» Salaires ou emploi ? Les syndicats choisiront « 

A quelques semaines du début de la négociation du prochain accord interprofessionnel, les employeurs font grimper la pression.  » Ne commettons pas les mêmes erreurs que dans les années 1970 « , plaide Pieter Timmermans, directeur général à la FEB.

Le compte à rebours a commencé : en novembre, les négociations visant à conclure un nouvel accord interprofessionnel (AIP) pour les années 2009 et 2010 commenceront. Le sort professionnel des quelque 2,5 millions de travailleurs employés dans le secteur privé en dépend. Cet accord détermine, en effet, les modalités de fonctionnement du marché du travail : augmentation des salaires, formation, crédits-temps, etc. Si les patrons et les syndicats ne parviennent pas à s’entendre, il reviendra au gouvernement de monter lui-même au front, ce qu’il rechigne généralement à faire. A quelques semaines de l’échéance, personne ne se montre fort optimiste. Pieter Timmermans, directeur général de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) lance même un avertissement très clair aux syndicats :  » Le sort de l’AIP est entre leurs mains « , affirme-t-il.

Le Vif/L’Express : Quels sont vos objectifs prioritaires à l’entame de la négociation interprofessionnelle ?

Pieter Timmermans : La première question à traiter, c’est celle du dérapage des salaires : par rapport à ceux que l’on paie dans les pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas), ils ont augmenté de 2,7 % ces deux dernières années et de 4 % depuis 1996. Dans la mesure où cette dérive est causée par l’inflation, il faut lui apporter une solution de rattrapage générale, au niveau interprofessionnel. Or, les syndicats refusent tout débat sur l’indexation automatique des salaires ou sur la modération salariale. Ils sont aussi opposés aux réductions des charges.

La réduction des charges, vous n’en avez pas assez de la réclamer sans arrêt ?

Non. Le handicap salarial s’aggrave. Nous sommes bien obligés de mettre ce sujet sur la table parce qu’il est à la base de tout. C’est ce qui explique les restructurations d’entreprises et le remplacement des gens par des machines. Mais oui, c’est vrai, c’est toujours le même discours.

Oseriez-vous demander la suppression de l’indexation automatique des salaires ?

Dans les circonstances actuelles, cela n’aurait pas de sens : ce n’est pas la peine de tenter le coup si on n’a aucune chance de l’emporter. Mais, à terme, si on n’évacue pas les effets pervers de ce système, nous paierons une lourde facture sur le plan de l’emploi.

Quel est le deuxième sujet que vous souhaitez aborder lors de cette négociation ?

Que vaut encore une convention collective de travail (CCT) ? En Flandre, la CCT 2007-2008 prévoyait la paix sociale durant deux ans. Or, plusieurs grèves ont éclaté dans le secteur de la technologie et la procédure de démarrage des arrêts de travail n’est plus respectée. Les employeurs demandent le respect des CCT. Les employeurs en ont assez : sans arrêt confrontés à l’importance des coûts salariaux, ils ont l’impression que la concertation ne fonctionne pas et qu’en plus, elle ne sert à rien, puisque les CCT ne sont pas appliquées.

Quel est le message que vous adressez aux syndicats ?

Voilà ce que je leur demande : va-t-on commettre les mêmes erreurs que dans les années 1970, lorsqu’on a laissé filer les salaires, ou en 1993, quand le gouvernement a finalement dû imposer un blocage des salaires dans le cadre du Plan global ? Il faut que l’on discute dès à présent soit des salaires (de leur blocage, par exemple), soit de leur indexation automatique, soit de la réduction des charges, soit des moyens de corriger le dérapage salarial. J’entends que les syndicats évoquent la possibilité de grèves et d’actions – la FGTB vient d’appeler à une journée d’actions nationale avant le 14 octobre – et réclament une augmentation du pouvoir d’achat de 10 %. Je sais ce qui va se passer : les entreprises payeront. Mais, dans un an, le chômage aura fortement progressé. C’est aux syndicats de dire s’ils veulent augmenter les salaires maintenant ou préserver l’emploi à moyen ou long terme. La conclusion de l’AIP est entre leurs mains. J’ajoute que les entreprises ne peuvent pas dépenser deux fois le même euro : si les salaires augmentent, elles ne financeront pas, en plus, la formation ou le deuxième pilier des pensions.

