Quand César devint chrétien

Le règne de l’empereur romain est une révolution pour l’Eglise : non seulement il met fin aux persécutions, mais il la renforce et en fait un instrument de son propre pouvoir.

Lorsque l’empereur Constantin devint maître de l’Afrique au lendemain de sa victoire sur son rival Maxence au pont Milvius (28 octobre 312), il entreprit d’étendre à ces territoires nouvellement acquis certaines des mesures qu’il avait déjà prises en faveur des chrétiens dans les Gaules ou les Espagnes, à commencer par le parachèvement de la restitution des biens qui avaient été confisqués aux églises lors de la  » grande persécution  » (303-305), menée sous le règne de l’empereur Dioclétien. Mais il apprit que  » certaines gens à l’esprit dérangé veulent semer le désordre dans le peuple de la très sainte Eglise catholique (qu’il faut entendre ici au sens de la « vraie Eglise », celle qui conserve l’orthodoxie de la foi) « . La  » Grande Eglise africaine  » était en effet vivement divisée depuis quelques années : un schisme s’était produit, et deux hommes revendiquaient la charge d’évêque. Il s’ensuivit une querelle d’importance puisqu’elle servit de laboratoire, où s’ébauchèrent des normes et toute une jurisprudence portant sur les relations entre la Grande Eglise et l’empereur. C’est ainsi que, pour trancher le litige après plusieurs années de querelles, une procédure tout à fait inédite réunit en Arles, le 1er août 314, un concile rassemblant une petite vingtaine d’évêques. Ce fut le premier  » concile impérial « .

Il fit édifier de somptueuses basiliques

En 318, Constantin donna aux évêques le droit de juger sans appel les causes civiles, institutionnalisant une pratique ancienne d’arbitrage au sein des communautés chrétiennes ; en 321, l’affranchissement d’esclaves dans une église en présence d’un évêque fut autorisé et reconnu comme ouvrant aux mêmes droits qu’un affranchissement selon la procédure dite  » formaliste  » ; la même année fut concédé aux Eglises le droit de recevoir des successions testamentaires, et le  » jour vénérable du soleil « , le dimanche, fut déclaré chômé pour les  » populations urbaines et les activités de tous les métiers  » ; seuls les ruraux furent laissés libres de travailler ou pas. Avant 324, très vraisemblablement, Constantin offrit à l’évêque de Rome, au Latran, au prix de travaux de nivellement considérables, une cathédrale, un édifice spécifiquement construit pour abriter les réunions liturgiques de la communauté romaine assemblée autour de son pasteur. D’autres dons de même nature suivirent, et l’empereur fit édifier, en une série de variations architecturales, de somptueuses basiliques, une au Vatican pour servir d’écrin à la sépulture présumée de l’apôtre Pierre, une sur la route d’Ostie pour celle de Paul, et bien d’autres encore.

Dans les territoires soumis à Licinius, l’empereur de la partie orientale de l’Empire, le très improprement dit  » édit de Milan « , en fait une lettre de l’empereur aux gouverneurs des différentes provinces sous sa juridiction, qui fut affichée à Nicomédie le 13 juin 313, accorda aux chrétiens la liberté de culte et la restitution des biens confisqués. La législation ultérieure de Licinius est très mal connue, et particulièrement la partie concernant les chrétiens ; la période de la seconde guerre avec Constantin, qui se solda par la défaite de Licinius à l’automne 324, vit la mise en oeuvre d’une politique hostile à ces derniers. Au lendemain de sa victoire, Constantin étendit à l’Orient les privilèges dont jouissait l' » Eglise impériale  » en Occident. Il dut là aussi affronter les divisions de la Grande Eglise, déchirée par une querelle doctrinale opposant un prêtre d’Alexandrie, Arius, et son évêque, Alexandre, dispute qui avait bientôt embrasé tout l’Orient. La solution du  » concile impérial  » fut là aussi retenue, et des évêques, essentiellement orientaux, se réunirent à Nicée, en présence de l’empereur, du 20 mai au 19 juillet 325. L’empereur – et dans le cas présent un non-baptisé qui s’affirmait cependant chrétien – devenait ainsi, de plus en plus, partie prenante de la régulation de l’unité ecclésiale, une tâche jusque-là exclusivement réservée aux évêques, mais qui contribuait de manière de plus en plus décisive à la prospérité de l’Empire.

De nouveaux délits religieux apparaissent

Le concile de Nicée se solda entre autres par la condamnation d’Arius et la déposition de deux évêques, qui furent entérinées par l’empereur, qui les exila : Constantin mit ainsi la force publique au service des décisions de l’assemblée. C’est là le début d’une  » orthodoxie d’Empire  » sujette aux oscillations des souverains, toujours susceptibles de modifier leurs dispositions. Ce sont là aussi l’invention de nouveaux délits religieux,  » hérésies  » ou  » schismes « , constitués en crimes aux termes de la loi de l’Empire.

Dès lors, l’avènement de l’Empire chrétien  » donne un style nouveau aux conflits ecclésiastiques. […] Les partis rivaux s’efforcent désormais de placer auprès du prince un homme de confiance, cherchant le plus souvent à gagner à leur cause l’évêque de la résidence palatine, susceptible d’être un médiateur efficace […]. Apparaît ainsi un nouveau type de prélat, engagé dans les intrigues de la cour, attentif à rechercher appuis et influences. D’autre part, les partis rivaux, appuyés sur des réseaux de théologiens, sont contraints d’élaborer une stratégie globale : pour assurer la victoire de leur théologie, il leur faut gagner les sièges épiscopaux importants et rassembler un grand nombre d’évêques. Finalement, à chaque succès, le parti vainqueur dépose les plus marquants de ses adversaires. Jusqu’alors, l’Eglise n’avait guère connu ces purges organisées par des chrétiens contre d’autres chrétiens  » (Charles Pietri).

L’articulation des rapports entre l’empereur et les évêques resta très pragmatique et il convient de se garder de vouloir par trop les systématiser : assurément les évêques se considéraient comme les véritables chefs de l’Eglise, et leur appréciation des interventions coercitives de l’empereur en matière religieuse variait, sauf exception, selon que ce dernier favorisait ou non la communion à laquelle ils appartenaient. A Donat, qui s’exclamait :  » Qu’a de commun l’empereur avec l’Eglise ! « , ses adversaires rétorquaient que les donatistes avaient été les premiers à faire appel au pouvoir impérial. S’il y eut des tentatives pour élaborer une sorte de théologie de l’Empire chrétien – Eusèbe de Césarée fut probablement le premier en date – si l’on a pu parler, avec quelque excès, d’un  » premier césaropapisme  » à propos de la politique religieuse de Constance II (337-361), l’un des fils de Constantin, il n’en demeure pas moins que, dans la plupart des cas, les empereurs cherchèrent à pouvoir s’autoriser d’une décision conciliaire, le cas échéant en la provoquant, pour être en mesure d’agir au sein de la Grande Eglise.

Par Michel-Yves Perrin

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