Qu’as-tu, Kat’a ?

Une tristesse absolue. Un désespoir sans borne… Voilà ce qui la ronge, Kat’a Kabanova, dans une lecture désespérante de l’ouvre de Janacek, montée à la Monnaie par Andrea Breth.

Elle est si douce, Kat’a, si fragile et si tendre, que son existence parmi des êtres médiocres et cruels, qui orchestrent lentement, par leurs bassesses, sa terrible chute, en fait une des amantes les plus émouvantes du répertoire lyrique. Peter de Caluwe, l’intendant de la Monnaie, en est chaque fois K.-O. debout, lui qui a pourtant assisté tant de fois aux douleurs chantées de la jeune femme adultère, dans cette tragédie psychologique amère et sombre du compositeur tchèque Leos Janacek :  » C’est un monde passionné et très triste. C’est un cauchemar… « , lâche-t-il, et les mots lui manquent. Mais pourrait-il en être autrement, dans un opéra qui s’achève sur la scène atroce d’une belle-mère (Kabanikha) se réjouissant du suicide de sa belle-fille (Kat’a), en remerciant sans états d’âme  » les braves gens de leurs bons services  » – avoir repêché le cadavre de l’héroïne ? Kat’a s’est noyée dans l’eau froide de la Volga, et nous, spectateurs, émergeons sonnés des ténèbres de ce milieu oppressif et poétique, véritable concentré de désespoir absolu…

Voilà Kat’a, frêle habitante de Kalinov (actuelle Slovaquie), vers 1860. Elle est mariée à Tichon, un grand dadais qui porte bien son nom, pour n’avoir jamais osé couper le cordon ombilical. Inféodée, comme son époux et toute la maisonnée, d’ailleurs, à la loi furieuse de Kabanikha, vieille pie aigrie, jalouse, tyrannique, brutale, insultante, odieuse, étouffante. Elle est malheureuse, Kat’a, on le serait à moins. Et son histoire est simple comme la pluie : un jour, elle tombe amoureuse d’un autre. L’expérience de cette passion coupable, de cette liberté barrée d’interdits moraux et religieux provoque en son c£ur un tel maelström qu’elle n’y survivra pas. Tirant son récit d’une pièce d’Alexander Ostrovski intitulée L’Orage, Leos Janacek (1854-1924), à cheval sur deux siècles et deux courants (traditionaliste et moderniste), a 67 ans lorsqu’il achève, en 1921, l’écriture musicale de Kat’a Kabanova, que lui a inspirée, en bonne partie, sa muse Kamila Stösslova – cette femme mariée et lui échangeront près de 700 lettres après leur rencontre dans la ville d’eaux de Luhacovice. Ici, point de babouchka, de bortch ou de cabane en saules. Andrea Breth, figure emblématique du théâtre allemand, a gommé toutes les spécificités slaves, pour ne garder qu’un univers bleuté  » anéanti, terrible et apocalyptique, mais qui présente néanmoins des tableaux quotidiens « .

Il n’y a rien de charmant, dans tout cela, sauf l’évocation des souvenirs de Kat’a et le passage fugace, sur scène, d’une fillette évoquant son passé, petite oiselle innocente. Le reste, c’est de la souffrance. Celle d’une belle-mère asphyxiante (il en existe de pareilles, hélas !), celle d’un époux dont la misogynie cache la honte de subir, à son âge, la férule maternelle, et celle de proches lâches et muets – excepté une s£ur adoptive, qui sauve un tout petit peu le genre humain de tant d’infamie. Le ténor John Graham-Hall, en Tichon infantilisé que sa mère (Renée Morloc, glaciale) lave encore dans une bassine en fer blanc, est parfait. Sa  » nullité  » souligne d’autant mieux la pureté de Kat’a, magistralement interprétée (couchée, pliée, affaissée, dans toutes les positions !) par Evelyn Hertlitzius, sous la direction de Léo Hussain. Le maestro et la metteuse en scène n’ont pas prévu d’entracte, pour que la tension inhérente à cette £uvre envoûtante ne faiblisse à aucun moment. Ils ont eu bien raison. Prévoir, dès lors, 105 minutes d’intenses frissons.

Kat’a Kabanova, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 14 novembre. Info sur www.lamonnaie.be

VALéRIE COLIN

Kat’a, une des Amantes les plus émouvantes du répertoire lyrique

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