© Jesús Escudero

Vivre plus longtemps, jusqu’à quel âge, en bonne santé, pour faire quoi ?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Comment les Belges imaginent-ils leurs vieux jours ? Jusqu’à quel âge pensent-il vivre, avec quel niveau de vie, dans quel logement, dans quel état d’esprit ? Le Vif/L’Express vous a sondés. Apparemment, atteindre le troisième âge effraie beaucoup. Pourtant, il n’y aurait pas (toujours) de quoi.

Il les commence toujours comme ça, ses cours, Stéphane Adam.  » A votre avis, combien de seniors sont en dépression ? aime lancer le psychologue du vieillissement de l’ULiège. Combien souffrent de solitude ? Combien d’hommes de plus de 80 ans ont eu un rapport sexuel pénétratif au cours des derniers mois ?  » En général, ses étudiants commencent à faire une drôle de tête. Et répondent systématiquement à côté, surestimant largement la part de dépressifs (30 et 50 %, alors qu’elle n’est  » que  » de 11 %) comme de solitaires et d’inactifs sexuels. Ainsi, les papys encore sexuellement actifs ne sont pas 14 %, mais bien 63 %. Juste pour info.

La vieillesse, tout le monde va (normalement) y passer, tout le monde s’en fait une idée. Le Vif/L’Express a interrogé les Belges, du moins un échantillon représentatif de 1 000 d’entre eux (lire l’encadré page 49). De tous les âges, de toutes les langues (nationales), de toutes les bourses. Histoire de comprendre comment ils appréhendent leurs vieux jours, ou comment ils les vivent déjà. Un sondage dont ont pu être tirés dix grands enseignements, qui ont ensuite été confrontés à l’avis de spécialistes. Aucun ne s’est déclaré surpris : ces dix enseignements, plusieurs études les ont déjà soulignés. Confirmant que cette idée dont on se fait du troisième voire du quatrième âge est rarement positive. Mais qu’elle tombe souvent à côté de la réalité.

1. Le Belge n’imagine pas faire de (très) vieux os

Septante-huit ans, en moyenne :voilà l’âge auquel les Belges imaginent pousser leur dernier soupir. Honorable ? Défaitiste, plutôt. Car jamais n’avons-nous vécu si âgés. Vers 1850, l’espérance de vie ne dépassait guère les 40 ans. Elle excède aujourd’hui les 80 ; 81,4 ans en 2017, selon Stabel. Soit 83,7 ans pour les femmes et 79 pour les hommes.  » Depuis les années 1970, chaque année, nous gagnons deux à trois mois d’espérance de vie, c’est un phénomène régulier « , signale Thierry Eggerickx, maître de recherche et professeur au Centre de recherche en démographie de l’UCLouvain.

Selon les prévisions du Bureau fédéral du plan, d’ici à 2060, les hommes vivront en moyenne 86,7 ans et les femmes 89,1.

Ce n’est sans doute qu’un début : selon les prévisions du Bureau fédéral du plan, d’ici à 2060, les hommes vivront en moyenne 86,7 ans et les femmes 89,1. Le nombre de centenaires n’a jamais été aussi élevé (1 606 au 1er janvier 2018, contre 1 381 dix ans plus tôt). Pourtant, les jeunes, ces futurs vieux, sont ceux qui s’imaginent mourir le plus tôt. Divergence générationnelle, sans doute : pour un adolescent, on est quasi un vieux croulant à 40 ans…

Pessimisme générationnel, aussi. En analysant les résultats du sondage, Jan Drijvers, du bureau Kantar, a constaté chez les moins de 35 ans un mélange de  » défaitisme et de réalisme « . Comme si, à force d’entendre qu’ils seraient la première génération à vivre moins bien que celle de leurs parents, ils avaient fini par s’en convaincre. Pas forcément à tort. Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, l’espérance de vie a enregistré un recul, ces derniers temps. Une première dans le monde occidental, depuis la fin de la Première Guerre mondiale.  » Ces deux pays connaissent un contexte ultralibéral, notamment en matière de santé, nuance Thierry Eggerickx. Lorsqu’il y a un appauvrissement social, une diminution de l’accès aux soins, ça a un impact sur l’espérance de vie, ce qui est le signe de problèmes sociaux importants. Mais rien n’indique, dans le contexte actuel, que celle des Belges ne va pas continuer à progresser.  » A une exception près : chez les femmes belges les plus précarisées, âgées de 40 à 60 ans, un recul a d’ores et déjà été enregistré.  » L’une des pistes d’explication pourrait être les séparations, les divorces qui arrivent beaucoup plus tard et qui signifient souvent une perte de revenus.  »

