Albin de la Simone a ouvert la voie d'une nouvelle collection d'albums sans paroles. © GETTY IMAGES

Sans paroles

Sur Happy End, Albin de la Simone coupe le micro et esquisse douze mélodies instrumentales, sereines et apaisées. Un peu de douceur dans un monde de brutes.

Tout le monde n’a pas réagi à la pandémie et au confinement de la même manière. Certains ont profité de ce temps à part pour prendre du recul, d’autres pour se lancer dans de nouveaux chantiers. Albin de la Simone, lui, a calé. Il avait bien prévu de se lancer dans l’écriture de chansons. Pas de bol, en plein lockdown, c’est la panne sèche. « Je dessinais, je jouais du piano, etc. Tout sauf écrire. L’explication? Pour moi, l’une des théories, c’est le manque d’horizon que nous avions tous à ce moment-là. Cette absence de perspectives a pu tarir la source de la création. J’étais vraiment bloqué. Cela étant dit, l’écriture est toujours un moment compliqué pour moi. Autant la musique est fluide, autant les textes demandent pas mal d’efforts. Avec la pandémie, j’ai trouvé l’excuse idéale pour justifier ma mécanique de flemme. (rires) » Les mots manquent, mais la musique, par contre, abonde. Au point de se dire qu’il y a malgré tout matière à un album, pour le coup instrumental.

J’imaginais un disque sans à-coups, ni surprise. Un album à écouter en boucle, dans lequel on peut s’endormir.

Il s’intitule Happy End. Sorti le mois dernier, il compte douze morceaux sans paroles. Des miniatures apaisées et délicates qui, même muettes, continuent de chercher la mélodie douce-amère. Séduit, le label Tôt ou Tard a même décidé d’en faire la porte d’entrée d’une collection qui devrait voir les autres artistes maison s’essayer à l’exercice – Vincent Delerm est le prochain sur la liste. Une illustration parmi d’autres que l’époque – bruyante, chaotique, anxiogène – a besoin de respirer? « Pendant le confinement, je n’avais aucune envie d’entendre des chanteurs français me raconter leur vie intime, confesse Albin de la Simone . J’avais besoin de musiques instrumentales cool. J’écoutais des chansons brésiliennes, dont je ne comprends de toute façon pas les paroles, ou encore le piano de Nils Frahm. » C’est aussi ce genre de paysages musicaux alanguis qu’abrite Happy End, disque engourdi, comme écrasé par le soleil de plomb qui semble régner sur la pochette (le dessin, réalisé par de la Simone, d’une terrasse sur l’île de Stromboli, à l’ombre du volcan).

Albin de la Simone, Happy End, distribué par Tôt ou Tard/Pias.
Albin de la Simone, Happy End, distribué par Tôt ou Tard/Pias.

Flots musicaux

« J’avais toute cette musique qui déboulait en continu, débordant de partout. » D’habitude, Albin de la Simone l’utilise pour ses multiples collaborations: stakhanoviste de la scène musicale hexagonale, le néo-quinqua a coréalisé des disques de Carla Bruni, Pomme, Miossec ; il a travaillé avec Vanessa Paradis, Raphaël, Mathieu Boogaerts ; il a tourné avec Souchon, Salif Keita, Iggy Pop, etc. Avec le confinement, le musicien, qui a fait ses classes dans le jazz, n’a plus pu compter sur ces différents exutoires. « Je suis allé voir mon label en lui expliquant: « J’ai ce robinet à musiques qui n’arrête pas de couler, on pourrait peut-être mettre un seau en dessous et réaliser un album?  » Ils ont tout de suite été d’accord. »

L’idée est alors de s’enfermer seul, avec un ingénieur du son, aux Studios Ferber, à Paris, son repaire habituel. Au passage, il ramène sa collection d’instruments en tout genre: guitares, basses, piano Una Corda, synthétiseurs multiples (Korg, Arp Odyssey, etc.), mandoline… Sur Soleil, qui ouvre le disque, on entend même le bruit d’une balle de ping-pong rebondissant sur le sol. Histoire de ne pas se disperser, Albin de la Simone se donne trois jours, pas un de plus, pour tout enregistrer. « Il me fallait un cadre, un corset. C’est pour cela, aussi, que j’avais besoin qu’un ingénieur du son soit présent: non seulement parce qu’on devait aller vite, mais aussi parce que, quand je suis seul, je m’autodétruis, je n’avance pas. Mon ami Manou Milon (NDLR: créateur des capsules vidéo live Bruxelles, ma belle ) était également présent pour tout filmer. Tout cela vous met forcément dans certaines dispositions, vous ne pouvez pas vous affaler. » Lui qui, jusqu’ici, avait toujours eu besoin de paroles ou de scénarios imaginaires (le spectacle Les Films fantômes) pour canaliser ses compositions, découvre qu’il peut facilement s’en passer. Au besoin, quand le muscle créatif risque la crampe, il tire au sort une carte lui imposant un instrument – « pour certains morceaux, où je n’avais que deux accords, cela a pu aider ».

Affiné avec le temps, l’univers d’Albin de la Simone est directement identifiable. Sur Happy End, cette couleur musicale s’exprime dans des tons apaisés, évacuant tout signe d’agitation. « Ce qui me venait était une musique non seulement sans paroles, mais aussi sans tension. J’imaginais un disque sans à-coups, ni surprise. Un album à écouter en boucle, et dans lequel on peut s’endormir, sans qu’à aucun moment on ne soit secoué. Après, on pourra lui trouver un manque de consistance, ou l’estimer trop léger. Mais c’était ma volonté: qu’on s’y sente bien tout le long. »

Albin de la Simone, Happy End, distribué par Tôt ou Tard/Pias.

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