Rock Le pa pyboom

Julien Bordier Journaliste

Dans les années 1960, les Beatles, les Rolling Stones, Bob Dylan et compagnie incarnaient la jeunesse, le scandale et la révolte. Cinquante ans plus tard, ils ne songent toujours pas à la retraite. Mais qu’est-ce qui fait courir les vieux rockeurs ?

Ils reviennent. Qui ? The Who. Les deux survivants du quatuor londonien, le chanteur Roger Daltrey, 68 ans, et le guitariste Pete Townshend, 67 ans, repartent en tournée.  » Nous pensons que c’est le rôle d’un artiste de continuer jusqu’à ce que ce ne soit plus possible « , a déclaré Roger Daltrey. Oui, c’est bien ce même Roger Daltrey qui braillait en 1965 dans My Generation :  » J’espère mourir avant d’être vieux  » – un principe que l’exubérant batteur du groupe, Keith Moon, a, lui, respecté à la lettre.

 » Un mouvement lié au mythe de la jeunesse éternelle « 

Des Beach Boys à Bob Dylan, de Paul McCartney aux Rolling Stones, les stars des années 1960 monopolisent l’actualité. Après avoir survécu aux drogues, au punk, au disco et à David Guetta, ces icônes affrontent aujourd’hui un autre ennemi : le temps. Comment vieillir sans passer pour un has been ? Comment continuer à faire la Une de Rock & Folk plutôt que celle de Plus Magazine ? Dès 1967, Paul McCartney se posait la question dans When I’m Sixty-Four :  » Auras-tu encore besoin de moi quand j’aurai 64 ans ?  » Il en a aujourd’hui 70. A chaque retour d’une rock star aux cheveux teints, on se demande si l’heure de la retraite n’a pas sonné. Mick Jagger avait raison quand il entonnait Mother’s Little Helper :  » Quelle barbe de devenir vieux !  »

Contrairement au blues, au folk ou au jazz, l’association rock et troisième âge provoque un certain malaise. L’explication est simple :  » Le rock est un mouvement musical lié au mythe de la jeunesse éternelle « , analyse Michka Assayas, auteur du Dictionnaire du rock (Bouquins). Un sentiment renforcé par les décès précoces de Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrison.  » [Pendant la tournée d’août-septembre 1970], on avait l’impression que les interviews portaient avant tout sur notre âge et sur le temps qu’on espérait durer, se souvient Mick Jagger dans Rolling Stones : 50 ans de légende (Flammarion). A plusieurs reprises, j’ai répondu à mon interlocuteur que je plaquerais tout quand j’aurais 30 ans. Tout le monde avait l’air de croire qu’il fallait être jeune pour faire du rock’n’roll. Je pense que nous avons réussi à démontrer le contraire.  »

 » Brian Wilson, c’est le Jean-Sébastien Bach du xxe siècle « 

Certes, le chanteur des Rolling Stones fait toujours référence en matière de roulement de hanches. Mais le voilà condamné ad vitam aeternam à incarner le même rôle : attitude provocante et pantalon moulant. Pis, ce qui pouvait paraître scandaleux à 20 ans frise franchement le ridicule à 69 ans. Certains morceaux feraient presque passer le rockeur anobli pour un vieux lubrique.

Neil Young, le bien nommé, résiste mieux aux outrages du temps. N’ayant cessé de changer de casquette musicale au cours de sa carrière, le Canadien est moins prisonnier de son image. Bob Dylan pourrait être rangé dans la même catégorie. Mais, à force de faire sa diva en concert, il est devenu de plus en plus pénible. Parfait dans le rôle de la vieille grand-mère insupportable qui se plaint des courants d’air. Et que penser des septuagénaires Beach Boys, qui, dans leur dernier album, That’s Why God Made the Radio, continuent de chanter les joies du surf et des vacances à la plage ? Si on est toujours admiratif devant cette pièce du musée de la pop, on ressent comme une gêne face au déni de réalité de la part de Brian Wilson et de ses camarades. Hé, les garçons, nous ne sommes plus en 1966 !

