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Psychothérapie en ligne: la qualité est-elle vraiment au rendez-vous ?

Le Vif

Depuis la crise du coronavirus, bien des psychothérapeutes proposent aussi des consultations en ligne. Si cette approche permet indéniablement de faire gagner du temps à tout le monde et de faciliter l’accès aux soins, on peut évidemment se demander si la qualité est vraiment comparable à celle d’une séance en face-à-face, mais aussi quelles sont les situations qui se prêtent – ou non – à une thérapie en ligne.

Jusqu’il y a un peu moins de deux ans, la psychothérapie était presque toujours synonyme d’une rencontre en face-à-face au cabinet du thérapeute. Les psychologues qui développaient également une offre en ligne faisaient presque figure de moutons à cinq pattes. « Les soins à distance étaient l’exception bien plus que la règle », confirme le psychologue Tom Van Daele. Rattaché à la haute école Thomas More (Louvain), il dirige les recherches de la cellule d’expertise en psychologie, technologie et société et s’intéresse tout particulièrement à la valeur ajoutée de la technologie dans les soins de santé mentale. « Dans ce secteur qui accorde une grande importance au contact et à la proximité, la position dominante a toujours été: pourquoi opter pour un environnement virtuel quand on peut se voir en personne? Les rares consultations organisées à distance l’étaient généralement par nécessité, en raison des circonstances. »

Les consultations physiques ne seront jamais complètement remplacées par une formule virtuelle, sauf si les deux parties en font le choix. Expert Bodytalk Tom Van Daele, psychologue et chercheur

Même son de cloche du côté d’Herman Dierickx, psychologue et psychothérapeute, qui travaillait déjà en ligne de façon ponctuelle avant la pandémie. « Il m’arrivait de proposer cette solution aux clients qui séjournaient temporairement à l’étranger, peu mobiles ou confrontés à des problèmes d’anxiété compliquant le déplacement au cabinet, mais il ne s’agissait guère que de cinq à dix consultations par an. »

Un tournant

En mars 2020, le coronavirus a brutalement paralysé toute vie sociale… et en l’espace d’une semaine, le nombre de psychothérapeutes assurant un suivi en ligne est passé à 90%. « Pratiquement toute la première ligne de soins s’est retrouvée à l’arrêt. Les thérapeutes qui voulaient rester accessibles n’ont pas eu d’autre choix que de passer aux soins à distance« , se souvient Koen Lowet, administrateur délégué de l’association des psychologues cliniciens flamands VVKP. « La transition s’est faite d’une manière largement intuitive, sans aucune formation préalable à l’optimisation des contacts virtuels ou aux choses à faire et à éviter… mais manifestement, cela s’est plutôt bien passé. Les réticences face aux prestations en ligne se sont aujourd’hui en partie évaporées », enchaîne Tom Van Daele.

Au plus fort de la pandémie, Tom Van Daele et son équipe ont réalisé une enquête à grande échelle pour connaître le vécu de plus de 8000 psychothérapeutes à travers le monde, dont quelque 550 Belges. « Les principaux problèmes étaient d’ordre pratique et touchaient à la connexion internet, aux programmes ou aux logiciels. C’était vraiment le pire des points de départ pour développer une activité à distance, car personne n’y était préparé. Avec le recul, la plupart des thérapeutes estimaient toutefois que l’expérience avait été positive, puisqu’ils s’en étaient finalement sortis sans trop de peine. Ils étaient majoritairement satisfaits de la qualité de leur suivi en ligne et avaient commencé à prendre conscience des avantages. »

Une accessibilité accrue

Le fait que personne ne doive se déplacer, en particulier, est perçu comme un atout considérable. Il semble aussi que bien des clients sautent plus facilement le pas s’ils peuvent faire appel à un thérapeute depuis leur domicile par écran interposé. « Néanmoins, chaque médaille a son revers, nuance Koen Lowet. La thérapie en ligne n’est pas non plus à la portée de tous – je songe par exemple ici aux personnes qui ne disposent pas des outils ou des aptitudes numériques nécessaires ou à celles qui vivent à plusieurs dans un petit logement et n’ont nulle part où s’isoler le temps de la consultation. En outre, n’oublions pas que tout le monde ne se sent pas en sécurité dans son foyer. Pour les demandes d’aide qui concernent justement des situations problématiques ou conflictuelles au domicile, il serait évidemment illusoire d’espérer que le patient puisse s’exprimer librement de chez lui. »

