Untitled, David Hammons, 2000. © David Hammons

Retour à Paris

On n’y croyait plus. Après plus de six mois de fermeture, la France rouvre enfin ses musées et ses centres d’art. L’occasion de mettre le cap sur la capitale pour faire le plein visuel tant attendu.

Le voyage à Paris s’impose en raison d’une affiche particulièrement alléchante – bien sûr, le déplacement est à accomplir en respectant à la lettre les mesures sanitaires. Nous avons retenu ce qui nous semble les cinq temps forts de ce retour aux affaires plastiques.

A tout seigneur, tout honneur, la visite qui s’impose en priorité est celle de la Bourse de commerce. Difficile de ne pas avoir entendu parler de cette ancienne halle au blé, transformée en lieu consacré aux marchés à terme au moment de l’Exposition universelle de 1889, accueillant désormais une partie de la collection de l’homme d’affaires François Pinault. Cet édifice à plan circulaire se doit d’être découvert pour au moins deux raisons. La première tient au fait que l’architecte Tadao Ando s’est chargé de la restauration du bâtiment ainsi que de sa transformation en musée d’art contemporain labyrinthique. A lui seul, le cylindre de béton gris, conçu pour être temporaire, habillant l’espace vaut le déplacement en ce qu’il signe une manière d’oxymore visuel abouchant le spectacle à l’humilité. L’autre motif pour ne pas passer à côté de ce patrimoine magnifié tient à la personnalité de Pinault lui-même. Si, comme il le confie régulièrement, l’homme arbore tous « les clichés de la bourgeoisie », il résiste néanmoins fermement à la tentation de suprématie que confère l’argent. Loin de se penser au-dessus du commun des mortels, le collectionneur français a su rester à l’écoute des autres, notamment des artistes. Ces derniers l’ont nourri au concept d’impermanence.

Ouverture, l'installation de Urs Fischer dans la rotonde de la Bourse de commerce, comprend neuf sculptures.
Ouverture, l’installation de Urs Fischer dans la rotonde de la Bourse de commerce, comprend neuf sculptures.© Urs Fischer. Courtesy Galerie Eva Presenhuber, Zurich / Photo: Stefan Altenburger / Bourse de Commerce – Pinault Collection

« L’art est une école d’humilité, car il nous enseigne qu’on n’en a jamais fini avec la beauté du monde, avec ses zones d’ombre aussi, et que nos vies, si passagères, ont tout à gagner à embrasser le monde plutôt qu’à penser pouvoir le dominer », écrit l’intéressé en guise d’avant-propos au catalogue qui accompagne l’événement. Pour preuve, l’impressionnante rotonde de la Bourse de commerce dévoile une emblématique proposition d’Urs Fischer, artiste suisse connu pour sa propension à travailler les matériaux qui se consument. Au centre de ce volume surmonté d’une coupole de verre, l’intéressé a placé neuf sculptures en trompe-l’oeil, elles sont en cire… donc vouées à fondre au fur et à mesure de cette proposition inaugurale portant le nom de Ouverture. Celles-ci résument le cours de toute chose: un départ initié sur les modes de la maîtrise et de la verticalité que le temps a vite fait d’emmener du côté de l’informe.

Street, Anne Imhof, 2021.
Street, Anne Imhof, 2021.© Courtesy de l'artiste, Galerie Buchholz et Sprüth Magers. photo: Aurélien Mole

Le reste de l’affiche confirme l’oeil aiguisé du milliardaire et sa grande ouverture. Il a acheté avant tout le monde, c’est-à-dire il y a 40 ans, ses premières oeuvres de David Hammons, plasticien afro-américain majeur célèbre pour ses Body Prints, oeuvres à mi-chemin entre la performance et le dessin. La Bourse fait place à une sorte de mini-rétrospective de ce talent peu montré en Europe, ce qui n’a pas de prix. Les différents niveaux du lieu accueillent des champs de création multiples: installations vidéo et sonores au sous-sol, photographie aux étages supérieurs. L’ensemble fait place à des signatures variées telles que le compositeur électro-acoustique Tarek Atoui, le pionnier du body art Michel Journiac, le peintre Rudolf Stingel ou encore la Suissesse Miriam Cahn dont les toiles étranges magnétisent.

Album of Spirit Art, Georgiana Houghton, 1866-84.
Album of Spirit Art, Georgiana Houghton, 1866-84.© The College of Psychic Studies, London

Ouverture, à la Bourse de commerce, jusqu’au 31 décembre.

Mais encore

Au niveau 6 du Centre Pompidou, Elles font l’abstraction est une exposition monumentale à ne pas rater. Monumentale? Cinq cents oeuvres de plus de cent-dix plasticiennes y sont à découvrir. Le propos, jubilatoire et coloré, retrace l’histoire de l’art abstrait, de ses origines à nos jours, à travers les apports des « artistes femmes », celles-là même qui, de Sonia Delaunay-Terk à Georgiana Houghton, ont longtemps été invisibilisées par le marché et les théoriciens. La proposition a le grand mérite de sortir l’abstraction de la seule peinture en ce que les femmes, plus libres parce que livrées à elles-mêmes, n’ont eu de cesse de conquérir d’autres territoires, notamment ornementaux (tapis, tissus, costumes etc.). Au Centre Pompidou, jusqu’au 23 août.

Tout aussi remarquable est la carte blanche offerte par le Palais de Tokyo à l’artiste allemande Anne Imhof. Natures mortes se dévoile comme une oeuvre « totale et polyphonique » au sein de laquelle celle qui a remporté le Lion d’or à la Biennale de Venise de 2017 fait se rapprocher corps et espace, musique et peinture, pratique propre et celle de plasticiens invités. Au Palais de Tokyo, jusqu’au 24 octobre.

Côté photographie, il ne faut manquer sous aucun prétexte l’accrochage sur deux niveaux que la Maison européenne de la photographie consacre à Daido Moriyama et feu Shomei Tomatsu, deux maîtres japonais de l’image. Tokyo dévoile quatre cents photographies précieuses.

A la Maison européenne de la photographie, jusqu’au 24 octobre.

Enfin, il est vivement conseillé aux amateurs d’images fixes d’attendre le 8 juin pour entreprendre le déplacement. Ce jour-là, le Jeu de Paume inaugure, avec Michael Schmidt – Une autre photographie allemande, une vaste exposition dédiée à cet oeil acéré qui, à lui seul, a écrit un pan de l’histoire visuelle. Au Jeu de Paume, du 8 juin au 29 août.

Kabuki: Villain in Shibaraku, Shomei Tomatsu, 1964.
Kabuki: Villain in Shibaraku, Shomei Tomatsu, 1964.© Shomei Tomatsu – INTERFACE
Untitled, Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder (Berlin-Kreuzberg. Cityscapes), Michael Schmidt, 1981-1982.
Untitled, Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder (Berlin-Kreuzberg. Cityscapes), Michael Schmidt, 1981-1982.© Foundation for Photography and Media Art

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