Malgré les rides, les chansons, elles, restent éternelles. Ce n’est pas un scoop : Johnny Hallyday, 69 ans, n’est plus L’Idole des jeunes. Ce qui ne l’empêche pas de fredonner sur scène ce tube de 1963. L’£uvre est totalement déconnectée du contexte de sa création. Si le message est dépassé, reste le mythe. Résultat : les concerts des papys du rock font le plein et attirent plusieurs générations.  » En juillet 2011, les Beach Boys ont joué au Grand Rex, à Paris, devant un public de 7 à 77 ans, se souvient Simon Turgel, directeur de Veryshow, organisateur de concerts. Il y avait des quinquas, des familles, mais aussi des jeunes de 18 à 25 ans venus en groupe pour toucher du doigt une part de rêve, goûter une époque qu’ils auraient voulu vivre et qu’ils ont redécouverte grâce à Internet.  »

Et on peut compter sur les groupes pour entretenir la flamme du culte. Cet automne, les Rolling Stones vont célébrer leur demi-siècle de longévité avec un documentaire retraçant leur sulfureuse histoire, en attendant, peut-être, une nouvelle tournée, voire un album tout neuf. A l’instar des Beatles et du projet Anthology, publié en 1995, les artistes prennent en main le récit de leur propre mythologie. Certains tentent même de récrire l’histoire. Sur son double album Back in the U.S. Live 2002, Paul McCartney, désireux de se mettre en avant, avait inversé l’ordre des crédits des chansons des Beatles, la légendaire signature Lennon-McCartney, suscitant l’ire de Yoko Ono. Sir Paul n’a pourtant pas besoin d’enjoliver son héritage. Pour le compositeur Howard Goodall, qui prépare un documentaire pour BBC Two sur le musicien, l’ex-Beatles est à ranger au côté des grands créateurs comme Schubert, Mozart, Verdi ou Puccini.  » Les Beatles ou Pink Floyd, c’est désormais de la musique classique, précise Michka Assayas. Ils appartiennent au patrimoine. Brian Wilson, c’est le Jean-Sébastien Bach du XXe siècle.  »

Même en voie d’extinction, les dinosaures du rock continuent de créer. Avec plus ou moins de bonheur. Au début de l’année, Paul McCartney a commis un album de reprises de standards de jazz des années 1920 à 1940. Avec tout notre respect pour l’artiste, Kisses on the Bottom est un disque vieux jeu. On préfère largement plonger dans le bain de jouvence de Banga, le dernier Patti Smith, 65 ans. Quant à Bob Dylan, il faudra attendre Tempest, le 10 septembre, pour se faire une idée de la santé artistique de l’auteur de Blowin’ in the Wind, cinquante ans après la sortie de son premier 33-tours.

L’amour de la musique reste bien sûr leur principal moteur, même si partir en tournée permet de rembourser ses dettes et de payer ses impôts. Il faut voir Shine a Light, le concert des Rolling Stones capté par Martin Scorsese. Quand débarque le légendaire bluesman Buddy Guy, Keith Richards et Mick Jagger redeviennent de jeunes ados fans de blues. Que pourraient-ils faire d’autre ? Ils ne sont  » bons qu’à ça « , pour reprendre une réponse célèbre de l’écrivain Samuel Beckett à la question  » Pourquoi écrivez-vous ?  »  » C’est comme un shoot ou un rail de coke, certains ne peuvent pas se passer de la scène « , estime Simon Turgel. Comment ne pas être bluffé par l’énergie d’un Bruce Springsteen, qui, à 62 ans, assure encore des concerts marathons de trois ou quatre heures ?

Pour tenir, finis les excès

 » On peut voir une certaine forme d’insolence chez ces septuagénaires, analyse Claude Chastagner, auteur de De la culture rock (PUF). Ils semblent nous dire : « Regardez comme je suis vieux, et comment je continue à profiter de la vie. »  » Alors, pour tenir, finis les excès. Iggy Pop, 65 ans, cultive un jardin potager dans sa maison de Miami, pratique le tai-chi et ne se couche plus après 23 heures. Voilà pour le corps. Côté (mauvais) esprit, le parrain du punk continue de surprendre. A l’écoute d’Après, album dans lequel il revisite la chanson française, on balance entre respect et fou rire.  » Pour bien vieillir, il faut une forme de légèreté et d’humour, de finesse et d’élégance, recommande Michka Assayas. Le punk Iggy Pop a toujours fait attention à être là où on ne l’attendait pas.  » Rien d’étonnant, finalement, à ce que l’Iguane croone sur Joe Dassin. Ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire des grimaces.

JULIEN BORDIER

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