Rébus de l’inconnu

La vie est un mystère qui réserve bien des surprises. Aussi les romans de Patrick Delperdange sont-ils en prise avec l’inattendu et le chavirement.

Cheveux blancs et lunettes noires, Patrick Delperdange façonne des univers dans lesquels ses personnages marchent sur le fil du rasoir. Lui-même est un équilibriste, évoluant entre la littérature pour adultes et pour enfants, ainsi que la BD. L’auteur belge avoue  » aimer dynamiter les barrières « . Loin de s’enfermer dans des cases, il s’amuse à créer des puzzles, dont les pièces manquent à volonté. Il appartient au lecteur de les combler. Tout comme ses Chants des gorges (double prix Rossel 2005), son nouveau roman – Un peu après la fin du monde – se compose de nouvelles formant une histoire. Une femme, à la mémoire chancelante, contemple sa vie sur des photographies qu’elle range dans de petites enveloppes. Deux frères développent une animosité après avoir été les témoins passifs d’une noyade. Une mère ne reconnaît plus son fils, un père est désemparé face au chagrin de sa fille. Tous les héros vacillent en réalisant qu’ils n’ont pas réussi à vivre, à aimer ou à se sauver.

Le Vif/L’Express : Qu’aimez-vous explorer à travers différentes formes d’écriture ?

Patrick Delperdange : L’écriture est une matière vivante qu’il faut apprivoiser. Les mots lus, puis écrits, font partie de ma vie de manière primordiale. Mon travail consiste à créer, générer et procurer des émotions aux lecteurs. Je veux remuer en eux des fibres. Les faire rire ou pleurer afin qu’ils se sentent plus humains. Ces diverses formes d’écriture ne font qu’élargir le spectre des émotions.

Comment décririez-vous votre univers et en quoi s’apparente-t-il aux contes ?

Les contes pour enfants sont d’une immense violence et cruauté. Ils se déroulent dans une noirceur terrible, surtout concernant les liens familiaux, mais cela est édulcoré par une fin rassurante. On retrouve, chez moi, ces relations intrafamiliales féroces, car c’est là que s’expriment les sentiments les plus exacerbés, l’amour et la haine. Le non-dit constitue une part importante de ce que je mets en £uvre. Les émotions n’étant pas immuables, il règne en nous une confusion. Les mots sont parfois trop pauvres ou trop précis pour exprimer les choses. L’univers qui me vient le plus naturellement n’est pas rose, ni empli de bons sentiments. Noire, violente et âpre, cette pente s’incline vers des ambiances et des personnages équivoques. Ce trouble de l’identité me fascine car nous possédons tous différentes personnalités et facettes.

Pourquoi êtes-vous inspiré par les êtres en dérive, qu’un rien fait basculer ?

Ils sont plus riches car ils ne se situent plus à la place à laquelle on les a assignés. Aimant me surprendre, je laisse surgir leur voix tout en ignorant où ils vont me mener. Dans mon roman Chants des gorges, je montre que nous pouvons tous vivre quelque chose de totalement inattendu. Une rencontre ou un regard furtif sont susceptibles de faire chavirer notre vie.

Les êtres humains commettent parfois des actes qui dépassent notre entendement et le leur ?

On découvre parfois des choses en soi qu’on ne soupçonnait pas. Cela m’arrive quand j’écris… J’ai lu beaucoup de livres d’histoire sur les meurtriers de masse qui n’étaient que de paisibles citoyens. Certains êtres commettent des actes qu’ils auraient condamnés quelques secondes avant. Qui sommes-nous ? De quoi sommes capables ? J’aimerais que le lecteur se pose ces questions. Même si ça semble angoissant, je n’ai pas de réponse… Qui décide si nous sommes fous, lucides, bons, mauvais, normaux, anormaux ? On s’imagine qu’on possède une identité fixe, or c’est un leurre. Certains basculent d’un côté ou de l’autre.

Incapables de se sauver, vos héros passent-ils à côté de leur vie ?

Oui, ils se sont trop exposés, trop ouverts aux relations. Les conséquences sont néfastes… Les personnages de ce livre vivent dans une galaxie de spectres. On sent qu’ils ont un passé assez lourd… Cela leur donne une épaisseur et un mystère, d’autant que certaines choses restent dans l’ombre. Peut-être qu’ils basculent pour se rendre compte que le monde n’était pas tel qu’ils l’avaient imaginé ou espéré.

Un peu après la fin du monde, par Patrick Delperdange, éd. Grand Miroir, 163 p.

KERENN ELKAïM

« On s’imagine qu’on possède une identité fixe, or c’est un leurre »

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