Raphael, 69 kilos de nouvelles chansons

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Avec Super-Welter, l’ange de la pop française met sur le ring un sixième album studio fabriqué à la maison avec un complice et des machines pour un téméraire résultat électro-rock.

(1) En voie de rachat par Universal.

Oui, le titre est peut-être venu parce que je fais de la boxe, mais aussi parce que Super-welter sonne bien, mieux que poids moyen par exemple, que je n’aurais certainement pas choisi pour nommer un album [sourire]. Et, de fait, question poids, je me situe dans cette catégorie-là, celle des super-welters, plus proche des 69 que des 66 kilos cela dit.  » Le détail corporel intéressera les fans les plus acharné(e)s du chanteur français aux mélancolies célèbres, notamment celles de l’album Caravane, triomphe discographique de 2005 avec 1,8 million d’exemplaires vendus.

Raphael Haroche est né à Paris en novembre 1975 de parents avocats aux sangs mêlés : le père est mi-juif marocain, mi-russe d’Odessa, la mère est argentine. Cette dernière adore Barbara chanter en boucle à la nuit tombée : la dame en noir frappe durablement l’imagination de l’enfant Raphael, introverti et timide. Bien après ces premiers spasmes, il reprendra en scène, avec dévotion, La Petite Cantate. Indice d’un goût affirmé pour le romantisme, ce qui, allié à un physique pour le moins avantageux et un succès global y compris chez les jeunes filles, façonnera une image déboîtée de la réalité. Raphael n’est nullement un minet pleureur et ses chansons ignorent la médiocrité des bleuettes usées au top 50.  » Ces dix dernières années, j’ai enchaîné disques et tournées, aussi parce que je le voulais ainsi, j’aurais pu faire différemment parce que je ne me suis jamais senti soumis à la pression du public ou de mon label (EMI). En rue, jamais personne ne m’a d’ailleurs emmerdé ou simplement insulté [sourire], mais il est vrai qu’avec Super-Welter je voulais retrouver une forme d’intimité dans la fabrication, même si c’est parti comme un simple travail sur des maquettes.  »

Bourdonnement de synthés

La première écoute du disque est déconcertante. Terminés les arpèges brillants au piano, occasionnellement joués par un ancien de chez Bowie (Mike Garson) ou les cordes soulignant des bouffées de spleen slave : Super-Welter évoque un bourdonnement électronique porté par des machines parfois rêveuses, parfois grinçantes. Pas de batterie, mais des rythmes programmés comme autant de bizutages sur les vieilles idées mélancoliques attachées au chanteur, même si, çà et là, le naturel revient au galop ( cf. le single Manager). On pense à la cold wave anglaise des années 1980 ou à cet album Play blessures sorti en1982 par Bashung, autre influence avouée de Raphael :  » Je ne connais pas ce disque-là, explique Raphael tétant un soda light dans sa suite de l’hôtel Métropole, mais avec mon copain Benjamin Lebeau, qui est un peu geek, un peu nerd, on a instauré une sorte de jeu de ping-pong. J’avais aimé travailler avec lui – assez brièvement – sur le disque précédent et, justement, sur une reprise de L’Apiculteur, de Bashung : ici, on n’a cessé de se renvoyer l’un à l’autre les fichiers des morceaux, pour des résultats sonores purs et bruts qui me plaisaient et me semblaient joyeux. Tout se passait entre mon Mac et le sien : on allait piquer des plugings sur Internet, et de temps en temps, on s’achetait des machines à 100 balles [sic ] à Pigalle, on était comme des gamins dans un magasin de jouets, se faisant des cadeaux, sans contingences. Au début, on se disait qu’on rajouterait de vraies batteries ou des cordes, mais on a fini par renforcer le dogme et commis un acte spontané.  »

Les morceaux ont besoin d’une deuxième, voire d’une troisième écoute pour se décanter, digérer les nappes de synthés et saisir que le chant de Raphael vient toujours du même c£ur percé. Moins d’ombres de la mort évoquées, mais toujours ces voyages de nuit et d’autrui.  » Super-Welter est moins variété, moins chanson que mes autres albums. Je suis toujours fier de Caravane, mais je serais incapable de refaire ce disque aujourd’hui. Pour autant, ce disque-ci déborde de romantisme et d’amour. Sur Mariachi Blues, je fais une sorte de déclaration d’amour au rock, le pays dans lequel j’ai grandi, ces terres hantées qui me fascinent encore. Et puis, Quand j’aimais vraiment, mon moment préféré de l’album, est une véritable chanson d’amour, j’y chante quand même « Je me suicidais vraiment/Quand je t’aimais vraiment [sourire] ».  »

Super-tourbillon

Raphael est bien dans son époque, bien dans sa vie. Même si le disque utilise quelques instruments passés – comme le synthé analogique Prophet 5 commercialisé entre 1978 et 1984 – le trentenaire refuse le rétro :  » On a utilisé du matos de notre époque, j’en ai marre du vintage, c’est plus intéressant de chercher la machine qui vient de sortir, même si on produit aujourd’hui des machines vulgaires, comme on produit des chanteurs vulgaires [sourire]. Je trouve intéressant de se perdre dans la multitude d’Internet, d’entendre des gens qui bricolent à l’autre bout du monde et qui parviennent jusqu’à nous. L’industrie allant au tapis, même si je regrette que beaucoup de gens perdent leur boulot, j’espère que les choses vont être recadrées vers l’artistique. D’ailleurs, moi, j’utilise Spotify et, pour 10 euros par mois, j’ai accès à une multitude de chansons.  »

Tout en déclarant que son label est  » très heureux de ce disque ovni « , Raphael souligne que l’album clôture son contrat avec la firme anglaise (1). Dégagé de toute obligation discographique, il se défait également de toute contingence scénique :  » Pour la première fois depuis mes débuts en solo, je ne vais pas faire de live avec cet album-ci. Pour plein de raisons, entre autres parce que monter une tournée et la rentabiliser prend une année au moins, et là, j’ai envie de laisser passer un tour, de retourner en studio bosser sur des musiques de films. Et puis de partager du temps en famille.  » C’est-à-dire avec sa compagne, l’actrice Mélanie Thierry, et leur fils de 4 ans, Roman. Pas forcément continuer ses rares expériences cinématographiques –  » je ne suis pas acteur  » – mais peut-être poursuivre la réalisation de clips entamée récemment :  » J’ai fait mon tout premier avec la vidéo de Manager, j’ai adoré faire le casting des acteurs et le tournage, opéré en une nuit. Le clip a dû coûter 40 000 euros, il y a dix ans, c’était plutôt 100 000, mais il y avait de l’argent, autant en profiter… « Continuer aussi la boxe qu’il pratique après une décennie d’arts martiaux, boxe thaïe et jiu-jitsu compris :  » Je trouve la boxe très belle, très pure, c’est le seul sport où l’on porte vraiment les coups. Tu mets un protège-dents et un casque, tu te prends des pains et tu as la sensation physique du coup, même si l’environnement est protégé .  » Le futur proche de Raphael se laissera occuper par des surprises ; après tout, en anglais, welter veut dire tourbillon…

PHILIPPE CORNET

 » Je trouve la boxe très belle, très pure, c’est le seul sport où l’on porte vraiment les coups « 

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