» Promouvoir la démocratie n’est pas une mission « 

Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat de Bill Clinton, a récemment publié un livre* sur la religion et la diplomatie. Soutien d’Obama, elle fustige le messianisme de l’administration Bush.

Comme les temps changent ! Aux Nations unies, où l’ex-président Bill Clinton l’avait nommée ambassadrice en 1993, Madeleine Korbel Albright incarnait parfois la poigne de l’hyperpuissance et une sévérité implacable envers l’Irak de Saddam Hussein, avant d’être promue secrétaire d’Etat avec l’assentiment unanime du Congrès en 1996.  » Hyper Madeleine  » évoque aujourd’hui, au regard des années Bush, un modèle de nuance et d’ouverture consensuelle. Engagée auprès de Hillary Clinton pendant les primaires démocrates, cette  » idéaliste pragmatique « , née avant la Seconde Guerre mondiale en Tchécoslovaquie et à jamais marquée par le désastre européen, soutient désormais Barack Obama. Le seul capable, selon elle, de rendre crédibilité et attrait à une nation puissante et  » indispensable « . Son livre, Dieu, l’Amérique et le monde, débat du rôle de la religion dans les relations internationales. Et offre un éclairage passionnant sur les vraies valeurs américaines et les dangers d’un mes-sianisme arrogant.

Le facteur religieux a-t-il été suffisamment pris en compte dans la politique américaine, avant le drame du 11 septembre ?

E Ma génération a été formée par des intellectuels qui jugeaient que les questions internationales étaient déjà bien assez compliquées sans que l’on y rajoute des considérations religieuses. Mais les conflits en Irlande, dans les Balkans, au Moyen-Orient m’ont convaincue que l’on ne peut pas appréhender ces crises sans apprécier le rôle qu’y jouait la religion.

Au fanatisme des attentats du 11 septembre a semblé répondre la croisade d’un président américain religieux…

E J’ai longtemps considéré George W. Bush comme une anomalie, un accident de l’histoire américaine. C’est un homme qui a osé affirmer :  » Dieu veut que je sois président.  » Mais, à la réflexion, il n’est pas le premier, chez nous, à se réclamer du divin. A la fin du xixe siècle, le président McKinley considérait que son devoir était de christianiser les Philippines. Et Woodrow Wilson, entre 1913 et 1921, se voyait investi d’une mission. Je suis persuadée que les Etats-Unis ont un rôle singulier, indispensable, et que le monde en attend beaucoup. Mais l’administration Bush a tiré les mauvais enseignements de cette position particulière de notre pays. Nul ne peut nier l’énormité du traumatisme du 11 septembre, mais ce choc ne saurait justifier la politique erronée qui a été menée ensuite. L’Amérique est la démocratie la plus puissante du monde ; à ce titre, elle doit venir en aide à ceux qui désirent établir des institutions libres. Mais promouvoir la démocratie est une politique et non une mission. Les Etats-Unis ne sont pas au-dessus des lois. Nous ne sommes pas appelés par Dieu à répandre la démocratie et nous n’avons pas pour mission de propager la foi chrétienne.

George W. Bush a au moins eu un effet positif sur l’aide au développement et la lutte contre le sida en Afrique. Faut-il y voir l’influence des mouvements évangéliques ?

E Tout le monde a, en tout cas, été agréablement surpris que George W. Bush augmente l’aide à l’Afrique et fasse tant d’efforts pour endiguer le VIH sur ce continent. Avec Bill Clinton, nous avions tenté de le faire, mais le Congrès ne nous était pas favorable à l’époque. Il est vrai aussi que l’aide humanitaire, le secours aux réfugiés, la lutte contre les génocides sont des sujets primordiaux pour les mouvements religieux américains.

Pendant la campagne pour la présidentielle, les républicains n’ont-ils pas cherché à apparaître à nouveau comme les champions des valeurs morales ?

E Les démocrates n’ont certes pas clamé leur attachement à la religion, bien qu’ils aient £uvré pour la justice sociale. Mais j’ai travaillé auprès de deux présidents, Jimmy Carter et Bill Clinton, qui affichaient l’un et l’autre de profondes convictions religieuses. Aujourd’hui, le sénateur Obama lui-même n’hésite pas à évoquer sa foi.

Comment reconstruire l’image des Etats-Unis ?

E Ma conviction est que l’Irak pourrait constituer le plus grand désastre de la politique étrangère américaine. Pour reconstruire le leadership américain, le prochain président devra combattre le terrorisme sans exacerber les sentiments des extrémistes. Il devra aussi rendre sa bonne réputa-tion au système démo-cratique et se préoccuper du fossé grandissant entre riches et pauvres. Il lui faudra enfin lutter contre les conséquences néfastes de la mondialisation, prendre en compte les dangers pour l’environnement et mettre en £uvre une véritable politique énergétique. Le tout, en s’appuyant sur la coopération internationale et ses institutions.

Est-ce un retour au réalisme ?

E Si Barack Obama est élu, nous nous éloignerons des excès unilatéralistes. Lui-même a parlé de partenariat et assuré que l’Amérique ne pouvait pas se fier seulement à sa puissance militaire. Les Etats-Unis doivent mieux user de leur smart power, en projetant une puissance sophistiquée et intelligente qui prenne en compte les points de vue d’autres acteurs internationaux.

Et si McCain l’emporte ?

E Il n’est pas autant porté vers l’unilatéralisme que le président Bush, mais il voit les choses sans grandes nuances et semble bien plus enclin à recourir à l’outil militaire.

Y avait-il une différence entre Obama et Hillary Clinton ?

E L’important, c’est que tous deux ont fait le constat de la perte d’autorité de l’Amérique et de la nécessité de rétablir notre image en travaillant désormais dans le cadre d’un système d’alliance.

L’administration Bush aurait-elle pu éviter le conflit de Géorgie ?

E Ce gouvernement, à mon sens, a une vision non seulement unilatéraliste, mais aussi unidimensionnelle. Il ne s’est préoccupé que d’une seule région dans le monde, alors que ces conflits figés d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie requéraient des observateurs sur place et l’envoi de messages plus clairs aux Russes. Les événements de Géorgie rappellent l’importance capitale d’un bon système de concertation internationale, d’un partenariat avec l’Europe et d’un meilleur dialogue avec le reste du monde.

* Dieu, l’Amérique et le monde, par Madeleine Albright. Ed. Salvator, 380 p.

Propos recueillis par Philippe Coste

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