Retrouver meilleure mine

Traversée par une Sambre sanglée dans des murs de béton, symboles d’un développement urbanistique entièrement asservi à l’industrie, Charleroi est à la croisée des chemins. Favoriser la réappropriation de la ville par ses habitants, voilà ce que la majorité locale rêve de réaliser. Mais les moyens font encore défaut.

S’il est bien une ville wallonne que tout le monde peint résolument en gris, où peu de monde rêve spontanément de travailler ou d’habiter, c’est bien Charleroi. Pourtant, il suffit de venir voir la vie locale de plus près pour nuancer les couleurs. A l’instar du groupe flamand Abli, qui décide, dès 2005, de lancer une promotion immobilière de près de 200 appartements sur les hauteurs de Couillet, convaincu des possibilités d’avenir du Pays noir d’hier et d’aujourd’hui.

Le gris, tant au propre qu’au figuré, la plus grande métropole wallonne voudrait bien lui tourner le dos. L’exemple le plus emblématique ?  » Prenez le drapeau de Charleroi : je ne connais aucune autre bannière au monde qui mette le gris en toile de fond. Mais ça va changer « , sourit le bourgmestre Jean-Jacques Viseur (CDH). Et de pointer les atouts à faire valoir, aéroport en tête, et les enjeux à affronter. Ce dossier tente d’en évoquer quelques-uns des plus saillants. Comme la gare de Charleroi Nord ou les nouveaux développements du métro, qu’on annonce pour 2012. Mille jours calendrier, pas un de plus.  » On veut aller vite pour soulager nos problèmes de mobilité « , entend-on à l’hôtel de ville. Ou la rénovation complète de la Ville basse, pilotée sous l’égide du projet Phenix. Ce projet d’envergure devrait accorder une seconde chance à cette zone tombée un peu en déshérence. Tant via des réaménagements publics que des projets privés (tel que Rive Gauche, du duo De Vocht-Engelstein). Ou encore la rénovation de la Ville haute, sorte de Phenix bis : le conseil communal du 25 mai devrait entériner l’adoption d’un concours de projets de rénovation des voiries, espaces publics et places.

Une ville asservie à l’industrie

Ramener les citoyens dans le centre : parmi les grosses cités wallonnes, Charleroi détient le taux le plus faible de retour à la ville (0,7 % contre 2,5 %), tendance pourtant bien marquée ailleurs.  » Nous voulons concentrer nos travaux sur quelques années, afin de rapidement transformer cette ville en c£ur de métropole sans prolonger indéfiniment les nuisances « , martèle le mayeur qui, comme pour donner plus de crédit à ses promesses, assure ne pas vouloir se représenter en 2012. Contrairement à la Cité ardente, sa s£ur rivale de toujours, Charleroi n’a pu se bâtir sur un centre historique : tout son développement urbanistique a été soumis à la mise en valeur de l’industrie, focalisée 200 ans durant sur les réserves de charbon plus évidentes à extraire et exploiter sur place qu’à déplacer. Le pôle industriel qui, dans les souvenirs de Jean-Jacques Viseur, employait près de 55000 ouvriers quand il était encore enfant, ne nourrit plus que quelque 3000 personnes aujourd’hui. Et encore : Duferco, l’acteur local de taille, reparle ces derniers jours de nouveaux licenciements lourds.

Les séquelles, autres qu’humaines ? Des friches industrielles gigantesques fortement polluées et quelques lourdes décisions d’aménagement quasi irréversibles, qui font du c£ur de Charleroi le centre-ville wallon le plus violé par son lourd passé industriel.  » Le ring est l’exemple parfait de ce qui, du point de vue urbanistique, ne doit pas être fait. D’autres villes, comme Bilbao, ont également été asservies à l’industrie, mais elles ont réussi à inverser radicalement le cours des choses « , lance Eric Massin. De là à voir les édiles locaux nourrir des rêves de Guggenheim, il n’y a qu’un pas. Et d’en appeler, sous forme de boutade, à Albert Frère, le voisin le plus fortuné, en rêvant d’une fondation à son nom installée à Charleroi.

De façon plus réaliste, il se dit au collège que Charleroi pourrait, d’ici à 20 ans, accueillir 50000 âmes supplémentaires. Qui s’ajouteraient aux 201000 habitants répertoriés à l’heure actuelle. Sur les 30 dernières années, c’est tout sauf anodin, la ville a gagné 30000 habitants… mais en a vu fuir 50000.  » Il faut prendre le taureau par les cornes et favoriser la construction massive de logements au centre-ville. La très grande chance de Charleroi, c’est d’avoir un territoire qu’on peut véritablement travailler : nous disposons de réserves foncières exceptionnelles et bon marché dans le c£ur urbain « , avouent de concert le bourgmestre et son échevin. Qui pointent un autre atout peu connu : quelque 20 % de ce centre-ville est constitué de parkings publics, donc des fonciers dont la ville est propriétaire et maître d’ouvrage.

Un important travail sur le développement durable devra également être mis en £uvre, histoire que le slogan du bourgmestre  » Passer du pays noir au pays vert  » trouve un écho dans la réalité quotidienne. Un exemple un peu décentré vient de se concrétiser : l’énorme projet privé Città Verde, à Farciennes, qui a dû résolument changer son fusil d’épaule pour décrocher son visa. Environnement oblige !

Les finances,  » le cauchemar permanent « 

Dans les cartons carolos, deux projets devraient enfin se débloquer après la date butoir électorale du 7 juin, qui fige momentanément toute décision d’importance : la réhabilitation du site Charleroi Expo (pour lequel le promoteur Foruminvest trépigne depuis des années) et l’épineuse et récurrente question du stade de foot qui, ville après ville, semble griser les tempes de toutes les équipes dirigeantes en place. La balle est, en partie, dans le camp de la Région. D’où la prudence toute contextuelle.

Autre ambition affichée par la ville : créer une cité administrative pour regrouper des fonctionnaires abondants, à peu près un millier, mais mal répartis et mal logés. Deux projets d’ampleur devraient donner un coup de pouce à la ville dans sa quête de réhabilitation. Reste à la ville à se dégager de  » son pire cauchemar « , pour reprendre les mots d’Eric Massin : les finances.  » Nous sommes toujours pris à la gorge à ce niveau « , reconnaît Jean-Jacques Viseur, brièvement ministre des Finances au fédéral (1998-1999) en remplacement de Philippe Maystadt. Les recettes par habitant sont en effet les plus faibles des neuf villes du cluster wallon cher au plan Marshall. Le paradoxe : Charleroi ne se débat pas avec son ardoise passée, vierge, mais bien avec ses besoins d’investissements pour l’avenir.  » La Région nous a dit, dans la répartition établie par le Fonds des communes, qu’elle avait pour vocation de régler les problèmes du passé, pas de s’intéresser au futur. Nous avons un triple handicap : l’image, bien sûr, le fait que nous soyons sans doute la métropole la moins endettée et cette réalité qu’au moment où les décisions de financement ont été prises à la Région, aucun ministre carolo ne siégeait dans le gouvernement « , regrette-t-on à la Ville. Une des solutions possibles pour renflouer les caisses : la vente d’une partie des 475 bâtiments municipaux.

 » Je suis très sérieux : nous faisons preuve de plus de transparence qu’aucune autre ville wallonne. Mais il faut qu’on nous donne les moyens de rejouer notre rôle de métropole. Sans quoi… « , conclut le bourgmestre.

Philippe Coulée, Stephan Debusschere, gérald de hemptinne, Guy Verstraeten et Cécile Wolfs

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire