Robert Urbain, ou la chute d’Icare

En démissionnant de son poste de commissaire à l’expo universelle de Shanghai, l’ex-ministre PS Robert Urbain a signé, à sa façon, un ultime coup d’éclat. Portrait d’un vieux renard rusé, qu’on imaginait insubmersible.

C’est l’histoire d’un homme parti de rien, ou presque, et arrivé tout en haut, ou presque. L’histoire d’un homme attiré par les sommets, qui a gravi bien des montagnes et survécu à bien des revers, faisant preuve, en toutes circonstances, d’une ténacité frôlant l’inouï. L’histoire, aussi, d’un homme fasciné par les dorures du pouvoir. Au point de s’aveugler ?

Tel Icare, ce héros de la mythologie qui s’est brûlé les ailes à trop vouloir s’approcher du Soleil, Robert Urbain (78 ans) vient de chuter brutalement. En juin 2006, au terme d’un parcours politique fleuve, l’ancien ministre socialiste avait pourtant su rebondir, et de belle manière : il avait alors été nommé commissaire général pour l’exposition universelle de Shanghai (qui débutera en mai 2010). Une fonction de prestige et d’apparat, comme les aime cet ancien prof de maths, doté d’un art de l’entregent exceptionnel. Sauf que… Robert Urbain a démissionné le 1er juin dernier, dans un climat délétère.  » Quand je suis arrivé, rien, absolument rien n’avait été fait « , vient de déclarer au Soir le CD&V Leo Delcroix, qui lui a succédé au poste de commissaire général.

Ami d’Albert II

Triste fin de carrière pour cet homme né à Hornu, au c£ur du Borinage. Devenu député en 1971, Robert Urbain entre deux ans plus tard dans le gouvernement d’Edmond Leburton, comme secrétaire d’Etat pour l’Aménagement du territoire et le Logement. Il intègre ensuite les exécutifs de Leo Tindemans, Wilfried Martens et Jean-Luc Dehaene. Avec une prédilection pour le poste de ministre du Commerce extérieur, qu’il exerce en 1980 et 1981, puis de 1988 à 1995. Au fil de ses innombrables (et parfois rocambolesques) missions économiques à l’étranger, Robert Urbain noue une relation d’amitié avec le prince Albert, futur souverain. Ceci explique, chuchote-t-on, la rapidité avec laquelle il a reçu le titre de ministre d’Etat, dès 1998. On relèvera aussi ses amitiés avec le régime libyen du colonel Kadhafi et son rôle dans la libération, en 1989, du Dr Jan Cools détenu au Liban.

Au sein du gouvernement, Robert Urbain scotche les Flamands par sa connaissance du néerlandais.  » Quand je suis entré au gouvernement, seuls deux hommes politiques francophones parlaient le néerlandais : Robert Urbain et Melchior Wathelet « , se rappelle Louis Tobback, ancien ténor des socialistes flamands.

Après une déjà longue carrière ministérielle, Robert Urbain a encore été sénateur de 1995 à 1999. Il est, de plus, resté bourgmestre de Boussu jusqu’en décembre 2006. Une longévité qui révèle une capacité d’adaptation exceptionnelle. Ce que confirme à sa manière Jacques Rétif, ancien échevin PS à Boussu, passé chez Ecolo par dégoût, dit-il, pour l’autoritarisme de son bourgmestre :  » Robert Urbain, c’est le prototype du politicien carriériste. Je dirais même qu’il n’est ni de gauche, ni de droite. Sur sa table de chevet, vous trouverez plutôt Machiavel que Marx. « 

Robert Urbain s’est-il nourri des préceptes de Machiavel, magistral théoricien de la Realpolitik ? En tout cas, il a toujours flairé d’où venait le vent. Lorsqu’il quitte l’enseignement pour entrer à la province de Hainaut, en 1958, il se place aussitôt dans le sillage de Richard Stiévenart, l’homme fort de la fédération Mons-Borinage. En 1981, une élection particulièrement serrée oppose Guy Spitaels et Ernest Glinne, tous deux candidats à la présidence du parti socialiste. Robert Urbain appuie sans réserve le premier. Bingo : Spitaels gagne, et restera plus de dix ans à la tête du PS. Robert Urbain manifeste le même flair lorsqu’Elio Di Rupo émerge : il le soutient contre vents et marées, contrairement à d’autres barons, comme Maurice Lafosse et Jacques Donfut, qui font tout pour empêcher l’ascension du jeune espoir montois.

 » Ah, Rrrroberrrrt Urrrrbain… « , s’esclaffe Ernest Glinne, en mimant l’accent borain de son ancien ennemi. Toujours conseiller communal à Courcelles, l’ex-idéologue relle du PS a la dent dure.  » Robert Urbain, on peut le comparer à un aéronef planeur, qui va là où le vent le pousse, décoche-t-il. Ce n’est pas un inquiet, du moment que la carrière se poursuit, toujours vers le haut. Avec lui, c’est simple : quand quelqu’un est puissant, il en fait le culte. Après avoir défendu mordicus la Belgique unie, il est soudain devenu fédéraliste, en 24 heures, quand il a senti qu’André Cools devenait vraiment fonceur en matière de fédéralisme. « 

Sur ses terres de Boussu, Robert Urbain règne en maître absolu. Il est capable de se mettre dans une colère noire parce qu’une secrétaire a laissé une faute d’orthographe dans un courrier. Ses missions économiques le  » retiennent  » loin du Borinage ? Pas de souci : il convoque ses échevins à son domicile, le dimanche à 7 heures du matin, voire à Zaventem, entre deux avions.  » En 1993, lorsque je suis venu à Boussu pour un débat sur les pensions, organisé par Robert Urbain, j’ai été impressionné par la force de mobilisation, le sens de la hiérarchie et l’organisation du PS, relate l’ancien ministre Freddy Willockx (SP.A). A la fin du débat, vers 13 heures, j’ai dit que j’étais disponible pour répondre aux questions. A ce moment-là, Robert Urbain a mis en garde le public : pas trop longues, les questions, car le match des Francs-Borains commence à 14 h 30. Les militants étaient priés d’aller encourager l’équipe de foot locale… « 

Lorsque son dernier mandat de bourgmestre s’achève, en 2006, Robert Urbain le vit comme un crève-c£ur. Le nouveau bourgmestre de Boussu, Jean-Claude Debiève, devra d’ailleurs patienter plusieurs mois avant que son illustre prédécesseur consente à vider les lieux, et à lui céder son prestigieux bureau.

FRANÇOIS BRABANT

 » Un aéronef planeur, qui va là où le vent le mène « 

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