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Sacré Elvis

Incarnation suprême du rock’n’roll originel, Elvis Presley fut d’abord un fervent admirateur et pratiquant de gospel. Ce que rappelle une nouvelle compilation inspirante.

Elvis a été nommé quatorze fois aux Grammy Awards mais n’en a remporté que trois, tous liés à ses interprétations de gospel. Dont celle de How Great Thou Art, hymne chrétien suédois du xixe siècle, dont la traduction anglaise, au milieu des années 1920, marque l’Amérique croyante, Sud en tête. Le chanteur y déploie une ferveur flattant les ourlets magiques de la voix, prenant d’ailleurs tous les rôles, de la basse grondante aux élévations angéliques de l’aigu.  » Un quartet vocal à lui tout seul « , dira un journaliste américain à la sortie du disque en 1967. Si How Great Thou Art impressionne, il n’est que l’un des quatorze titres de l’album Where No One Stands Alone publié tout récemment à l’occasion du 41e anniversaire de la mort de Presley.

Le disque consiste en des réenregistrements gardant forcément le chant original, avec de nouveaux arrangements et backgrounds – notamment les choeurs d’époque de Darlene Love et Cissy Houston (la mère de Whitney) entre autres. Loin de sonner comme une resucée à des fins commerciales, l’entreprise est étonnamment prenante dans la diversité des tempos qui glissent sans heurts du rapide Saved à la ballade superslowée So High, des langueurs célestes de You’ll Never Walk Alone à celles pareillement élévatrices de Where No One Stands Alone. Où Elvis se retrouve en duo (post mortem) avec sa fille Lisa Marie, impressionnante d’intensité. Le tout atteste bien du lien charnel entre gospel et rock’n’roll fébrile, en particulier celui des années 1950-1960. Une double décennie qui confirme le blason d’Elvis en roi d’un territoire où cohabitent les genres précités, auxquels on ajoutera naturellement blues et country.

CD Where No One Stands Alone chez Sony Music.
CD Where No One Stands Alone chez Sony Music.

Drôle de paroissien

Le tutoiement avec Dieu commence tôt et en famille : chez les Presley, on est pentecôtistes, branche chrétienne où l’évangélisme est convoyé dans un Saint-Esprit missionnaire. Peut-être simplement parce que, classiquement, la religion exacerbée combat ici une douleur précise : celle de la mort à la naissance du jumeau d’Elvis, Jesse Garon. Faille ontologique accentuant la dévotion de Presley ? Probable. D’autant que la musique sert d’exutoire, le terme  » gospel  » n’étant jamais que le mot anglais pour dire  » évangile « . L’éducation d’Elvis se fera donc à l’église où, môme, il admire les chanteurs, s’esquivant de la messe blanche pour filer écouter les choristes d’une cérémonie black voisine.

Depuis un premier EP sorti en 1957 – vendu à un million d’exemplaires -, Elvis ne quittera jamais le répertoire religieux : enregistrant de son divin larynx de sublimes bondieuseries, se chauffant systématiquement au genre avant d’enregistrer en studio, et passant des années nocturnes à gospeliser lors de ses insomnies d’après-récital à Las Vegas. Voué aux gémonies par les zélotes fifties qui considéreront ses déhanchements comme diaboliques, Elvis était de fait un drôle de paroissien : une superstar qui, dès son come-back de 1968, travaille avec des choristes afro-américains. Et qui, un peu plus tard, demandera à l’ultraconservateur et raciste président Richard Nixon de devenir agent spécial du FBI…

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