» S’il n’y a plus de pensions, il n’y a plus d’Etat ! « 

Un an pour revoir le système des pensions ? Chiche ! C’est le pari de la  » Conférence nationale  » lancée en fin de semaine.

Michel Jadot est l’ex-patron du ministère de l’Emploi et du Travail, l’ex-président du Conseil national du travail et l’ancien président du Conseil général de l’assurance soins de santé. Aujourd’hui retraité, il est toujours président de l’Union nationale des mutualités socialistes. Réputé pour son franc-parler – il s’est notamment opposé frontalement à la réforme Copernic – l’homme a été désigné  » Monsieur Pensions  » par Marie Arena (PS), ministre fédérale de l’Intégration sociale, des Pensions et des Grandes villes.  » Mon statut de pensionné ne fait pas seulement de moi une main- d’£uvre à bon marché, lâche-t-il, taquin. Il me confère aussi une certaine légitimité.  » Ainsi, il est chargé d’animer la  » Conférence nationale des pensions « , dont le coup d’envoi officiel est donné ce vendredi 28 novembre.

Le Vif/L’Express : Une  » Conférence nationale des pensions  » : ça sent la  » grand-messe  » électoraliste, non ?

Michel Jadot : Non. Pour la simple raison qu’on ne pourra pas brandir, d’ici à juin 2009, une  » grande  » réforme des pensions. Les mesures que nous prendrons dans les prochains mois ne porteront véritablement leurs fruits que plus tard. Mais ces réformes, il faut les décider. J’ai la faiblesse de croire que si Marie Arena m’a choisi comme  » animateur  » de cette task force, c’est qu’elle ne veut pas d’une grand-messe : je suis très mauvais pour cela. Elle connaît mon mauvais caractère…

On parlera donc seulement des pensions légales, c’est-à-dire du  » premier pilier  » ?

Non. Mais, pour ce qui me concerne, c’est ce premier pilier qui doit être privilégié. La crise financière prouve que le système des pensions légales doit faire l’objet de soins attentifs de la part des pouvoirs publics. Cela dit, je n’ai rien contre le  » deuxième pilier  » ( NDLR : les assurances-groupe et fonds de pension sectoriels). Mais qu’on ne vienne pas me dire, comme certains le suggèrent, que  » les pensions légales sont là pour assurer le minimum vital, tandis que les pensions complémentaires permettent d’assurer le bien-être « . Là, je cale…

Pourquoi ?

Mais parce que le droit à la pension est une pierre essentielle de notre solidarité ! Les actifs paient pour les inactifs, les malades et les chômeurs sont  » assimilés  » à des cotisants, les veufs qui n’ont pas travaillé ont droit à une pension  » dérivée « , ceux qui n’ont jamais cotisé ont quand même droit à une pension minimale, etc. Solidarité et assurance : tels sont les deux piliers du système légal. Le principe  » assurantiel « , c’est ce qui permet d’obtenir un montant de pension plus élevé que le montant de base. Les retraités sont  » assurés  » d’un montant calculé sur la base de leurs cotisations. Cela devrait leur permettre de vivre décemment. Aujourd’hui, hélas, ce n’est pas toujours le cas.

D’où le recours aux pensions complémentaires…

N’oublions pas que les assurances-groupe et autres fonds de pension ne concernent que 50 % de la population. Et que ce deuxième pilier est le plus souvent  » imposé  » au travailleur, par l’entreprise qui adhère à ce système. Or ce dernier a un coût. Pour le travailleur, à qui on prélève souvent une cotisation, et pour le patron, qui y va de sa poche : cela augmente d’autant le coût salarial. Pour les caisses de l’Etat, cela représente un manque à gagner de dizaines de milliards de déductibilités fiscales.

Il y a aussi le  » troisième pilier « , à savoir les assurances-pension individuelles…

Pour moi, cela n’a rien à voir avec le sujet  » pensions « . C’est de l’épargne individuelle, qui a cette particularité de coûter cher à l’Etat. Des centaines de millions d’exonérations fiscales (830 euros par personne et par an), que je ne comprends pas bien…

Mais comment ne pas comprendre l’engouement pour ce genre d' » épargne  » ? Cela fait dix ans que l’on fait peur aux futurs pensionnés en leur disant :  » Attention, dans quelques années, l’Etat ne pourra plus vous payer votre pension ! « 

Qui tient de tels propos ? Précisément ceux qui ont intérêt à encourager les deuxième et troisième piliers, c’est-à-dire, notamment les compagnies d’assurances et les banques ! Ces temps-ci, cependant, on les entend moins…

Les pouvoirs publics ont également contribué à nourrir les peurs, en créant un fonds de vieillissement censé palier le choc démographique, et puis en cessant de l’alimenter !

C’est vrai. Personnellement, j’étais contre ce fonds. Il aurait mieux valu concentrer toutes les énergies à faire diminuer la dette publique. Cela fait quelques années qu’on n’alimente plus ce fonds, effectivement, par manque de sous. Parallèlement, la dette publique va augmenter, à cause de la crise bancaire. Bref, ce fonds ne sert à rien. Et j’ai peur qu’en cette période de disette on soit tenté d’utiliser les quelque 17 milliards qu’il contient à d’autres fins.

Vous ne niez donc pas qu’il y a un problème de financement des pensions légales ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que, pour le moment, il y a surtout un petit problème de financement des  » retraites  » qui ont été placées en sicav, par exemple… Vous savez, l’Etat paiera toujours les pensions. S’il devait cesser de le faire, il n’y a plus d’Etat. Plus de pensions légales, plus de pensions complémentaires : plus rien ! Cela dit, il est clair que les pouvoirs publics auraient dû prendre à bras-le-corps le dossier des pensions légales voici quinze ans au moins. Mais ce n’est pas parce que le sursaut est tardif qu’il faut le condamner. Aujourd’hui, la pension légale apparaît comme un pis-aller par beaucoup de gens, parce qu’elle est effectivement trop basse. On n’en a pas adapté les montants en fonction de l’évolution des rémunérations ( NDLR : on ne les a pas  » liées  » au bien-être), elles ont donc décroché par rapport aux salaires. Il faut revoir cette situation.

Vous venez avec ça aujourd’hui, alors que les caisses de l’Etat sont vides !

Améliorer le  » taux de remplacement  » ne se fera pas en un an. On ne va pas grever le budget de l’Etat pour 2009. C’est une opération de longue haleine, qui exige une volonté politique. Diminuer la pression fiscale ? Augmenter les salaires ? Augmenter les pensions ? On ne peut évidemment pas tout faire !

Les actifs d’aujourd’hui paient pour les pensionnés. Or le nombre d’actifs diminue, tandis que celui des pensionnés augmente…

Le système de répartition, c’est comme la démocratie vue par Winston Churchill : c’est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. Mais, pour qu’il puisse tenir le coup, il faut effectivement augmenter le taux d’emploi, qui est chez nous l’un des plus faibles d’Europe.

Augmenter l’âge de la retraite ?

Non : augmenter l’âge effectif auquel, en Belgique, on quitte le marché du travail. A cause de tous les mécanismes permettant de partir prématurément, l’âge moyen du départ à la retraite est de 58 ans, au lieu des 65 ans prévus. Du coup, le taux d’emploi ( NDLR : proportion d’actifs par rapport à la population en âge de travailler) est insuffisant. Surtout dans la tranche des 55 ans et plus. Alors que l’espérance de vie, elle, ne cesse d’augmenter.

Comment faire ?

Il faut encourager les plus âgés à rester au boulot. Leur assurer une formation continue. Et un bien-être au travail. Leur accorder des avantages financiers, fiscaux, pour les inciter à rester au boulot, même au-delà de l’âge de la pension. Dissuader les patrons de se débarrasser d’eux. Et peut-être apporter quelques corrections au système salarial : je ne suis pas sûr que le système actuel – l’échelle barémique basée sur l’âge du travailleur – soit nécessairement le meilleur… l

Entretien : Isabelle Philippon

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