Vivre plus longtemps, jusqu'à quel âge, en bonne santé, pour faire quoi ?
© Jesús Escudero

2. Le Belge ne se réjouit pas d’atteindre le troisième âge

Dépendance. Solitude. Maladie. Fragilité. Incontinence. Odeurs ( ! ). Pas jolie-jolie, l’image que l’on se fait de la vieillesse, selon une étude réalisée en 2016 par l’équipe de Stéphane Adam (ULiège), qui invitait les répondants à citer les mots qui leur venaient spontanément à l’esprit. Personne n’a envie de devenir un poids presque mort. Rien d’étonnant à ce que seuls quatre Belges sur dix envisagent le troisième âge avec  » espoir et optimisme « . Principalement… ceux qui en font déjà partie. Les autres ? Neutres, au mieux,  » angoissés et anxieux  » au pire (29 % de chaque). Plus on est jeune, plus on a peur de vieillir. Dans la même veine, seuls 31 % des répondants se réjouissent d’être pensionnés, tandis que 65 % considèrent que l’on vit plus longtemps grâce aux progrès de la médecine, mais pas plus heureux !

L’avenir risque de les surprendre. C’est qu’ils s’éclatent,  » les vieux « . Plus qu’on l’imagine, comme l’ont démontré plusieurs études. Par exemple, celles réalisées récemment par Solidaris, concernant les retraités récents et les plus de 80 ans. Les premiers déclarent neuf fois sur dix être satisfaits de leur vie (seul un sur dix exprime un mal-être profond, alors que qu’ils sont près d’un quart à le ressentir chez les moins de 30 ans). Les seconds affirment également très majoritairement avoir le moral.

 » Dans notre société, la vision de la vieillesse est tellement négative que personne ne veut entrer dans cette catégorie ! résume Stéphane Adam. Or, le bonheur augmente avec l’âge. Plus précisément, il suit une courbe en smiley : il a tendance à baisser vers 30, 40 ans, puis il repart à la hausse par la suite.  » Vive le  » paradoxe du bien-être « . A priori, les seniors font face à davantage d’événements négatifs que positifs. Décès de proches, maladies, perte d’autonomie… Pourtant, ils assurent être heureux. Davantage que leurs cadets.  » Un jeune doit peut-être faire face à 10 % d’événements négatifs dans sa vie, mais il y accorde tellement d’importance que cela se transforme en 60 %, développe le chercheur de l’ULiège. Une personne âgée ne va vivre que 30 % de positif, mais elle se focalise là-dessus et ça devient 80 % !  »

Dans notre société, la vision de la vieillesse est tellement négative que personne ne veut entrer dans cette catégorie !

L’art du carpe diem, de la pleine conscience. Un enfant, en recevant des cadeaux à la Saint-Nicolas, se demandera rapidement ce qu’il se verra offrir à Noël. Un aîné aura davantage tendance à vivre l’instant.  » Mais ce genre de déclaration est toujours difficile à interpréter de manière objective, enchaîne Nathalie Burnay, sociologue du vieillissement à l’UNamur. Peut-être s’agit-il d’une revanche sur certaines représentations extrêmement négatives. Ou alors on se sent d’autant plus content parce qu’on ne s’attendait pas à vivre cette réalité-là.  » Quoi qu’il en soit, mieux vaut bien vivre ses rides et ses cheveux gris : une étude a montré qu’une vision négative de la vieillesse entraînait sept ans de vie en moins !

