Rapsat l’intègre

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Alors que sa carrière connaissait un nouvel enthousiasme, le cancer a définitivement empêché Pierre Rapsat de poursuivre ses rêves musicaux

Dimanche soir dernier, la RTBF diffusait une ultime interview de Pierre Rapsat, réalisée le 30 mars dans son club chéri, le Spirit of 66 de Verviers. On avait mal pour lui, la souffrance physique rendant ses réponses parfois douloureuses: il évoquait, entre autres, son combat contre cette chose « dégueulasse » et nommait cet ennemi – le cancer – qui a fini par briser définitivement son rêve musical.

Cette interview parlait pour lui: la parole était sincère, sans manières, digne du chanteur intègre qu’il a été depuis ses débuts amateurs, dans les années 1960. « Je ne sais plus si c’est le rock, et je me fous de savoir ce que c’est, mais je sais que, si j’ai pris une guitare en main, c’est bien à cause de lui… A l’école des filles de Verviers, à l’époque, on se prenait pour les Rolling Stones. C’était en 1965. » Voilà ce qu’il nous déclarait au début des années 1980, alors que le succès frappait à sa porte ( Passagers de la nuit, L’Enfant du 92e…) et annonçait une reconnaissance qui l’amènerait à triompher sur la scène de Forest-National, à une époque plutôt chiche en groupes belges reconnus.

Né en mai 1948, à Bruxelles, Pierre Rapsat était le fils d’une militante antifranquiste et d’un père ayant connu les camps nazis. C’est peu dire qu’il pouvait relativiser le succès face aux violences du monde et garder la tête froide en maintes occasions. Rapsat n’était, certes, pas un artiste politique, mais son regard était souvent un mélange de bienveillance et de compassion. Ce qui le faisait parfois passer pour un indécrottable naïf, alors que son mode de fonctionnement personnel et professionnel s’attachait d’abord à la sincérité.

Un amour de la mélodie

Avant de devenir « chanteur à succès » dans le domaine d’une variété-pop intelligente, Pierre Rapsat avait connu l’aventurisme du rock belge préhistorique. Des Tenderfoot Kids (1967) à Jenghiz Khan (1971), en passant par Laurelie (1969), il avait tâté de l’amateurisme obligé: sonos minimalistes, méfiance des autorités locales vis-à-vis des cheveux longs, processus d’enregistrements très hiérarchisés. « J’ai connu les galères mais, par exemple, je n’ai jamais été chômeur de ma vie », disait-il fièrement. Ces années difficiles avaient affûté son sens de l’écriture et préparé le « style Rapsat »: un amour quasi immodéré de la belle mélodie et « 100 % d’optimisme » dans les rythmes binaires.

En 1973, il sort son premier disque solo ( New York) qui lui vaut d’emblée une reconnaissance critique et commerciale en Belgique. Etiqueté « rock », il accepte de griffer son image en participant à l’Eurovision de 1976 avec Judy et Cie, morceau sous-estimé qui met en relief son appétit pour les histoires sentimentales. Les liens entre la Belgique et lui seront d’ailleurs de cet ordre. Ils perdureront, même si la flambée de la période Passagers de la nuit connaîtra un net tassement au cours de la décennie suivante. Rapsat est alors parfois vu avec condescendance, et sa « naïveté pop » semble alors désuète. Une série d’albums paraissent, sans déclencher des ventes astronomiques, mais Rapsat continue, sans faiblir, à écrire et à tourner.

En 1998, il fait la connaissance de Didier Dessers, jeune musicien liégeois qui lui redonne une vraie qualité d’inspiration. Le disque Dazibao, paru au printemps 2001, est un grand succès: les arrangements de cordes et l’immédiateté de titres-tubes, tels que Ensemble ou Jardin secret, le replacent au centre de l’actualité. Alors que sa carrière internationale est discrète depuis quinze ans, Polydor signe le disque pour une distribution française. Le déclenchement de la maladie – en juillet 2001 – freine considérablement la promotion dans l’Hexagone qui aurait pu déclencher une nouvelle popularité outre-Quiévrain. Ironie du sort, aujourd’hui paraît un double album enregistré en avril dernier avec l’ensemble à cordes Musiques nouvelles, au Cirque royal à Bruxelles. Tous les rêves… contient 24 titres qui témoignent d’un indéfectible appétit musical. En bonus studio, Rien qu’une chanson, où l’espiègle Lio vient duettiser avec lui. Et une impression que le meilleur était encore au programme de Rapsat…

CD Tous les rêves…, chez Viva/Sony.

Philippe Cornet

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