Sale temps pour les Belges

Jérusalem recommande à ses ressortissants d’éviter la Belgique, décrite par les médias comme un pays d’extrême droite, pro-arabe et antisémite

« Liste des pays déconseillés aux VIP israéliens. » Au début de la semaine, une équipe de juristes des ministères de la Justice et des Affaires étrangères de l’Etat hébreu a terminé la rédaction d’un document confidentiel destiné aux personnalités politiques et aux hauts gradés de l’armée. Dans ce document, les experts dressent la liste des pays européens que les voyageurs israéliens feraient mieux de ne pas traverser s’ils veulent s’épargner des ennuis judiciaires. Selon le quotidien Yediot Aharonot, qui révélait, mardi, l’existence de cette étude, trois pays sont considérés comme « dangereux »: la Grande-Bretagne (où l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet a été maintenu plusieurs mois en résidence surveillée), le Danemark (où un ex-chef de la Sûreté générale israélienne, promu ambassadeur à Copenhague, est au centre d’une polémique en raison des méthodes d’interrogatoire employées par le service qu’il a dirigé), mais aussi – et surtout – la Belgique, qui se place en tête de cet étrange hit-parade, en raison de la procédure en cours contre Ariel Sharon.

La Belgique n’a jamais été aussi présente dans les médias israéliens que depuis le dépôt d’une série de plaintes pour « crimes de guerre » et pour « génocide » contre le Premier ministre de l’Etat hébreu, en juin dernier. En fait, depuis six mois, il ne se passe pas de jour sans que les radios, les télévisions et la presse écrite évoquent « le procès fait au Premier ministre par un pays qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». Le fonctionnement de la justice de l’Etat hébreu étant différent de celui qui prévaut en Belgique, les chroniqueurs confondent allègrement les actes d’instruction en cours et le procès proprement dit, qui est pourtant loin d’avoir commencé. Pour eux, l’audience de la chambre des mises en accusation de Bruxelles qui examinait, le 28 novembre, le problème de compétence du juge Patrick Collignon, chargé d’instruire les plaintes déposées contre Sharon, fait déjà partie du procès. La Belgique est donc un pays « hostile ». Voire « pro-arabe », ce qui est encore pire aux yeux de la plupart des Israéliens.

De l’ignorance à la diffamation

Certaines interventions journalistiques sont risibles, comme celle, teintée d’ignorance, de cet éditorialiste de Kol Israël (la radio publique) qui prétendait récemment que « ce royaume est dirigé par l’extrême droite ». Sous-entendu: il n’est pas étonnant que la justice belge instruise les plaintes déposées contre Sharon, puisque sa justice est antisémite. Mais d’autres sont carrément diffamatoires. Comme cet article du Maariv (le principal concurrent du Yediot Aharonot) qui accusait, à la mi-août, le roi Albert II « de se livrer à des orgies pédophiles ».

Piqué au vif par le contenu de ce papier (Kol Israël a immédiatement répercuté ces accusations en demandant comment « un pays avec un roi pareil ose se permettre de juger Sharon »), l’ambassadeur de Belgique a écrit au rédacteur en chef du Maariv pour lui demander la publication d’un droit de réponse. « Non », lui a poliment répondu le journal, qui a justifié son refus en affirmant que « ces informations ne sont pas nouvelles ».

Pourtant, les attaques antibelges se sont un peu calmées ces dernières semaines. La presse israélienne continue de suivre « l’affaire » au jour le jour, bien sûr, mais en prenant un peu de distance par rapport aux avis « éclairés » des membres de l’entourage de Sharon et de Shimon Peres, qui lui servent habituellement de seules références.

Vendredi dernier, le magazine d’informations de la première chaîne de télévision Roïm Olam a longuement interviewé Me Adrien Masset, l’avocat belge de Sharon selon lequel « la plainte déposée contre le Premier ministre est irrecevable ». Ce professeur de procédure pénale à l’ULg a confirmé qu’il a récemment rencontré son illustre client (il a effectué un voyage éclair en Israël le 16 octobre en compagnie de Me Michèle Hirsch, l’avocate qui défend l’Etat hébreu dans cette affaire), mais il a également concédé que « rien n’est joué ». Et que le juge d’instruction Patrick Collignon pourrait, à terme, « délivrer contre Sharon un mandat d’amener international » si les magistrats de la chambre des mises en accusation devaient décider qu’il est compétent pour poursuivre l’instruction du dossier. C’est cet avis, ajouté à quelques autres sollicités par la cellule interdépartementale créée dans le courant de l’été à Jérusalem pour suivre ce dossier, qui a poussé les experts israéliens à hâter la publication de leur liste des « pays à éviter ».

Serge Dumont

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