Cherchez l’erreur : les vieux se déclarent heureux… mais se voient massivement prescrire des antidépresseurs et autres anxiolytiques. Pour Stéphane Adam, les médecins seraient pris par leurs propres a priori en matière de vieillissement, en surdiagnostiquant ce qu’ils estiment devoir déceler chez leurs patients.  » En plus, ces médicaments, pour des raisons de faisabilité, n’ont généralement jamais été testés sur des populations au-delà de 60 ans. On ne sait donc pas exactement quels effets secondaires ils risquent d’entraîner !  »

Jacques Marquet, professeur de sociologie à l'UCLouvain.
Jacques Marquet, professeur de sociologie à l’UCLouvain.© dr

3. Le Belge craint de devenir un poids

Ceci prolonge cela : à force d’entendre qu’un aîné est un poids – pour la société, pour les pensions, pour sa famille, etc. – le Belge a peur de le devenir. La plus grande crainte face à la vieillesse, exprimée par sept répondants sur dix, est de devenir dépendant d’autres personnes. Suivent ensuite (dans l’ordre et dans les 60 %) l’angoisse de souffrir d’une maladie grave, de décliner mentalement, de perdre des membres de sa famille et de subir un inconfort physique.

 » Vieillir est souvent vu comme un état brutal qui vous tombe dessus. Or, on y vient petit à petit et on s’y adapte, pointe Liliane Charenzowski, psychologue et auteure du livre Devenez l’acteur de votre retraite (Genèse Edition). Il y a cette appréhension du mal-vieillir, de la mort, ou plutôt des maux qui la précèdent. La société entoure cette période de la vie de préjugés et les gens finissent par les intégrer plutôt que de s’en ficher.  »

S’en ficher parce que les seniors ne sont donc ni une horde de dépressifs incontinents, ni une meute de grabataires impotents. Selon l’étude Solidaris sur les octogénaires, huit sur dix d’entre eux ne vivent pas en institution et continuent à habiter dans leur propre logement. La moitié n’a même pas recours à une aide extérieure. Une dépendance somme toute fort relative.

 » Puis on parle souvent du coût, du poids, mais plus rarement du bénéfice de la vieillesse « , avance Stéphane Adam. Bénéfice personnel, puisque les retraités se sentent majoritairement heureux. Mais aussi bénéfice sociétal. Par exemple, un quart des Belges interrogés lors de notre enquête souhaite effectuer du bénévolat, tandis que 40 % désirent s’occuper de leurs petits-enfants. Combien de familles s’en sortiraient beaucoup moins bien, sans l’aide de grands- parents ?

4. Préparation aux vieux jours : la politique de l’autruche

 » La date de notre pension, on la connaît quasi depuis notre naissance, et pourtant on la nie incroyablement !  » Liliane Charenzowski en rencontre des tas, de néoretraités qui n’ont absolument pas préparé leur nouvelle vie.  » Ou alors seulement lorsqu’ils sont dedans, mais c’est souvent un peu tard.  » Notre enquête le confirme : une majorité de Belges (53 %) ne compte pas anticiper ses vieux jours.

Financièrement, certes, 61 % épargnent (et encore, surtout des Flamands). Mais seuls 11 % déclarent avoir pris des dispositions pour leur fin de vie. A peine 19 % ont réglé leur héritage, 15 % ont rédigé un testament devant notaire, 22 % conservent des biens de côté pour leurs héritiers, 13 % ont réalisé un don de leur vivant et 17 % ont prévu une assurance obsèques.

 » Après moi, les mouches ! Beaucoup n’ont pas envie de se poser ce genre de questions, parce qu’elles peuvent paraître morbides, ou alors ils ont le nez dans le guidon et ne prennent pas le temps de le faire « , constate Renaud Grégoire, porte- parole francophone de Fednot, la Fédération royale du notariat. Tout le monde n’en a pas besoin, non plus.  » Sur 1 000 personnes, la moitié peut-être n’aura pas la nécessité de faire un testament ou de régler une succession. Celles qui sont dans un schéma familial stable, classique. Les autres, par contre, auraient intérêt à y réfléchir.  » Pas trop tôt ( » un testament à 40 ans, il ne va forcément pas durer « ), mais pas trop tard non plus, pour éviter les (mauvaises) décisions prises dans la précipitation.

