Quand le cinéma français cartonne…

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

L’embellie est certaine, mais quelques nuages s’annoncent pour la dernière cinématographie d’envergure subsistant en Europe

Ils pouvaient avoir le sourire, Daniel Toscan du Plantier et David Kessler, en présentant, à Paris, les chiffres du cinéma français à l’exportation pour l’année 2001. A la tête, respectivement, d’Unifrance (l’organisme de promotion internationale des films) et du CNC (l’organisme supervisant tous les aspects de l’activité cinématographique en France), les deux hommes annonçaient des résultats remarquables. Les films français ont réalisé un total de près de 50 millions d’entrées dans les salles étrangères, contre une moyenne habituelle de 40 millions. Seule l’année 1997 avait vu, ces derniers temps, de meilleurs chiffres encore. Mais c’était sous l’effet d’un film en langue… anglaise, le Cinquième Elément, de Luc Besson : 33 millions d’entrées à lui tout seul. Cette fois, ce sont les films de langue française qui se taillent la part du lion, sous l’influence, notamment, du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, du Goût des autres, d’Agnès Jaoui, des Rivières pourpres, de Mathieu Kassovitz, et du Pacte des loups, de Christophe Gans. Leur part a augmenté de 122 % par rapport à l’année 2000!

Les résultats en France s’inscrivent, eux aussi, dans une progression appréciable, avec 185 millions d’entrées et une part de marché supérieure à 40 % pour la production nationale, riche par ailleurs de plus de 200 nouveaux titres l’an dernier. Aucune autre cinématographie en Europe ne peut revendiquer pareils résultats. Il y a bel et bien une « exception française » que David Kessler attribue notamment aux « mécanismes fiscaux permettant à la production hexagonale de résister mieux que d’autres face à la domination de l’industrie américaine du film. » Une domination que ne saurait nier Daniel Toscan du Plantier, qui agite habilement les « cartons » réalisés par Harry Potter et Le Seigneur des anneaux, en fin d’année dernière, pour montrer que « les succès du cinéma français sont dus à ses propres mérites et non à quelque fléchissement outre-Atlantique… »

Si les responsables du cinéma français se retiennent toutefois de verser dans un triomphalisme qui put naguère jouer des tours à nos grands voisins, c’est en partie parce que quelques nuages se profilent à l’horizon. On a notamment entendu l’omniprésent Jean-Marie Messier, désormais, à la tête d’un empire médiatique mondial avec son groupe Vivendi Universal, annoncer « la mort de l’exception culturelle française » et, dans la foulée, sa volonté de ne plus voir Canal + (une des propriétés du groupe) financer comme il le fait le cinéma français. La seconde menace est particulièrement inquiétante : Canal + contribue au budget d’à peu près 90 % des films produits en France ! « La chaîne payante est de toute façon liée jusqu’en 2004 par des accords existants », réagit David Kessler. Le patron du CNC signale aussi que des textes réglementaires régissent la part d’investissement obligatoire dans la production cinématographique de tout candidat au câble, et qu’en cette année d’élections aucun parti politique n’a mis à son programme la révision de ces textes. Une manière de dire que Canal + (« qui a vécu du cinéma français en même temps qu’il a contribué à le financer ») ne pourra pas exiger n’importe quoi s’il veut continuer à diffuser…

« On négociera », déclare Toscan du Plantier, qui se dit bien plus inquiet des « difficultés que l’Europe éprouve à aborder le nécessaire débat sur les systèmes de support nationaux au cinéma ». Il est prévu que ces derniers – les piliers de la fameuse « exception culturelle » dans son versant cinéma – seront « réétudiés » en 2004, un terme qui suscite « une certaine inquiétude » chez le président d’Unifrance. Véhiculée par bien des partenaires européens de la France, la pensée unique du « tout au marché » refuse en effet obstinément de voir dans les produits culturels autre chose qu’une simple marchandise, ce qui conduit, dès lors, à exiger la suppression des mécanismes d’aide qui leur sont destinés…

Louis Danvers

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