SANTÉ PUBLIQUE

L’épidémie d’obésité frappe de plus en plus les populations des pays occidentaux. Toutes les tranches d’âge sont touchées. Un fait mal pris en compte par les médecins

Les chiffres divergent parfois, les paramètres pris en compte pour les études aussi, mais le constat, lui est sans appel : depuis plusieurs années déjà, les spécialistes observent avec inquiétude nos hausses de poids. Jeunes et plus vieux sont concernés par cette « épidémie d’obésité ». En France, selon une récente enquête, 1 personne sur 10 serait ainsi concernée, soit 9,6 % de la population, contre 8,2 % il y a encore trois ans. Concrètement, cela représente 700 000 obèses supplémentaires. Une évolution très préoccupante.

En cause, par exemple, les heures passées devant la télévision à grignoter, les jeux vidéo ou l’ordinateur qui nous attachent à un siège et nous privent d’activité physique, l’utilisation de l’ascenseur de préférence aux escaliers, celle de la voiture pour aller à la boulangerie pourtant toute proche : voilà autant de comportements sédentaires qui favorisent la prise de poids. Et qui expliquent qu’elle apparaisse de plus en plus tôt. Ainsi, en France, en 1988, seuls 1,8 % des enfants de 4 à 5 ans étaient obèses. Cinq ans plus tard, on en comptait près de 5 %. Et la barre des 10 % vient d’être franchie, soit une multiplication par 5 en douze ans !

« C’est un phénomène physiologique fondamental : dès que l’apport énergétique (sous forme de nourriture, par exemple) est supérieur à la dépense, le surplus se transforme en réserves », explique le Pr Philippe Valet, responsable d’une unité Inserm à Toulouse. A supposer que l’on trouve un jour le médicament idéal qui ferait fondre les cellules, tout ne serait donc pas réglé pour autant. Car, si les graisses ainsi évacuées ne sont pas immédiatement brûlées par l’organisme, elles reviendront sous l’effet du métabolisme naturel dans ces mêmes tissus. Ou, pis, elles iront se déposer ailleurs, sur les artères, par exemple. Avec, à la clé, des conséquences cardio-vasculaires et rénales, voire un diabète débutant dès l’adolescence.

Si la recherche fondamentale piétine, c’est aussi parce que l’obésité est une maladie complexe et multifactorielle. Des chercheurs américains ont ainsi étudié les Indiens d’Arizona, devenus obèses après avoir quitté leur réserve, et ils ont isolé une bonne dizaine de gènes susceptibles de provoquer ou d’amplifier le phénomène. De son côté, Philippe Valet a mis au point des souris transgéniques auxquelles il a intégré une protéine humaine, dont la particularité est de limiter la mobilisation des réserves de graisses en cas d’effort physique. Puis il a soumis ces souris à une alimentation normale. Sans aucun résultat particulier. En revanche, quand il leur a proposé un régime un peu plus riche en lipides, une partie d’entre elles ont rapidement pris du poids. Conclusion : à une prédisposition génétique, qui déterminerait un « effet de seuil » propre à un individu, s’ajouterait un environnement défavorable, lié à l’alimentation mais aussi au comportement de chacun.

Voilà pourquoi, à quantité de nourriture égale, les uns auront très vite de graves complications, alors que d’autres grossiront peu ou pas. Injuste ? Sans aucun doute, et cela explique, pour une large part, le manque d’efficacité des régimes imposés sans tenir compte des caractéristiques personnelles. « Il ne s’agit pas de manger moins à tout prix, il s’agit de manger mieux, insiste Philippe Valet. Chez les patients, cette prise de conscience est réelle. Il serait temps maintenant que, de leur côté, les médecins fassent preuve d’un peu de psychologie. Exiger d’un obèse qu’il aille à la piscine toutes les semaines n’a pas grand sens. En revanche, lui recommander un peu d’activité physique, une balade quotidienne d’une demi-heure par exemple, à un rythme soutenu, voilà qui peut être utile. »

Un autre spécialiste dénonce lui aussi des attitudes « moralisantes, hygiénistes et donc culpabilisantes » de la part des praticiens. Il évoque la « souffrance extrême de ces malades, surmédicalisés en termes de régimes, et sous-médicalisés en termes de soins ». Et la nécessité de soigner les multiples conséquences d’un surpoids, comme les nuits de très mauvaise qualité (30 % d’entre eux souffrent d’apnées du sommeil) ou les douleurs articulaires, qui sont si mal prises en charge. Rappelant qu’il n’existe pas de traitement miracle, que les molécules les plus innovantes n’obtiennent guère mieux que 5 % de perte de poids sur le long terme, le nutritionniste voit néanmoins aujourd’hui deux motifs d’espoir : « Une association de médicaments dont les effets se cumuleront. Et un pragmatisme – récent mais essentiel – du corps médical. En d’autres termes, notre boulot ne consiste pas à appliquer bêtement des recettes stéréotypées. Il consiste à être réaliste et à voir avec le patient ce qu’on peut faire… ou ne pas faire.

Vincent Olivier

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