 » Il est vraiment délicat de réfléchir à ces situations de basculement entre le troisième et le quatrième âge, ou plutôt entre le vieillissement actif et ce moment où il y aura un accident de santé qui pourrait faire basculer dans la dépendance « , analyse Jacques Marquet, professeur de sociologie à l’UCLouvain. Citant l’exemple de la maison de repos. Les Belges les fuient comme la peste (lire le point 5), souhaitant vivre le plus longtemps possible chez eux, mais seuls 15 % prévoient d’adapter leur logement.  » Le passage en maison de retraite s’effectue alors souvent dans une période de crise, sans anticipation, au moment où les personnes sont les plus fragiles.  »  » Même si personne n’a envie d’y aller, un placement en maison de repos se passera toujours mieux quand la décision aura été envisagée en toute sérénité et non dans l’urgence « , complète Yves Dario, coordinateur du projet senior à la fondation Roi Baudouin. En 2014, celle-ci avait lancé la campagne de sensibilisation  » Penser plus tôt à plus tard « , à la suite d’un sondage démontrant que 86 % des Belges n’avaient pas discuté avec leurs parents de leur vie après la retraite, et que la minorité qui avait abordé le sujet l’avait fait dans un contexte de maladie ou de décès.  » Or, plus tôt et mieux on s’y prépare, mieux ça se passera.  »

Pas uniquement concernant les aspects matériels. Liliane Charenzowski conseille de faire le deuil de sa vie professionnelle, d’abord en fêtant sa pension.  » Il est nécessaire de marquer le coup, insiste-t-elle. Car c’est une transition qui va toucher tous les aspects de la vie : le couple, les réseaux sociaux et amicaux, l’organisation du temps…Ensuite, il faut réfléchir à ses propres valeurs et essayer de les traduire dans des actes. Ne pas se demander « comment je vais m’occuper » mais bien « dans quoi je vais m’investir ». Bref, avoir un vrai projet de vie.  »

Stéphane Adam, psychologue du vieillissement à l'ULiège.
Stéphane Adam, psychologue du vieillissement à l’ULiège.© dr

5. Le home, ce mouroir

Finir en maison de repos ? Plutôt mourir ! Selon notre sondage, seuls 3 % des Belges envisagent un home comme logement pour leurs vieux jours. Aussi répulsif que de devoir vivre chez l’un de ses enfants ou l’un des membres de sa famille (la crainte de devenir un poids). L’option résidence-services recueille à peine davantage de faveurs (6 %). Pour 64 % des répondants, rien de tel que de rester habiter chez soi le plus longtemps possible. 19 % projettent de déménager vers une maison ou un appartement plus petit, tandis que 16 % rêvent de s’installer à l’étranger, au moins une partie de l’année.

La maison de retraite est généralement associée à un mouroir.  » Et peut-être pas tout à fait à tort, opine Stéphane Adam. Il faut bien reconnaître que ces endroits ressemblent généralement plus à des hôpitaux alors qu’ils devraient être des lieux de vie.  » Le chercheur de l’ULiège aime raconter cette anecdote d’une institution devant laquelle avait été construit… un funérarium. Regardez donc par la fenêtre, résidents ! Votre dernière demeure vous attend. A leur décharge, les homes accueillent des personnes âgées de 82 ans en moyenne, souvent affaiblies ou malades, et doivent respecter une flopée de normes techniques faisant passer la convivialité au second plan.

Personne n’a envie d’avoir le temps de lire un livre pour aller d’un étage à l’autre.

Stéphane Adam rappelle tout de même qu’un directeur de maison de repos recevra une formation basée pour un tiers sur la législation, un tiers sur les ressources humaines et un tiers sur la gestion financière. Quid de la psychologie du vieillissement ?  » Une prise de conscience s’amorce, mais cela reste compliqué.  » Et d’expliquer cette expérience, menée dans un home auprès du personnel soignant qui préparait les tartines des résidents, pensant que seuls deux sur dix auraient été capables de le faire eux-mêmes. Alors que, dans les faits, ils étaient six sur dix. Infantilisante perte de temps.

