Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Vingt ans après leur formation, R.E.M. et Depeche Mode produisent, l’un comme l’autre, un album parfaitement achevé, d’une vénéneuse mélancolie

A priori, réunir R.E.M. et Depeche Mode dans un même commentaire, lors de la sortie de leurs albums respectifs, peut sembler incongru. Stylistiquement parlant, peu d’éléments musicaux unissent jusqu’ici l’électro-pop des Britanniques et le post-rock des Américains. Pourtant, au-delà d’une parenté d’âge des musiciens (autour de la quarantaine) et d’une simple gémellité historique – les deux groupes ont été formés en 1980 -, l’écoute du Reveal de R.E.M. et du Exciter de Depeche Mode place l’auditeur dans le même type d’hypnose semi-amniotique, caressé par de nombreuses ballades qui annoncent, chez l’un comme chez l’autre, un état de bienveillance, voire de grâce.

Chez Depeche Mode, c’est d’abord la conséquence du changement radical opéré par le chanteur Dave Gahan dans sa propre vie. On connaît la fameuse histoire de la « mort annoncée » de Gahan (un arrêt de coeur de deux minutes suite à une overdose) et du « miraculeux » rétablissement de ce drôle de paroissien alcoolisé et imbibé de drogues dures, exilé au soleil trompeur de Californie. Si la désintoxication de Gahan s’est naturellement faite dans les souffrances qu’implique ce genre d’addiction, le prix à payer fut également artistique.

Si le Ultra de 1997 annonçait un chanteur en voie de réhabilitation, beaucoup de fantômes traversaient encore les sentences vocales de Gahan. Quatre années plus tard, le tout frais Exciter constitue la meilleure prestation de sa carrière: dans un titre tel que Breathe, son timbre, profond, possède assez de brillant et d’électricité pour réchauffer toute électronique placée à son contact. Pareillement, le sens du mystère guidé par le compositeur en titre du groupe, Martin Gore, conduit toujours des structures bizarres qui rôdent comme des ovnis sur des nappes de synthés chaudes et une guitare électrique qui décline des climats réminiscents des BO de David Lynch. Le meilleur morceau du lot s’appelle When the Body Speaks et constitue une métaphore d’électrocardiogramme: de fait, c’est le coeur même du groupe, sa fragilité annoncée, qui résonne d’une étrange douceur. C’est aussi l’aveu d’une certaine transparence sentimentale, ce que Depeche Mode a toujours plus ou moins évité. A l’écoute de ce disque, ils ont certainement eu tort.

Nouveau règne pour R.E.M.

La donnée est un peu différente pour R.E.M.: le groupe d’Athens, Géorgie, a parsemé ses deux décennies d’existence de ballades scintillantes et d’excellents tempi mesurés (comme dans Man on the Moon). Pourtant, le profil commercial et artistique du trio (réduit à cette formule depuis le départ du batteur Bill Berry, en juillet 1998) n’a jamais réussi à égaler le R.E.M. du début des années 90.

La surmédiatisation du contrat avec Warner – pour une somme supposée de 80 millions de dollars – n’a pas été totalement étrangère aux pressions diverses sur la formation. Reveal est un disque suffisamment splendide pour croire que la vie (re)commence véritablement au-delà de la quarantaine, y compris en matière rock! On peut bien évidemment collecter les indices sonores d’un tel succès – production subtile et arrangements diversifiés, voire osés -, mais le disque s’avère attachant, d’abord par l’exceptionnelle qualité des mélodies, pratiquement toutes profilées de la même et aérienne manière. Ce qui n’est pas tellement bizarre dans la mesure où le chanteur Michael Stipe explique cette quasi-absence de gravité par le fait qu' »une grande partie du disque parle effectivement d’ascension ». Elevation de l’âme et désir de ne donner aucune lourdeur à la musique: les douze nouvelles chansons créent un effet paradoxal de densité importante, de grâce véritablement mercuriale. Dans ce processus de création, ni R.E.M. ni Depeche Mode ne se réinventent véritablement, mais tous deux donnent l’impression d’être pleinement vivants, célébrant ce qui vaut vraiment la peine d’être vécu et chanté.

Depeche Mode: CD Exciter, chez Pias. R.E.M.: CD Reveal, chez Warner.

Philippe Cornet

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