Damso, au sommet des hit-parades, tête de gondole d'un rap plus populaire que jamais. © sdp

rap, c’est du belge

Ce n’est plus une vague, c’est un raz-de-marée. Depuis bientôt trois ans, on ne voit plus qu’eux, on n’entend plus qu’eux : les rappeurs belges. Ils avaient déjà largement occupé le terrain musical en 2016. En 2017, ils en ont carrément pris les commandes.

En tête de gondole, Damso attire tous les regards. Repéré par la superstar Booba, le Bruxellois, né William Kalubi il y a vingt-cinq ans à Kinshasa, affole les compteurs. L’an dernier déjà, son premier album, Batterie faible, avait atteint le disque de platine en France (100 000 exemplaires). En 2017, son successeur Ipséité a déjà fait trois fois mieux ! En Belgique, il a franchi le cap du disque d’or. En octobre, pour son premier concert officiel à Bruxelles, Damso jouait directement dans un Forest National bourré à craquer. Si son parcours est exceptionnel, il est loin d’être le seul à agiter le hip-hop belge. D’Isha à JeanJass & Caballero, en passant par Roméo Elvis, Scylla, Hamza, L’Or du Commun, le 7… Tous ont sorti un projet cette année et ont multiplié les scènes – y compris, voire surtout en France. Car plus que jamais, le Belge est hype outre-Quiévrain. Au point d’attirer les médias français, de Libération à TF1, venus voir ce qui se tramait du côté de la Grand-Place de Bruxelles. A Paname, il n’est ainsi plus inédit d’entendre des Parisiens entonner Bruxelles arrive, de Roméo Elvis, ou BruxellesVie de Damso.

Les frontières tombent ainsi les unes après les autres. Géographiques, mais aussi sociales

Le rap belge existe donc vraiment ? Oui, mais, au-delà d’un éventuel goût commun pour l’absurde, pas question de se cabrer sur une esthétique commune : tous rappent, mais chacun à sa manière. Pas question non plus de s’arrêter à la langue : de Zwangere Guy à Coely ou Dvtch Norris, les néerlandophones profitent aussi de l’effet d’aspiration. Les uns et les autres se retrouvant d’ailleurs régulièrement sur une même scène (le plateau rap bilingue mis en place depuis deux ans par le festival Couleur Café, baptisé Niveau 4). Désormais, un rappeur comme Roméo Elvis est autant reconnu au sud qu’au nord du pays : le mois dernier, il passait ainsi pour le grand vainqueur des Red Bull Elektropedia Awards (cinq victoires), sorte de récompenses de la nightlife belge, généralement trustées par les DJ électro.

Roméo Elvis, populaire aussi bien  au  sud qu'au nord  du pays.
Roméo Elvis, populaire aussi bien au sud qu’au nord du pays.© Kevin Jordan

D’autres signes d’une reconnaissance mainstream se sont multipliés. Les grosses majors se sont ainsi mises en ordre de bataille – à l’instar de la toute-puissante Universal, qui a signé un accord avec la structure hip-hop Back in the Dayz, pour lancer le label En douceur. Historiquement à la traîne, la RTBF s’est enfin décidée à investir correctement le créneau en lançant Tarmac au printemps dernier – pas vraiment une chaîne radio, mais bien un projet multimédia dont la dominante rap est censée ramener les plus jeunes vers le service public. Piquée au vif, RTL s’apprête d’ailleurs à lancer son propre programme, début 2018.

Ce n’est pas tout. Durant l’été, les prestigieux murs de Bozar ont accueilli l’exposition Yo ! ,première du genre à tenter de retracer l’histoire du hip-hop belge, bruxellois même pour être très précis. Car si le rap noir, jaune, rouge a aujourd’hui la cote, il ne date pas d’hier…

Faut-il ainsi rappeler que le premier mégatube rap francophone est signé du Bruxellois Abdel Hamid Gharbaoui, alias Benny B ? Il date du début des années 1990. Depuis, la scène hip-hop belge n’a jamais cessé de s’agiter, avec des disques aussi marquants que ceux de De Puta Madre, CNN ou Starflam. Plus tard, il a également fallu compter sur les sorties de Baloji, James Deano (le tube Les Blancs ne savent pas danser, signé en France), Veence Hanao, Scylla, Convok, etc. Durant les années 2000, le mouvement a un peu cédé le pas. C’est pourtant bien à ce moment-là qu’un certain Paul Van Haver commence à charbonner en coulisses, proposant ses beats, avant de prendre lui-même le micro, sous le nom de Stromae.

Caballero & JeanJass, buddy movie de l'année.
Caballero & JeanJass, buddy movie de l’année.© sdp

Son succès taille XXL n’est pas étranger à l’explosion actuelle de la scène hip-hop. Respecté de tous, Stromae a ouvert la voie, en montrant qu’il était possible de réussir depuis la Belgique. Y compris en étant issu du rap. Depuis, le maestro a beau avoir ouvert le jeu et fouillé du côté de la chanson, de la pop ou de l’électro, il reste le parrain officieux de la scène.

Qu’est-ce qui explique l’ébullition actuelle ? C’est évidemment une combinaison de facteurs. Certains très objectifs, comme l’utilisation du Net et des réseaux sociaux. L’ordinateur n’est plus seulement un moyen de production – aujourd’hui, les studios des rappeurs se résument souvent à une chambre ou un grenier -, mais aussi un canal de communication et de diffusion. La nouvelle génération maîtrise évidemment tous ces nouveaux outils à la perfection. Plus besoin de grosses structures du disque ou de médias installés pour lancer une carrière. L’artiste peut aujourd’hui se faire tout seul : de la création d’un morceau à son enregistrement, en passant par l’enregistrement d’un clip directement léché et travaillé, jusqu’à la diffusion sur YouTube, tout en créant du lien via Facebook, Instagram ou Twitter.

Les frontières tombent ainsi les unes après les autres. Géographiques, mais aussi sociales. Né dans le Bronx, le rap n’est désormais plus (seulement ) une histoire du ghetto ou un moyen d’expression réservé aux classes défavorisées. On peut aujourd’hui, comme Roméo Elvis, être blanc, venir d’un milieu artistique (il est le fils de la comédienne Laurence Bibot et du chanteur Marka) et rapper – quitte à passer par un second degré.

Le rap s’est ainsi  » démocratisé « . Ou  » normalisé « , c’est selon. Et quoi de plus naturel ! Il est même heureux qu’après quasi quarante ans d’existence, le hip-hop bénéficie d’une large reconnaissance et ne soit plus systématiquement ostracisé. Il est dans le téléphone des gamins, dont c’est aujourd’hui le genre préféré, mais aussi dans la discothèque du quadra qui a grandi avec NTM ou Tupac. Il parle de tout le monde, à tout le monde. Il s’est même  » gentrifié « ,  » embourgeoisé « , lui reprochent aujourd’hui certains.

Balle au centre

Car, comme l’a démontré la  » polémique  » Damso, le rap peut continuer à diviser. En choisissant le rappeur pour composer l’hymne officiel des Diables Rouges en vue de la prochaine Coupe du monde en Russie, l’Union belge ne s’attendait probablement pas à créer autant le débat. Ou bien si ? Car il ne faut pas écouter longtemps la musique de Damso pour réaliser qu’elle carbure à l’outrance. Y compris pour parler des relations amoureuses, et des femmes.

Dans le genre, il est loin d’être le seul. En s’arrimant aux stars de l’équipe de foot nationale, Damso change cependant de statut. Ou en tout cas d’auditoire. La présidente du Conseil des femmes francophones Viviane Teitelbaum n’a pas tardé à monter au créneau pour dénoncer le choix de l’Union belge pour un rap qu’elle tient pour misogyne. Avec raison ? Les défenseurs du rappeur invoquent la licence poétique et la distance à prendre par rapport à une oeuvre de fiction : pourquoi accepter la violence dans un film de Scorsese et refuser la vulgarité assumée des morceaux de Damso ? De tout temps, le rap a dû se justifier. Cette fois-ci, Damso doit le faire avant même que le morceau ne soit sorti, s’étonnent certains.

Isha, pont entre deux générations hip-hop.
Isha, pont entre deux générations hip-hop.© sdp

Même si, dans le fond, cela ne changera pas grand-chose : si l’Union belge a choisi le rappeur le plus populaire du (sud) du pays, il a aussi pris le risque de mettre en avant une personnalité clivante. C’est un paradoxe qui en dit beaucoup sur l’époque. Où il est possible de faire à la fois l’unanimité et la controverse. Damso peut remplir Forest National, accumuler les vues sur YouTube, entendre ses morceaux dans le métro, dans les cafés, en soirée, il reste aussi problématique pour beaucoup. Il est le roi francophone du genre musical le plus populaire dans le monde – selon les chiffres d’écoute de Spotify -, apprécié aussi bien par des footballeurs multimillionnaires que disséqué par des philosophes. Mais il continue de poser problème. Pour le dire autrement : Damso est tout public, mais pas grand public. Un rappeur qui, malgré des paroles qui peuvent polariser, a réussi à rassembler. Début décembre, de retour de tournée, Damso expliquait sur son compte Instagram :  » Venez à mes concerts, il y a des jeunes filles, des jeunes garçons, des mères, des pères, des adultes, des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Asiatiques.  » On confirme. Dans la foulée, le rappeur en profitait pour annoncer le titre de l’hymne : Humains. Après tout…

Coely, rap/r'n'b au féminin.
Coely, rap/r’n’b au féminin.© SDP

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