Safaris, villas et cætera

Juan Carlos tire l’éléphant – et son peuple, le diable par la queue ! Alors que plusieurs pays européens pataugent dans la récession économique, les familles royales, visiblement, ne connaissent pas la crise…

Un chômage record, une croissance amorphe, des banques fragilisées, des entreprises au bord du gouffre, des ménages surendettés : les plaies non soignées de leur économie exsangue laissent les Espagnols chaque jour un peu plus KO… Pourtant, le 18 avril dernier, c’est la photo d’un éléphant mis dans le même état, ou plus vraisemblablement abattu – on lui a redressé la tête, en coinçant ses pauvres défenses autour d’un tronc d’arbre, comme si le mastodonte était seulement  » sonné  » -, qui inflige un puissant électrochoc aux Ibères. Leur roi, Juan Carlos Alfonso Victor Maria de Borbón y Borbón Dos Sicilias, le  » querido patron  » (le cher patron), comme l’appellent affectueusement son fils Felipe et ses concitoyens, pose devant la bête, fusil au bras. Amateur de chasse africaine au gros gibier, le chef d’Etat s’est déjà rendu plusieurs fois au Botswana. On l’a vu naguère accroupi entre deux dépouilles de buffles, dans la plus pure tradition Indiana Jones. Cette fois, la prise est à nouveau bonne, mais sa portée, dramatique, en termes d’image… Publié sur le site Web de l’entreprise organisatrice  » Rann Safaris « , le cliché de cette ultime escapade cynégétique n’aurait en effet pas fait le tour de la planète si Juan Carlos, blessé à la hanche au cours de sa dernière expédition, n’avait pas dû être rapatrié d’urgence à Madrid… A son retour, la critique enfle. Des Espagnols enragent sur Twitter : le roi a-t-il le droit de disparaître ainsi dans un voyage secret au Kalahari ? Comment peut-il y dépenser 60 000 dollars (le tarif du seul package  » 14 Day Elephant Safari « , vols non inclus) pour un passe-temps privé (sans compter que le pachyderme relève d’une espèce protégée), alors que l’Espagne, plongée dans la crise, multiplie les plans d’austérité ?  » Ce genre de distraction, pendant que le pays se serre la ceinture, donne l’impression que le roi vit très loin de son peuple « , doit bien admettre un conservateur du Parti populaire (libéral et centre-droit) au pouvoir.

Ce n’est pas qu’une impression. Juan Carlos n’est pas le seul dirigeant à mal mesurer, actuellement, les conséquences de loisirs à tout le moins  » inappropriés  » en période de récession.  » En dépit des discours ambiants, les membres de plusieurs familles régnantes, aveuglés par leurs habitudes de confort et sans doute incapables d’y renoncer, ont toutes les peines du monde à  » s’arrimer  » un tant soit peu à la réalité économique « , constate un observateur des monarchies européennes. La semaine de la virée maudite du roi d’Espagne, la presse rapportait perfidement l’acquisition, par le prince Willem-Alexander et la princesse Maxima des Pays-Bas, d’un petit coin de paradis grec : une propriété avec piscine, marina et plage privées, située à proximité du village pittoresque de Douroufi, dans le Péloponnèse. Dont coût : 4,5 millions d’euros. Toujours la même semaine, la présence, à Paris, de Philippa Middleton, la belle-s£ur du prince William, aux côtés de fêtards qui n’avaient pas hésité à brandir, pour jouer, un revolver factice au nez de paparazzi, a incité la presse britannique à creuser les raisons qui ont mené la s£ur de la future reine d’Angleterre dans la capitale française. Et, shocking, c’est bien à une soirée  » décadence  » organisée par le styliste Arthur de Soultrait que Pippa avait choisi de s’encanailler, après avoir écumé les boutiques de luxe alentour. Hilare en robe fuchsia et dorée, jouxtant son ami emperruqué et tenu en laisse, la jeune dame confirmait la suspicion entourant les enfants Middleton, jugés par les Anglais comme particulièrement  » oisifs et privilégiés  » :  » Les images de Philippa, bras dessus bras dessous avec ses copains idiots affublés d’accessoires bondage, sera difficile à effacer de la conscience nationale « , a prédit The Daily Beast, site Web d’infos américain.