Le Belge ne veut pas finir dans un  » mouroir  » ? Tant mieux, il n’y en aurait sinon pas assez pour l’accueillir.  » Ce désir – généralisé en Europe – de vivre le plus longtemps chez soi correspond bien à la volonté politique « , remarque Jean-Paul Sanderson, chercheur à l’UCLouvain. Si ce n’est (on l’a dit) que peu de monde pense à adapter son logement pour y parvenir. Pour Stéphane Adam, le monde de la construction est confronté à deux défis majeurs : l’énergie et le vieillissement.  » Beaucoup a été fait pour le premier, très peu pour le second, regrette-t-il. Il faudrait imaginer des maisons où les murs seraient modulables, où des parois pourraient être ajoutées ou enlevées, selon les besoins. Où le rez-de-chaussée serait pré-équipé pour une salle de bains, par exemple. Tout cela devrait être pensé à l’avance.  » Parce qu’un Stana, c’est marrant deux minutes, mais personne n’a envie d’avoir le temps de lire un livre pour aller d’un étage à l’autre.

Assurance autonomie, livraison de repas, infirmiers, aides-soignants… Nombre de possibilités existent pour ceux qui ont besoin d’un coup de pouce pour le maintien à domicile.  » Mais attention : plus il y a de gens pour assister une personne, plus elle va développer une dépendance « , prévient Stéphane Adam. Et de citer une étude qui a démontré que les parents de filles avaient statistiquement plus de chances de souffrir de pertes de mémoire que s’ils avaient eu des garçons. Le désavantage d’une progéniture trop maternante…  » Il faut donc voir quelle est l’aide réelle dont une personne a besoin. Et ne pas tomber dans l’assistanat.  »

6. Travailler plus longtemps : ce rêve bleu

Vivre plus longtemps, jusqu'à quel âge, en bonne santé, pour faire quoi ?
© Jesús Escudero

Si les volontés politiques et populaires se rejoignent en matière de maintien à domicile, elles sont en revanche loin de converger concernant l’âge du départ à la pension. Les élus rêvent de les faire travailler plus longtemps ? Les Belges n’en ont vraiment pas l’intention : 44 % veulent arrêter avant d’avoir atteint l’âge légal et 43 % à 65 ans. Seuls 11 % consentiraient à bosser au-delà, essentiellement des indépendants et des cadres supérieurs.  » Ce pourcentage très marginal a déjà été mis en lumière par d’autres études, note Jean-Paul Sanderson. Il s’agit généralement de personnes ayant une situation confortable et qui veulent poursuivre leur activité professionnelle non pas pour des raisons financières, mais pour une question de statut, d’image, d’estime de soi.  »

Parmi les répondants déjà pensionnés, interrogés dans le cadre de ce sondage, seuls 5 % ont arrêté le boulot après 65 ans, tandis que 58 % ont cessé avant et 35 % à  » terme « .  » Toutes les enquêtes démontrent que personne ne se précipite sur les mesures votées depuis 2015 pour permettre aux gens de travailler plus longtemps, précise Nathalie Burnay (UNamur). Les seules mesures qui pourraient leur faire changer d’avis seraient le fait d’y gagner un enrichissement personnel ou des mesures d’aménagement de fin de carrière.  » 75 % des sondés confirment, en effet, qu’ils ne joueraient les prolongations que sous conditions : travailler à mi-temps plutôt qu’à temps plein (40 %), obtenir une retraite plus élevée (30 %), c’est-à-dire d’au moins 100 à 250 euros par mois (45 %) voire de 251 à 500 euros (30 %), avoir un contenu de travail plus ajusté (29 %) ou travailler un jour de moins par mois (19 %).

