Robert Andersen  » Décret Mixité : on nous fait un mauvais procès « 

Exceptionnel : le premier président du Conseil d’Etat exprime son agacement. Des politiques accusent la cour d’avoir engendré le fiasco législatif des inscriptions scolaires. C’est injuste et petit.

Le décret Mixité sociale, censé organiser les inscriptions dans les écoles francophones, a tourné au fiasco. Certains politiques en rejettent la responsabilité sur les juristes du Conseil d’Etat.

C’est surprenant et peu élégant. D’autant que, sur le plan juridique, l’avis rendu par la section de législation ne prête pas le flanc à la critique.

Joëlle Milquet, présidente du CDH, soutient que  » le Conseil d’Etat nous a conduits à l’erreur « .

C’est un mauvais procès. Prétendre que le Conseil d’Etat a commis une faute en suggérant le tirage au sort, c’est déplacer les responsabilités. Nous n’avons pas choisi le tirage au sort, nous n’avons fait que nous prononcer sur le plan juridique. On nous reproche en somme de ne pas avoir fait de politique ! Le paradoxe est étonnant. Chacun son rôle : le Conseil d’Etat a rempli le sien, qui est de conseiller au plan strictement juridique le gouvernement et le Parlement.

Le Conseil d’Etat est un bouc émissaire facile pour se dédouaner ?

Des considérations politiques ont pu conduire certains à porter un jugement critique sur le travail du Conseil d’Etat. Quand bien même celui-ci se serait trompé, ce que je conteste fermement, il y aurait plus de grandeur à assumer la responsabilité politique que de s’y soustraire en chargeant autrui.

Charger ainsi le Conseil d’Etat, cela devient une manie de la part du monde politique ?

Il y a, ces derniers temps, une tendance à critiquer le Conseil d’Etat. Or nous servons l’Etat sans chercher aucunement l’affrontement avec le pouvoir politique. Mais nous sommes en droit d’attendre des politiques qu’ils nous témoignent un peu de respect.

En ne tenant pas compte des avis préventifs du Conseil d’Etat, le législateur ne s’expose-t-il pas après coup aux foudres de la Cour constitutionnelle ?

Le risque existe. Le rôle du Conseil d’Etat est d’exercer un contrôle a priori et d’allumer des clignotants. La Cour constitutionnelle contrôle a posteriori la légalité des textes de loi. Les deux juridictions sont le plus souvent sur la même longueur d’onde.

Il arrive de plus en plus souvent que les gouvernements passent outre aux feux clignotants ?

Non, les avis du Conseil d’Etat sont en grande majorité pris en compte, quel que soit le niveau de pouvoir envisagé.

Vous êtes le poil à gratter du pouvoir politique. Cela l’irrite de plus en plus ?

Nous ne sommes pas là pour soutenir telle ou telle majorité, peu importe sa couleur. Mais pour veiller à ce que les textes légaux  » tiennent la route « .

On est souvent loin du compteà

Les textes de loi sont le fruit d’un compromis politique. Mais on n’évalue probablement pas assez les effets de ces textes avant de les adopter. Des études d’impact sont nécessaires.

Sous l’ère Verhofstadt, le gouvernement a envisagé de rogner l’essentiel des compétences de la section législation du Conseil d’Etat. C’était dans le but de vous museler ?

Je ne puis sonder les reins et les c£urs mais la menace a été écartée. Le gouvernement a comblé le manque d’effectifs qui nous empêchait de rendre nos avis dans les délais prévus.

Les magistrats du Conseil d’Etat peuvent tenir la cadence ?

Oui, mais en travaillant bien souvent le week-end. De septembre 2007 à septembre 2008, la section de législation ( NDLR : 12 conseillers et 25 auditeurs) a fait face à quelque 1 600 demandes d’avis, venant de tous les niveaux de pouvoir. On a parfois de la peine à tenir le rythme.

Entretien : Pierre Havaux

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