Retour à la case prison

Les détenus disposent désormais d’un Guide du prisonnier. Mais ils n’ont pas encore de droits et ne sont pas près d’en avoir. Du côté des gardiens, la grogne grandit. Le malaise devient préoccupant

Comme la victime l’a très longtemps été, le détenu reste le parent pauvre de la justice. Faute d’un code homogène des prisons en Belgique, il ne dispose d’aucun droit véritable. Il bénéficie seulement de faveurs: les visites, les activités sportives et culturelles, l’accès au téléphone, à la cantine, à la bibliothèque, voire aux douches… Tout ou presque est, au nom de la sécurité, laissé à l’arbitraire des directeurs et des surveillants de prison. Un système infantilisant qui n’aide pas les détenus à se responsabiliser et encore moins à se réinsérer. Dans ce cadre, Le Guide du prisonnier (1), qui vient de sortir, constitue un événement.

En effet, cet ouvrage, rédigé par une vingtaine d’auteurs, est une première. Il devrait permettre aux prisonniers, à leurs familles, mais aussi à tous les acteurs du monde carcéral (gardiens, avocats, travailleurs sociaux, médecins, aumôniers, visiteurs…) de sortir du flou législatif actuel: c’est-à-dire un fatras indescriptible de plusieurs centaines d’arrêtés, de circulaires et de conventions en tout genre, dont une partie est plus que centenaire, et qui transforment finalement les prisons en zone de non-droit. Le principal mérite – un véritable défi pour les auteurs – du Guide du prisonnier est d’avoir réussi à présenter, à travers l’opacité de la jungle pénitentiaire, un mode d’emploi cohérent et limpide de la vie en prison.

« Nous sommes évidemment conscients des limites de notre entreprise, reconnaît Philippe Mary, criminologue à l’ULB. Car chaque prison applique à sa manière les multiples règles existantes, notamment en fonction de sa taille, de son architecture, des types de détenus, de son degré de surpopulation, des activités proposées, etc. Les sanctions disciplinaires et les conditions dans lesquelles celles-ci sont prises, par exemple, diffèrent souvent d’un endroit à l’autre. Pour bien faire, on aurait dû rédiger un guide pour chaque centre pénitentiaire ! »

Sans être exhaustif donc, le guide parvient à rendre la prison plus transparente, à travers cinq chapitres correspondant aux étapes de l’itinéraire d’un détenu: l’entrée en prison (en fonction des types d’établissement), la procédure de jugement et ses différentes phases (surtout pour les prisonniers placés en détention préventive), la vie derrière les barreaux (l’hygiène, les vêtements, la santé, le travail, les études, les visites, la correspondance, la sexualité, etc.), les droits du prisonnier (qui se résument essentiellement aux questions de discipline) et, enfin, la sortie (les différents modes de libération avant et après jugement).

La partie – la plus importante – consacrée au quotidien du détenu est particulièrement instructive. De manière anecdotique, on apprend ainsi que le port de la perruque est autorisé en prison. Par contre, les détenus n’ont pas le droit de prêter, de donner ou d’échanger leurs vêtements sauf autorisation du ministre. Ils ne peuvent pas non plus garder de l’argent liquide sur eux, mais disposent d’un compte courant nominatif qui leur permet d’acheter dentifrice, papier toilette (payant en prison !), timbres, journaux, compléments alimentaires… L’ouvrage permet aussi de se faire une idée de l’horaire type d’un prisonnier: le lever est, par exemple, fixé à 6 h 20, le repas du soir à 17 h 30, la fin de toutes les activités à 20h00. En théorie du moins.

L’initiative privée, qui a permis au Guide du prisonnier de voir le jour, souligne, de manière aiguë, les lacunes des pouvoirs publics. L’ouvrage a, d’ailleurs, été présenté, à dessein, à la Maison des parlementaires. Le dernier débat sur les prisons, au Parlement, remonte… aux années 1920. Une réforme est, certes, en cours. Mais elle avance à une allure d’escargot. Voilà bientôt six ans que l’ancien ministre de la Justice Stefaan De Clerck (CVP) a chargé le pénaliste de la KUL Lieven Dupont d’une mission exploratoire. La commission qui porte le nom du professeur louvaniste a remis son rapport final, en juillet 2000, au Parlement. Depuis lors, le texte a été coulé en proposition de loi, mais l’examen des quelque 160 articles n’a pas encore été entamé par la commission « justice » de la Chambre. Des auditions de membres du personnel carcéral ont seulement été inscrites à l’agenda, après les vacances de Pâques.

Pour certains élus, comme les sénateurs Clothilde Nyssen (PSC) et Josy Dubié (Ecolo), il y a, d’évidence, un blocage politique. La réforme des prisons n’est pas une entreprise populaire en période électorale. D’ici aux élections législatives, en juin 2003, au plus tard, le discour politique sera davantage axé sur des thèmes sécuritaires, à l’instar de ce qui se passe en France, à l’occasion de la course à la présidentielle. Souhaitant accélérer la procédure, plusieurs sénateurs voudraient que la Haute Assemblée se charge du dossier. Mais Fred Erdman (SP.A), le président de la commission justice de la Chambre, ne semble pas l’entendre de cette oreille. On peut donc raisonnablement augurer que ce n’est pas sous cette législature qu’un code des prisons verra le jour.

En attendant, la grogne ne cesse de grandir dans les établissements pénitentiaires. Depuis le début de l’année, les arrêts de travail ou les actions de zèle se multiplient à Saint-Gilles, à Forest, à Huy, à Verviers… Le malaise devient inquiétant. « Les surveillants sont trop peu nombreux et pas assez formés, les services psychosociaux se voient confier des tâches de contrôle au détriment de leur mission d’accompagnement, constate Juliette Beghin, responsable de la section francophone belge de l’Observatoire international des prisons (OIP). La politique carcérale est de plus en plus sécuritaire. La surpopulation est endémique. Les conditions de détention sont souvent précaires. Et les directeurs de prison doivent bricoler avec des bouts de ficelle. »

Une lueur d’espoir dans ce sombre tableau: la prison de Nivelles a amorcé une réflexion, avec les agents pénitentiaires, autour du texte de la commission Dupont. Depuis plusieurs semaines, les membres du personnel se penchent sur le volumineux rapport, tout en suivant des formations juridiques. L’initiative est courageuse et montre que la réforme Dupont mettra du temps avant de s’inscrire dans les mentalités. En effet, accorder des droits aux détenus semble effrayer les gardiens. A ces derniers, comme à l’opinion, il faudra expliquer que responsabiliser les prisonniers, clarifier leurs droits et leurs devoirs est non seulement une exigence démocratique, mais aussi un gage de sécurité.

Le Guide du prisonnier, sous la direction de Patrick Charlier, Philippe Mary, Marc Nève et Pierre Reynaert, édition Labor

Thierry Denoël

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