Herman Dierickx laisse le choix à ses clients: « Une part non négligeable de mes consultations – 30% environ – se déroulent encore sous forme virtuelle. Certains clients préfèrent venir au cabinet ou alternent contacts physiques et à distance, mais d’autres sont suivis exclusivement par internet. Tant que le coronavirus n’aura pas disparu et qu’on verra régulièrement surgir de nouveaux variants, certains préfèreront, par sécurité, éviter les contacts sociaux. Pour d’autres, les consultations virtuelles sont simplement plus faciles à planifier, parce qu’ils habitent loin et ont facilement une heure de trajet. Dans ce cas, un suivi en ligne représente un gain de temps net… et certains ne viendraient sans doute pas chez moi si je ne proposais que des consultations physiques. »

Des limites

Pour Herman Dierickx, la qualité et la validité d’une thérapie par écran interposé ne sont en rien inférieures à celles d’un accompagnement en face-à-face. « En tant que thérapeute, il faut néanmoins accepter qu’on n’a pas forcément prise sur tout et qu’il peut arriver qu’un client saute sa séance ou qu’une autre personne soit présente à l’arrière-plan. Il m’est déjà arrivé qu’un colocataire ou cohabitant intervienne dans la consultation pour donner son avis. »

L’enquête organisée par Tom Van Daele et son équipe a livré des conclusions similaires: bien que la majorité des psychothérapeutes aient rapidement surmonté leurs réticences, ils se sont souvent heurtés peu ou prou aux limites de la thérapie en ligne. « Leur principale observation est qu’il est plus difficile de développer le lien thérapeutique et de réagir à la communication non verbale du client. Certains actes thérapeutiques sont aussi plus difficiles à organiser par écran interposé, comme la thérapie par le jeu avec les enfants ou les jeux de rôle. »

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Koen Lowet souligne encore que toutes les plaintes ne se prêtent pas à un traitement à distance. « L’évaluation du risque de suicide, par exemple, n’est pas évidente dans ce contexte. Notre travail comporte une part d’intuition: indépendamment de ce que le client nous raconte, nous essayons de percevoir ce qu’il ressent. Avoir un contact physique avec lui nous offre plus d’informations à ce sujet, par le biais de sa posture, de ses mimiques, de la tension qui est parfois perceptible dans la pièce. Dans un environnement virtuel, on risque de passer à côté de ces signaux. »

Une solution d’avenir?

Depuis la crise du coronavirus, on a peine à s’imaginer la vie sans le travail à distance, même dans le secteur de la psychothérapie. La jeune start-up belge BloomUp a pris la balle au bond: les clients qui recherchent un thérapeute s’inscrivent sur une plateforme numérique, répondent à quelques questions et font ensuite leur choix entre trois psychologues. Après une première prise de contact virtuelle, ils pourront planifier des consultations de suivi à des tarifs comparables à ceux d’une séance « ordinaire ». Jusqu’ici, environ 80 thérapeutes participent au système.

« Un projet comme BloomUp est extrêmement accessible pour les clients et si une demande peut être satisfaite, c’est toujours ça de pris, estime Tom Van Daele. Cela reste toutefois une offre de niche. Les consultations physiques ne seront jamais complètement remplacées par une formule virtuelle, sauf si les deux parties en font le choix. On le voit déjà aujourd’hui: la plupart des thérapeutes proposent une offre mixte, mais certains ne travaillent qu’en ligne ou qu’en face-à-face. Et c’est une bonne chose, cette diversité est bienvenue. »

Il est d’ailleurs heureux de l’évolution que connaît aujourd’hui l’offre de soins virtuelle: « Nombre de thérapeutes ont pris conscience que les soins en ligne présentent une réelle plus-value sans compromettre la qualité, ce qui permet, dans certaines situations et à certains moments, de choisir d’organiser les consultations par vidéoconférence – pour que le patient ne doive pas se déplacer à chaque fois ou pour assurer la continuité de la prise en charge s’il déménage ou fait un séjour à l’étranger, par exemple. Dans cette optique, la thérapie à distance est certainement promise à un bel avenir, pas par obligation ou par nécessité mais sur la base de considérations pragmatiques de part et d’autre. »

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