Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité. © XZAROBAS

Respirez, m’sieur-dame !

Où il est question de l’accouchement d’un homme né femme, d’un pigeon aux nichons roses et de chevaux nains.

C’est à reculons qu’il fit le premier pas. Il ignorait totalement que sa nouvelle vie allait prendre cours, une fois la porte du Geyser poussée. En sueur, le profil cardiaque, le contour nerveux, le gars s’égosilla :  » Ça ne va pas du tout. PAS DU TOUT ! En seulement quelques minutes, j’ai vu un bébé géant déambuler en rue ; il était tenu en laisse par un cheval nain. M’enfin, si je vous dis que c’était un cheval… Non, ce n’était pas un chien ! Et puis, « POF », j’ai aussi vu un pigeon supermoche. Oui, oui. Un pigeon. TRAVESTI. Avec de gros nichons. Tout roses. Et des plumes d’Indien. Dans le derrière. Mais éVIDEMMENT que j’en suis sûr ! (1) (2) (3).

Lorelei, Le Fleuri et Le Vieil Heinrich échangèrent un regard entendu.  » Et un Brandy Alexander, sans glace, bien serré, pour le Monsieur en nage.  »

– Mais je ne peux pas boire, moi, mademoiselle !

– Et pourquoi donc ?

– Je suis enceint.

Lorelei éclata alors d’un de ses grands rires subits qui faisaient gondoler en cascade le pays tout entier. Le Fleuri, Le Vieil Heinrich et elle n’eurent pas le temps d’échanger un deuxième regard qu’un son aquatique ruissela dans la lumière verte.  » SCHPLAF  » : une flaque s’était formée entre les jambes du type effrayé. Silence, dans le café. Seule une brave mamie à l’accent ch’ti tenait la route :  » EH PUTAIN, REMUEZ-VOUS LES MECS, LO ! VOYEZ BIEN QU’Il A UN POLICHINELLE DANS LE TIROIR !  » (4).

On se mit à compter les nappes, les serviettes, les bassines, avec les précautions anxieuses qu’on prend d’ordinaire pour manipuler du cristal, un jour de fête. Jamais n’avait-on vu un homme accoucher, au Geyser. Et plus ça allait, plus ça hurlait et plus la pièce ressemblait à un abattoir qu’à un café. Pas embêtée pour deux sous, la mémé du Pas-de-Calais décapsula sa 21e 1664 avec les dents. Elle se mit à boire énergiquement sa bière à la paille et dit :  » Fôdrait d’l’ô bouillie lo, l’quinquin vo pô torder « .

Ohlala ! Quelle douleur ! Quelle saleté !

Poussez, respirez, m’sieur-dame ! qu’il encourageait gentiment, Le Fleuri.

C’était comme si un combat à mort se déchaînait dans les entrailles du type enceint. Puis, entre les larmes et la sueur, il y eut une ultime cognée, une dernière poussée et 4,5 kilos d’amour tombèrent hors de lui, en poussant un cri aussi vieux que le monde. Le cri de l’instinct. Le cri de la vie. u

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer à 20h15 sur la Une…

(1) Les géants des Marolles risquent de se retrouver à la rue, fin avril, obligés de quitter les caves de la galerie Horta. Parmi eux, il y a Janneke, un géant de 2 m 70, représentant un bébé.

(2) Cette année voit les 25 ans de l’émission Groland de Canal+ et la mort de son  » président « , Christophe Salengro, décédé le 30 mars dernier. Cette satire de la presse est un monde fou. Les animaux déguisés, comme le  » pigeon à nichons  » y sont la règle.

(3) La chaîne flamande Focus-WTV a consacré un sujet sur une malvoyante brugeoise qui se fait guider par un cheval nain. Une pratique plus courante aux Etats-Unis.

(4) Début avril, un Finlandais, né femme, est devenu le premier transgenre du pays à accoucher.

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