Quand le participe passé ne passe plus

Où un certain P. P., parlant un français suranné teinté d’italien, finit mal, après une querelle linguistique autour d’un flipper.

Les bonnes querelles linguistiques, ça vous fouette les sangs d’un pays. C’est un truc inusable. La France le sait. La Belgique aussi. Surtout en icelle belle matine de septembre, lorsqu’un monsieur âgé, tenant sous le bras un journal chiffonné, poussa la porte du café (1). Comme un vieux farfadet invoqué par magie, l’ancien portait caboche sévère ainsi qu’une petite chemise verte étriquée qui semblait l’enseigne de l’autorité punissante chère aux académiciens français. De ses yeux d’émail, l’homme avisa bientôt un flipper.  » Diantre !  » s’exclama-t-il, avec un accent italien fortissimo (2) : Ces moult loupiotes brillant de mille feux me donnent fort envie de dépenser tous mes écus !

–  » Le flipper ne prend que des euros « , rétorqua le vieil Heinrich, l’homme à tout faire du café, en posant un coude et une bière sur le plateau du pinball. Et l’autre de glisser une pièce dans la fente de l’engin, tout en se saisissant de la chope. La première boule apparut.

–  » J’ai peur « , souffla le farfadet.

–  » De la baballe ?  » sourit Heinrich.

–  » Que nenni, triple buse ignare ! J’ai peur pour la langue de nostre royaume françois. Sais-tu qui je suis ? Je suis Peppe. P. P., pour les intimes (3).  »

–  » Faudrait remettre tes pendules à l’heure, pépé. Si royaume il y a, il n’est plus « françois »  » depuis belle lurette.  »

–  » Hardi compagnon belge à l’accent germain, je te le dis céans comme je l’ai martelé à ceux qui me croient déjà passé de vie à trépas : nenni da ! Peut-être qu’en tien pays, les billevesées sont écoutées, mais chez moi…  »

P.P. grogna en donnant une brusque tape de la main sur la face gauche du flipper. Et Heinrich de penser :  » Le participe passé est passé de mode. C’est bien son droit, à la mode, de le faire passer, ce P. P.  » On n’allait pas en faire des tonnes, non plus. Le monde était à feu et à sang, le plafond du palais de justice de Bruxelles venait même de s’effondrer. Alors, un participe passé qui passe… Trois, puis quatre boules cascadèrent en même temps sous les yeux écarquillés de P. P. Le flipper frôlait l’épilepsie. Le vieux aussi.

–  » Je n’ai ppppas à… m’in-cliner de-de-devant l’argumentaire ffffffallacieux de linguistes déri-ri-ri-soires !  » bafouilla le type en vert, alors qu’une dernière boule dévalait vers le néant. Pareil à une momie embaumée par cinq siècles d’habitudes, P. P. quitta le café sur un brancard, espérant quand même se garder une petite place au Panthéon sacré des règles obsolètes.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15…

(1) Deux anciens professeurs de français belges viennent de proposer, dans une tribune du journal Libération, une simplification des règles de l’accord du participe passé.

(2) C’est d’Italie que le poète français Clément Marot ramena, au xvie siècle, la règle de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir.

(3) P. P. = participe passé.

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