N’assiste-t-on pas au traditionnel exercice de musculation qui précède toujours le début de la négociation de l’AIP ?

Un peu, c’est vrai. Mais je n’ai quand même jamais connu un handicap salarial de 4 %. La situation économique actuelle est très difficile. Dans ces moments-là, il faut une politique courageuse. Je le dis d’abord aux partenaires sociaux. De grâce, ne faisons rien qui mette l’AIP en danger ou qui le rende plus difficile à conclure que les précédents. Moi, je fais tout ce qui est possible pour arriver à un accord. J’essaie de mettre en place un climat de confiance avec les syndicats.

Que se passera-t-il si la négociation échoue ?

Les salaires risquent de déraper complètement et, après les élections régionales de juin 2009, le gouvernement devra prendre des mesures drastiques, comme lors du Plan global de 1993. Mais qu’il ait le courage, alors, de fixer la norme salariale – qui détermine dans quelle mesure les salaires peuvent augmenter en Belgique tout en restant concurrentiels par rapport aux salaires des pays voisins – par arrêté royal, c’est-à-dire sous forme contraignante.

Vous êtes pessimiste ?

Je crains qu’il n’y ait pas d’AIP : s’il ne permet pas d’augmenter la compétitivité des entreprises et d’assurer la paix sociale, il ne présentera aucun intérêt pour les employeurs. Pourquoi le signeraient-ils ?

Les risques pour le climat social sont réels…

En effet. Si aucun accord n’est conclu et qu’il n’y a pas de confiance entre les interlocuteurs sociaux, j’ai bien peur que le chaos s’installe et que l’emploi en soit la victime finale.

Le contexte politique actuel n’aide évidemment pas, d’autant que le gouvernement ne dispose d’aucune marge budgétaire pour donner un coup de pouce aux interlocuteurs sociaux.

Ce sont des priorités à fixer. Le moment est venu de dire qu’il faut garder les pieds sur terre. Que les responsables politiques trouvent une méthode pour sortir de la crise communautaire, afin qu’elle ne perturbe plus tout le temps le débat socio-économique. Il faut essayer de calmer le jeu de ce côté-là car la question la plus importante, actuelle-ment, est bien socio-économique : l’inflation est élevée, les investissements des entreprises sont sous pression, ce qui menace le volume de l’emploi, la croissance est plus faible que prévu…

Vous avez des craintes pour les finances publiques ?

J’ai peur d’un dérapage parce que nos dépenses augmentent plus vite que nos recettes. Notre tissu économique n’est pas assez fort pour financer toutes nos dépenses. On va donc dans le mur.

C’est un reproche que vous adressez au gouvernement ?

Non. C’est un appel direct à mieux maîtriser les dépenses.

Quelle solution préconisez-vous pour augmenter le pouvoir d’achat ?

Il faut diminuer l’impôt sur les personnes physiques pour les bas et moyens salaires, mais à condition de coupler cette mesure à la maîtrise des salaires. Le gouvernement fédéral devrait aussi financer des mesures ciblées pour les 10 % de gens qui ont vraiment des soucis pour boucler leurs fins de mois, dans le même esprit que le Fonds mazout. Tout le monde ressent le recul du pouvoir d’achat mais pour 90 % des Belges, c’est supportable. Pour les autres, en revanche, c’est un vrai problème. Ces mesures devraient être ponctuelles : il ne faut pas qu’elles restent d’application lorsque l’orage sera passé. l

Entretien : Laurence van Ruymbeke

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire