» Refuser l’obscurantisme « 

Mariane Pearl, veuve du journaliste américain assassiné au Pakistan en 2002, se bat pour les droits de l’homme. C’est sur ce terrain, dit-elle, qu’il faut répondre au défi terroriste.

A l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, Mariane Pearl a été membre d’un jury qui a décerné, le 6 décembre, à Paris, des prix de journalisme intitulés  » Chaque être humain a des droits « , créés par l’association Internews. Par coïncidence, deux jours plus tard, l’homme qui revendique le meurtre du mari de Mariane, Daniel Pearl, en 2002 au Pakistan, a comparu devant un tribunal militaire américain, dans le camp de Guantanamo. Cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, il a été confronté, pour la première fois, aux familles des victimes.

Khaled Cheikh Mohammed prétend avoir assassiné votre mari. Arrêté en mars 2002 et longtemps détenu dans une prison secrète de la CIA, avant son transfert dans le camp de Guantanamo, il a subi des techniques d’interrogatoire assimilées à une forme de torture. Pour vous qui êtes engagée dans la lutte pour les droits de l’homme, quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?

E Ce qu’il a subi n’est pas une  » forme  » de torture. C’est une vraie torture. Un homme qui a vécu cela, depuis tant d’années, on peut lui faire dire ce que l’on veut. Le terrorisme engendre une forme d’obscurantisme. A cette obscurité-là il faut opposer une sorte de lumière. Ou alors on se place sur le même terrain. Sur le cas particulier de cet homme, que vous dire ? Tout cela n’a provoqué que de la souffrance.

Y a-t-il des circonstances dans lesquelles le recours à des techniques d’interrogatoire assimilées à la torture sont acceptables ?

E Je ne peux pas répondre objectivement à cette question. Il y a quelque temps, on m’a interrogée sur la peine de mort dans le cadre d’actes de terrorisme. Moi, j’ai grandi en France, dans un milieu qui s’est réjoui, en 1981, de la suppression de la peine capitale. On était très contents, à l’époque. S’agissant de Khaled Cheikh Mohammed et à titre personnel, je me suis d’abord assurée qu’il était vraiment responsable des actes dont il est accusé, et qu’il les avait commis volontairement et non dans un moment de démence. A partir de là, je me suis prononcée, avec amertume, en faveur de sa mort. Il n’y a aucun doute qu’il était responsable et conscient de ce qu’il faisait. Je me suis livrée, aussi, à un examen personnel : je veux être certaine que je n’attends rien de sa mort. C’est le cas. Elle ne me soulagera pas. Elle ne m’apportera rien. Mais je n’irai pas jusqu’à m’opposer à son exécution. Car je sais maintenant, sans aucun doute, qu’il était responsable et conscient.

Comment éviter de tomber soi-même dans l’obscurantisme, quand on est confronté à une telle violence ?

E L’important est de comprendre ce que recherchent ces gens-là. Ceux qui ont tué Danny, comme ceux qui ont mené des attentats récemment en Inde, suscitent un désir de vengeance. Mais le plus pertinent, à mon sens, est de déterminer le but qu’ils recherchent. Et de promouvoir l’inverse. Ils cherchent à empêcher des journalistes d’enquêter au Pakistan. Alors il faut continuer. Ils cherchent à empêcher le dialogue. Donc, il faut continuer. C’est une vraie guerre. Et il faut aller au plus efficace.

Propos recueillis par Marc Epstein et Pierre Ganz

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