Bref,  » la réduction du temps de travail en fin de carrière prolonge les carrières « , synthétise Nathalie Burnay, citant le succès des crédits-temps, avant que cette possibilité ne soit reculée (de 55 à 60 ans) en 2015.  » En 2017, on a vu que le budget de l’assurance-maladie avait augmenté. Ce qui laisse penser que les gens qui ne sortent pas par la porte optent finalement pour la fenêtre…  »

Pour nombre d’entreprises, les seniors (dans le monde professionnel, on le devient dès… 40 ans) restent souvent considérés comme des charges coûteuses, dépassées, démotivées, improductives. Une autre idée reçue, que Stéphane Adam s’applique à démonter. Le chercheur liégeois cite cette  » expérience grandeur nature « , menée en Allemagne par BMW. Le constructeur automobile, embauchant pas mal de travailleurs vieillissants, avait séparé son personnel sur deux sites de production. L’un pour les moins de 45 ans, l’autre pour ceux qui avaient dépassé cet âge. Sans surprise, les premiers s’étaient révélés davantage productifs. Alors les ressources humaines avaient aménagé les conditions de travail au sein de l’usine senior. Pauses, matériel adaptable, etc. Là, les deux niveaux de productivité étaient redevenus semblables. L’âgisme au boulot ne serait donc pas une fatalité.  » On peut résumer en disant que les jeunes courent peut-être plus vite, mais que les vieux arrivent quand même premiers parce qu’ils connaissent tous les raccourcis !  »

Nathalie Burnay, sociologue du vieillissement à l'UNamur.
Nathalie Burnay, sociologue du vieillissement à l’UNamur.© dr

7. Travailler moins pour profiter plus

Bosser plus, non merci : le Belge a donc d’autres projets pour ses vieux jours. Profiter, par exemple. D’abord en voyageant (65 % des répondants), en consacrant davantage de temps à ses hobbys (49 %), en s’occupant de ses petits- enfants (40 %), en se cultivant (musées, spectacles, lecture… 39 %), en cuisinant et en mangeant (34 %), en faisant du sport (30 %), du bénévolat (26 %), en acquérant de nouvelles compétences (25 %) et en bricolant (20 %).

 » C’est la période lune de miel, sourit Liliane Charenzowski. Elle dure habituellement un ou deux ans après la retraite. On en profite pour réaliser les rêves reportés, les deux ou trois grands voyages qu’on n’avait pas pu faire avant, les albums photos qu’on n’avait jamais eu le temps de confectionner… Après arrive généralement le stade : OK, maintenant, j’ai accompli ça. Et maintenant ? Comment je donne du sens à ma vie ?  » D’où l’importance d’une préparation, ou du moins d’une réflexion préalable, reprend la psychologue.  » On peut par exemple décider d’apprendre l’espagnol et c’est très bien. Mais si on entreprend cela parce qu’on veut faire un voyage en Amérique du Sud, ça devient une tout autre démarche.  »

Malgré le nombre d’opinions favorables à l’euthanasie, celles-ci restent peu courantes.

8. Pas (trop) d’angoisses financières

Par les temps économiques qui courent, cela peut surprendre, mais les Belges interrogés ne semblent pas trop inquiets financièrement parlant. La moitié des répondants estiment disposer de suffisamment de ressources pour bien vivre, un tiers se dit neutre et le solde a par contre du mal à boucler ses fins de mois. Une fois retraités, 29 % craignent de ne pas avoir assez de moyens, 37 % pensent le contraire et 34 % sont neutres. Les néerlandophones semblent toutefois plus optimistes que les francophones. Les experts relèvent par ailleurs un risque de biais dans notre sondage : ayant été réalisé par Internet, il n’a peut-être pas englobé une population plus précarisée, moins connectée.

Le Belge compte surtout sur sa pension légale pour financer ses vieux jours (71 %), un peu moins sur son épargne personnelle (46 %) ou sur son épargne pension (44 %). Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’il soit favorable (à 81 %) à une augmentation du montant de la retraite à 1 500 euros pour tous (actuellement, pour une carrière complète, il s’élève à 1 566,79 euros au taux ménage, mais à 1 253,83 euros au taux isolé et à 1 237,07 euros pour les pensions de survie). 73 % des répondants seraient d’accord avec l’idée de plafonner les retraites les plus élevées pour pouvoir rehausser celles de la majorité de la population.

