" M'entendre dire, sans cesse, qu'il faut, désormais, vivre avec ce risque-là est inaudible pour moi. " © HATIM KAGHAT

Sandrine : une envie de désir

Criblé de trous, le chemin de l’après-attentat contraint les victimes à détecter sans cesse les pièges, sous peine d’y tomber. Sandrine y glisse parfois. Elle en sort toujours. Mais elle aimerait que son énergie ne s’alimente pas qu’au stress.

L’enfant prend une carte du jeu Dobble et la pose devant elle :  » Regarde, Sandrine, il y a une bombe dessinée dessus. Comme la tienne, dans la rame du métro, à Maelbeek.  » Il le dit sans malice, sans volonté de faire mal et sans souci de plaire. Il le dit juste parce que c’est vrai. Toutes les bombes se ressemblent… Ainsi en va-t-il avec l’ombre des attentats : elle suit les vivants. Elle les accompagne, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, au fil de leurs heures d’éveil et de leurs nuits les plus noires.

Sur le chemin que Sandrine parcourt depuis le 22 mars 2016, depuis qu’est monté dans sa rame de métro, à quelques mètres d’elle, un homme au sac à dos truffé de mort, marcher droit et d’un pas régulier est difficile. Il y a des nids de poule, des pavés descellés, des flaques d’eau. Puis quelques mètres de sable, doux sous la semelle, rassurant, sans surprises.

Au fil de cette année, Sandrine a slalomé entre ces embûches et ces heures de trêve. Selon les événements, les surprises, les émotions. Un bilan psychiatrique la classe dans les  » troubles post-traumatiques modérés « , c’est-à-dire entre légers et sévères. Faut-il en rire ou en pleurer ? Elle fait les deux. Il y a ces vacances douloureuses, durant lesquelles, faute d’être mobilisée par son travail, elle se retrouve comme nue. Presque obligée, insouciante, de n’être que dans l’envie, et s’en découvrir incapable. Ces temps de pause sont peuplés de cauchemars, comme celui où elle se voit fabriquer de petits bracelets de bombes à mettre aux chevilles. Tiens, un nouveau médecin-conseil l’ausculte ? Jamais le précédent ne l’avait fait.

Il y eut encore, pour Sandrine, la projection des images captées dans la station, le 22 mars 2016, sur lesquelles elle aperçoit quatre sièges quasiment intacts dans la rame et tout le reste, autour, pulvérisé. Pour la première fois, elle comprend alors, avec une force brute, la chance qu’elle a eue de s’en sortir vivante. Quelques jours plus tard, elle envoie ce sms :  » Eblouie par le soleil bas du matin avec la sensation de froid piquant sur mon visage, musique dans les oreilles. Il est 8 h 47 et je me sens vivante. Belle journée.  » Plus tard dans l’année, une tentative d’attentat a lieu à la gare Centrale de Bruxelles.  » M’entendre dire, sans cesse, qu’il faut, désormais, vivre avec ce risque-là est inaudible pour moi « , dit-elle. Et pourtant.

Depuis l’an dernier, Sandrine a changé de gsm et abandonné celui qu’elle avait sur elle le jour des attentats. Elle a aussi remplacé la veste qui lui a sans doute évité des brûlures plus graves, désormais irrécupérable. De simples gestes du quotidien, qui pèsent pourtant des tonnes. Aux survivants d’attentats, tous répètent, sans aucunement comprendre ce que cela représente, qu’il faut tourner la page. Sandrine s’y attelle, à la recherche éperdue d’une douceur, d’une énergie et d’un désir qui lui semblent avoir explosé en même temps que la bombe. Mais il n’y a pas qu’une page à tourner. Et même en plein soleil, au milieu de l’été, ces pages-là ont une ombre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire