changement qui s’impose à Nicolas Sarkozy, c’est l’abolition de la peine de peur.  » Le pouvoir et la peur sont les deux piliers de la servilité des élites « , note Villepin. Jean-Paul Huchon, qui dirigea le cabinet de Michel Rocard, compare :  » La cour sous Mitterrand, c’était le temps de la complaisance ; sous Sarkozy, celui de la terreur.  » On l’a vu lors des évictions de ministres en juillet, on le voit avec le supplice du remaniement, Nicolas Sarkozy  » humilie trop mais ne punit pas assez « , selon le mot de la reine Hortense sur son beau-père Napoléon.

Lucide sur l’état de la France, volontaire face aux chantiers à mener, réformateur dans l’âme, Nicolas Sarkozy commet depuis trois ans la même erreur : il croit que le succès est une suite d’habiletés, alors qu’il est une combinaison de courages. Tel est le syndrome de la cour.

CHRISTOPHE BARBIER

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