Sans doute n’est-il pas nécessaire d’aller si loin. Les yachts d’Albert II, les voitures puissantes de Laurent et, dans une moindre mesure, les tenues et sacs à main ultra-chics de Mathilde (bien qu’il lui arrive d’user les mêmes, lors de certaines visites officielles) rappellent que les  » royals  » aiment à dépenser sans compter. Autant de signes extérieurs de richesse  » qui heurtent davantage les gens quand le pouvoir d’achat du commun des mortels baisse « , relève un blogueur de la sphère royale. Le renouvellement, à l’été 2009, de la flotte de plaisance destinée à nos souverains (l’ Alpa« , pour Albert et Paola, 27 mètres, 30 n£uds et 4,6 millions d’euros) avait d’ailleurs fait grincer pas mal de dents, plusieurs politiciens et citoyens mettant en parallèle cette grosse dépense et le contenu des discours royaux du 21-Juillet, où Albert n’hésite jamais à convoquer le thème de la  » crise « .  » En même temps, en Belgique comme en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, les gouvernements, embarrassés par les achats de leurs souverains respectifs, n’opposent généralement à leurs petites (et grandes) folies que des silences gênés. Ou se retranchent alors derrière l’argument qu’il s’agit là de  » matière privée « … A noter : dans certaines régions du globe (en Asie, notamment), le faste qu’exhibent les maisons royales ne dérange personne. En Europe, ce qui choque, c’est l’exhibition, l’aspect ostentatoire d’opulence, de la part de ceux qui représentent la nation. Des  » people  » qui claquent leur galette à tout-va, ça gêne moins que lorsqu’il s’agit de reines et de rois… Ainsi, les escarpins en veau noir Jimmy Choo (600 euros la paire) de Kate, duchesse de Cambridge, commencent-ils à passer difficilement, dans une Angleterre frôlant les 8 % de chômeurs. Quant aux Liboutin d’Asma al-Assad, ils sont depuis longtemps montrés du doigt par les défenseurs du peuple syrien…

Donc, l’on dépense, on dépense, on dépense, souvent sourd(e) aux critiques plus ou moins ouvertement exprimées pas ses  » sujets « . Seule Rania de Jordanie a récemment fait mine de sabrer dans son budget vestimentaire, mais davantage à cause de la contestation de la rue, liée au printemps arabe, qu’en raison de la crise économique. L’unique frein qui, finalement, semble ralentir les royals dans leurs envies consuméristes serait… leurs propres manques de liquidités. L’Histoire regorge de monarques obligés, un jour ou l’autre, de tirer sur les rênes par  » défaut de moyens « . Bao Dai, dernier empereur du Vietnam, mort en 1997 à l’hôpital du Val- de-Grâce à Paris, a toujours eu beaucoup de mal avec la modération. Exilé à Cannes, l’intempérant a été contraint de réduire drastiquement son train de vie, avant de déménager en Alsace. Surveillé par l’administration fiscale française, il dut vendre peu à peu ses biens… Même déconvenue pour Christophe de Grèce (1889-1940) et sa seconde épouse la princesse française Françoise d’Orléans (1902-1953)…

Face au marasme économique, la reine d’Angleterre s’est aussi vue contrainte de limiter quelque peu les frais. En 2009, le coût de l’entretien de la famille royale pesait près de 51 millions d’euros sur les contribuables britanniques. Un plan d’austérité a été mis en place, pour l’abaisser à… 47 millions d’euros l’année suivante. Ainsi, il arrive quelquefois à Kate de choisir désormais ses fringues chez Topshop (une enseigne de prêt-à-porter), et à Letizia d’Espagne, de  » recycler  » les siennes, ou d’acheter chez Zara et Mango. Chez nous, personne n’a encore entendu nos royals promettre de s’habiller C&A ou de dîner au Lunch Garden. Seul Laurent, qui s’approvisionne à l’occasion en bonbons au  » bollewinkel  » du Woluwe Shopping Center (sortie métro), fait gaffe à sa bourse, puisqu’il quémande chaque fois au revendeur un rabais sur ses sachets de lards et sûrs mous.

VALÉRIE COLIN

En Europe, ce qui choque, c’est l’exhibition, l’aspect ostentatoire d’opulence, de la part de ceux qui représentent la nation

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