9. Oui à l’euthanasie

Une majorité de Belges (64 %) se déclare en faveur de l’euthanasie, selon notre enquête. Plus les répondants sont âgés, plus ils sont d’accord avec l’idée de pouvoir médicalement mettre un terme à la vie. 20 % n’ont pas d’avis, et 16 % sont contre, surtout parmi les 25-34 ans. Le  » oui  » est toutefois lié à des conditions : trop souffrir (85 %), devenir fou ou diminué mentalement (70 %), être gravement malade (68 %), devenir nécessiteux (47 %) ou ne plus avoir envie de vivre (32 %).

Malgré le nombre d’opinions favorables à l’euthanasie, celles-ci restent peu courantes. En 2018, selon les chiffres officiels, 2 357 ont été pratiquées, soit une augmentation de 1,8 % par rapport à l’année précédente. Trois quarts d’entre elles concernaient des néerlandophones. Ce sont surtout des personnes âgées de 80 à 89 ans qui demandent l’euthanasie. Près de la moitié se passent à domicile. Dans la grande majorité des cas (85 %), le médecin estimait que le décès du patient était prévisible à brève échéance. Les causes médicales étaient principalement des cancers (61 %) et dans une moindre mesure des polypathologies, des maladies du système nerveux, de l’appareil circulatoire ou respiratoire. Les troubles mentaux ou de comportement ne concernaient que 2,4 % des situations.

Vivre plus longtemps, jusqu'à quel âge, en bonne santé, pour faire quoi ?
© Jesús Escudero

10. Pourquoi le Flamand vivra plus vieux que le Wallon

C’était une constante, tout au long de l’analyse des résultats de ce sondage : les néerlandophones semblent bien mieux lotis que les francophones. Ils s’imaginent vivre plus vieux, épargnent davantage, se préparent mieux, ont moins d’angoisses financières… Les chiffres le confirment : l’espérance de vie est plus longue au nord de la frontière linguistique.  » C’est une tendance qui a commencé à s’observer après la Seconde Guerre mondiale « , contextualise Thierry Eggerickx (UCLouvain).

La principale explication est – sans surprise – d’ordre socio-économique.  » En matière d’inégalités sociales, le nord et le sud ne vivent pas dans le même monde « , constate Nathalie Burnay (UNamur). Les Flamands ont un niveau de vie plus élevé, voilà, c’est comme ça. Et l’argent, ça aide à faire de vieux os : l’écart d’espérance de vie entre les groupes sociaux les plus et les moins favorisés atteint… neuf ans.  » Mais même lorsqu’on travaille à groupes sociaux équivalents, l’espérance de vie reste plus élevée en Flandre qu’en Wallonie, détaille Thierry Eggerickx. D’autres éléments entrent donc en jeu.  »

Probablement l’environnement physique : le sud du pays comporte davantage de sites industriels, où l’on vit statistiquement moins vieux qu’ailleurs, même quand on fait partie des plus favorisés. La pollution, la mixité sociale, les différences de comportements alimentaires dessinent d’autres pistes d’explication. Comme le maillage de l’offre de soins de santé. Les régions les plus reculées, comme l’Ardenne, sont moins bien desservies en hôpitaux, mais sont particulièrement vieillissantes.  » En Flandre, poursuit le chercheur de l’UCLouvain, les réseaux routiers sont beaucoup plus denses, ce qui offre des facilités d’accès pour se soigner. Le Brabant wallon, par exemple, a une espérance de vie quasi identique à celle de la Flandre. Cette province est particulièrement bien desservie en matière de soins de santé.  » Pour vivre plus longtemps, hop, tout le monde dans le Brabant !

Le sondage en détails

Ce sondage a été réalisé par le bureau Kantar à la demande du Vif/L’Express, du 3 au 24 janvier dernier. Mille personnes ont répondu, en ligne, à cette enquête d’une quarantaine de questions. Un échantillon représentatif de la population belge, tant en matière de langues, de genre, de revenus. L’erreur maximale s’élève à 3,1 %.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire