Revalidation : la meilleure approche trop peu utilisée

Koen Peers déplore que ses collègues s’orientent encore trop souvent vers des thérapies dépassées. Il plaide aussi en faveur de plus d’activité physique en guise de traitement, d’autant que cette approche est souvent la plus efficace !

Il y a quelque temps, Koen Peers (médecin, professeur et chef du service de médecine physique de l’UZ Leuven) a été contacté par un jeune sportif, qui voulait un second avis concernant une opération prétendue urgente. D’après le rapport de radiologie, il souffrait d’une déchirure complète du quadriceps.  » Il est rentré dans mon bureau en marchant normalement. Une opération n’était donc absolument pas nécessaire « , relate le Pr Peers. Il s’agit selon lui d’un exemple particulièrement éloquent de la tendance de certains médecins à définir leur stratégie sur base des rapports d’examens sans vraiment prendre en considération le patient.  » En plus, nous savons de longue date que la majorité des déchirures musculaires et tendineuses guérissent parfaitement sans opération. Ce ne sont pas les preuves qui manquent ! En Finlande, par exemple, 90 % des ruptures du tendon d’Achille ne sont plus opérées… Chez nous, c’est l’inverse car nous nous détournons de ces preuves et persistons à pratiquer à l’ancienne : nous sommes en retard d’une guerre sur nos collègues finlandais.  »

Le corps humain n’est pas un meccano dont on peut détacher et remplacer des pièces. » Koen Peers, médecin spécialiste en revalidation à l’UZ Leuven

Koen Peers n’est d’ailleurs pas le seul à le dire. Le British Journal of Sports Medicine, une revue scientifique prestigieuse, a publié il y a quelques mois un aperçu schématique des 11 meilleures recommandations de bonne pratique dans la prise en charge des douleurs musculo-squelettiques (voir les étapes en bas de page). Avec des preuves bien étayées.

L’Homme n’est pas un robot !

La première recommandation est d’adapter les soins médicaux au patient. Cela semble évident, mais Koen Peers constate que c’est souvent le contraire. Il cite l’exemple d’une patiente atteinte d’une fasciite plantaire, un problème courant caractérisé par une douleur lancinante à l’arrière de la plante du pied, juste avant le talon. Peu avant, elle était partie en citytrip et avait beaucoup marché, environ 15.000 pas par jour contre moins de 1500 habituellement.  » Face à ce problème, de nombreux médecins prescrivent d’emblée des semelles de soutien ou autres, alors que celles-ci n’ont leur place que bien plus loin dans le plan de traitement (étapes 9 et 10). Et si cela ne suffit pas, ils demandent une radio, qui révèlera avec un peu de malchance des traces de calcification ou d’inflammation… Toute l’attention va alors se focaliser sur ce petit détail qu’il suffit, croit-on, de traiter pour résoudre le problème. Or c’est rarement le cas, car l’homme n’est pas un meccano dont on peut détacher et remplacer les pièces : il fonctionne comme un tout. Nous nous perdons dans les détails plutôt que de regarder la patiente en face de nous, hors contexte. Nous ne pensons pas à lui demander ce qu’elle a fait les jours précédents – une question toute simple qui aurait immédiatement fait prendre conscience que le meilleur conseil à lui donner aurait été de se ménager dans l’immédiat puis de prendre l’habitude de marcher davantage pour améliorer sa condition physique et se préparer à un prochain citytrip. Malheureusement, la plupart des médecins n’y pensent pas.  »

Ce genre de message passe difficilement dans le domaine de la médecine. Les progrès de l’imagerie, qui livre des détails de plus en plus précis, sont évidemment une excellente chose puisqu’ils permettent de meilleurs diagnostics. Le revers de la médaille est qu’on observe aussi de plus en plus de détails qui semblent un peu curieux de prime abord, alors qu’ils ne font en réalité que refléter des variations d’un état parfaitement normal. Dans le doute, ils sont toutefois facilement qualifiés d’anormaux… et de là, il n’y a qu’un pas pour qu’ils soient considérés comme pathologiques et nécessitant un traitement.

Le médecin aux commandes

Les médecins ont aussi trop rapidement tendance à surestimer les avantages de leur approche et à en sous-estimer les inconvénients. À les en croire, l’intervention qu’ils proposent se déroule toujours sans le moindre problème… mais dans les faits, ce n’est souvent pas le cas, et le patient n’en est guère informé.  » Nous demandons aujourd’hui pour chaque dossier une déclaration signée où le patient assure qu’il a reçu toutes les informations nécessaires et que toutes les thérapies et complications potentielles ont été abordées avec lui. Ce n’est pas souvent le cas, souligne le Pr Peers. On ne lui explique pas, par exemple, qu’une déchirure du tendon d’Achille peut aussi guérir sans opération. Et forcément, si on ne le lui dit pas, il ignore que cette option existe.  »

Pire : les médecins aggravent parfois la situation en choisissant la mauvaise solution.  » En cas d’arthrose, par exemple, alors que nous savons parfaitement qu’il est important de continuer à bouger pour entretenir ses muscles et ses articulations, il n’est pas rare qu’ils recommandent à leurs patients de se ménager. Un conseil d’autant plus déplorable que, du coup, certains ne bougent plus du tout de peur de mal faire et se retranchent derrière le fait que ‘c’est le docteur qui l’a dit’. Un comble, dans un contexte où le manque d’activité physique, plutôt que l’excès, est déjà responsable de tant de problèmes ! En tant que médecins, nous devrions justement investir beaucoup plus dans (la thérapie par) l’exercice. Cela permettrait de réaliser des économies colossales sur toutes sortes d’autres traitements.  »

Revalidation : la meilleure approche trop peu utilisée

Certains rétorquent que ce sont les patients qui exigent tel ou tel traitement, une façon de retourner les choses que Koen Peers a en horreur !  » Il est absolument injuste de rejeter la faute sur le patient. C’est nous qui sommes aux commandes, nous qui sommes formés, nous qui détenons les connaissances. Convaincre les gens d’accepter une approche qui va les obliger à bouger demande beaucoup plus de temps et d’efforts qu’un traitement pour lequel ils ne devront pour ainsi dire rien faire : une attitude souvent bien enracinée, mais le médecin ne doit pas céder ! Et bien sûr, il est aussi beaucoup plus facile de faire peur aux gens. En cas de rupture des ligaments croisés, par exemple, on brandit souvent le risque d’arthrose, alors qu’une opération n’y changera rien et que près de la moitié des patients obtiendront d’excellents résultats avec une simple rééducation. Si vous leur dites que leur état va s’aggraver s’ils n’agissent pas rapidement, vous risquez fort de les pousser vers un traitement qui ne sera pas forcément le meilleur choix dans leur cas spécifique. Il nous revient de leur exposer toutes les possibilités et conséquences, et de les motiver à faire eux-mêmes ce qu’ils peuvent.  »

La formation des médecins aussi devrait évoluer à cet égard, car les exemples vus par les étudiants au cours de leurs stages ne sont pas toujours les plus opportuns. Koen Peers les interroge toujours, ensuite, sur la manière dont ils traiteraient par exemple un conflit sous-acromial, une douleur à l’épaule qui se manifeste lorsque le patient lève le bras. Ce problème courant découle largement d’une mauvaise posture, qui provoque un coincement de la partie supérieure de l’humérus dans l’articulation scapulaire à l’origine d’élancements douloureux. Là aussi, le traitement devrait reposer essentiellement sur des exercices… mais, d’après le spécialiste, ce n’est aujourd’hui pas assez le cas.  » Les étudiants ont pratiquement tous eu l’occasion de voir ce genre de problème et, dans les trois quarts des cas, le patient se voyait proposer en première intention une piqûre de corticostéroïdes sans aucune mention d’exercices thérapeutiques. Dans le meilleur des cas, cette injection réduira temporairement la douleur, mais sans s’attaquer à sa cause. En tant que traitement unique, c’est donc par définition un mauvais choix. Tous ces étudiants ont par conséquent été exposés à de mauvais exemples et ont appris une mauvaise approche.  »

Bouger, ça marche !

Pour Koen Peers, il ne fait aucun doute que des exercices thérapeutiques sont beaucoup plus efficaces que nombre de traitements utilisés à l’heure actuelle. Les médecins devraient avoir davantage confiance en cette approche et communiquer cette confiance à leurs patients.  » Ce n’est pas en soupirant que bouger pourrait ‘peut-être’ être utile que vous allez motiver le patient. Malheureusement, c’est ce qui est observé dans la pratique quotidienne. Nous pouvons et devons mieux faire, informer les gens et examiner avec eux comment ils pourraient accroître leur niveau d’activité physique. Les patients ont besoin de conseils concrets ; leur recommander de faire au moins une fois le tour de la maison communale tous les jours suffira parfois déjà à les mettre en mouvement. Lorsqu’ils reviennent à la consultation, il faudrait aussi leur demander très concrètement ce qu’ils ont déjà fait. Faites-leur raconter comment cela s’est passé, s’ils y ont pris plaisir, ce qui leur a pesé. C’est souvent une excellente manière d’en apprendre davantage et d’entrevoir de nouvelles possibilités.  »

En guise de conclusion, Koen Peers revient sur son jeune sportif victime d’une lésion musculaire. Il lui a expliqué comment se rétablissent les muscles et les tendons et l’a renvoyé chez lui avec des conseils sur les activités sportives envisageables. Il se porte aujourd’hui à merveille – un message encourageant et utile pour chacun d’entre nous !

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