Qui veut la peau du service public ?

Evidemment, il faut réformer. Mais pas en imposant au public les méthodes du privé. Derrière les pourfendeurs des  » privilèges  » se cachent, souvent, les porte-drapeaux de la droite néolibérale.

« On ne peut pas évoquer l’indispensable réforme de la fonction publique sans se faire traiter d’infâme néolibéral !  » se lamente Alain Destexhe, sénateur (néo)libéral, passé maître dans l’art de fouiller dans le portefeuille de l’Etat fédéral et des entités fédérées pour en dénoncer les dépenses, à fonds perdus, on s’en doute. C’est pourtant une réalité : le noyau dur de la critique antifonctionnaire est plutôt circonscrit à la droite de l’échiquier politique. Alain Destexhe (MR) et Rudy Aernoudt (qui a annoncé son intention de créer un nouveau parti en Wallonie, à droite du parti libéral), mais aussi le ministre pour l’Entreprise et la Simplification Vincent Van Quickenborne (Open VLD), ainsi que le patronat du Nord et du Sud, aiment à marteler, en substance, que  » le privé vache à lait du public, cela suffit « . Ils disposent de relais intellectuels dans les think tanks (cercles de réflexion), tel Itinera, qui vient de publier un ouvrage dénonçant les gaspillages éhontés de l’administration, avant, il est vrai, de proposer quelques pistes intéressantes pour réformer les services publics (1). Dans ces cercles, les gardiens des deniers de l’Etat sont crispés sur les dépenses publiques. Ils rêvent de priver les fonctionnaires de leur  » fromage « . Enfin, de ce qu’ils jugent en être un, à la lumière de statistiques établies par des organismes davantage portés sur l' » efficacité  » et le  » rendement  » que sur la solidarité et le bien-être collectif. Les études publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), par exemple, ont valeur de bible à leurs yeux. Derrière ces penseurs sommeille le patron.

La gauche a moins l’habitude de rendre les  » ronds-de-cuir  » responsable de tous les maux de l’Etat, à commencer par son inefficacité et son impécuniosité. Mais le silence des  » progressistes  » n’est pas désintéressé : toucher aux fonctionnaires, c’est toucher aux syndicats et, surtout, à des milliers d’électeurs censés voter  » à gauche « . Il existe, quand même, une notable exception : le socialiste flamand Luc Van den Bossche a tenté, en 2001, d’imposer la fameuse réforme Copernic à la fonction publique fédérale. Pour une fois qu’un  » progressiste  » désacralise les services publics et se penche sur ses défaillances, c’est raté. Il s’y est pris d’une façon encore plus caricaturale que les néolibéraux : recours à des consultants extérieurs coûteux et ne connaissant rien à la boutique, recrutement de  » top managers  » absurdement surpayés et constamment remis en cause par le Conseil d’Etat, mépris affiché pour les états d’âme des fonctionnaires et pour leur expérience, application artificielle de méthodes de gestion inadaptées, et on en passe. Bref, un gâchis monumental.

Est-ce une raison pour rentrer sous sa tente ? Pour ne pas toucher au temple ? Non ! Le monde change, l’Etat aussi. Ses serviteurs doivent s’adapter. Inge Vervotte (CD&V), l’actuelle ministre de la Fonction publique et des Entreprises publiques, ne fait pas mystère de son intention de réformer. Mais, jusqu’ici en tout cas, elle s’y prend plutôt bien. Pas de déclaration fracassante, pas de publicité tapageuse, pas d’effets d’annonce. La période est anxiogène, le pays est ravagé par les peurs, la crise financière et économique sévit, l’Etat  » fort  » a été réhabilité. Ce n’est pas le moment de jouer les Terminator. En outre, traiter les fonctionnaires comme un simple poste budgétaire à réduire n’est pas la meilleure manière de les inciter à se mettre en mouvement. La modernisation de la fonction publique n’a de chance d’aboutir que si elle est menée en douceur. Et avec la collaboration des premiers concernés, c’est-à-dire des travailleurs eux-mêmes. Vervotte semble avoir compris cela. C’est déjà énorme.

(1) Au-delà de Copernic : de la confusion au consensus ?, par Jean Hindriks, Itinera Institute, octobre 2008.

I. Ph.

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