© philippe cornet

Profession caméléon

Ex-guitariste de Sharko, Teuk Henri additionne les projets les plus éclectiques. Entre impros carnassières au sein d’I H8 Camera et pop-rock supérieur chez Individual Friends.

 » Teuk a du génie. Fort. Fort. Je le pense depuis le début… Depuis la toute première fois où, seuls dans une cave à Saint-Gilles en 1999, son talent a irradié la pièce. La perspective d’avoir un « son » unique collé à mes chansons, ce fut un eurêka! » Juillet 2021, David Bartholomé nous répond par un long courriel pour évoquer Teuk Henri, son ex-partenaire dans Sharko. Ensemble, ils ont bourlingué pendant vingt ans et cinq albums ; Teuk a quitté le groupe en 2019 après avoir déposé quelques dernières guitares sur Glucose, paru à l’automne cette année-là. Sharko reste sans aucun doute la partie la plus visible de l’iceberg Teuk Henri et celle qui expose le versant le plus pop du musicien-puzzle né en 1967, à Schaerbeek, de parents limbourgeois.

Toutes mes relations avec les gens sont de nature sentimentale.

Dès la fin des années 1980, l’auto- didacte Teuk ne cesse de multiplier les excursions musicales, souvent détachées du main-stream en vigueur. Que ce soit dans Rawfrücht, trio foldingue bruxellois, le jazz élargi d’Alice’s 5 Moons du contrebassiste Nicolas Thys ou son propre album solo de 2004, Hope to See You Again. Ces temps-ci, une demi-douzaine de projets garnissent sa table gourmande: Mercelis, Noodzakelijk Kwaad, Matt Watts Group et puis les deux que l’on coche plus particulièrement: Individual Friends (1) et I H8 Camera (2). Ses yin et yang, à 180 degrés l’un de l’autre.

Individual Friends est un collectif de dix musiciens créé il y a trois ans via un casting hybride, incluant notamment l’ Afro-Bruxellois Bai Kamara Jr., le flamand Kris Dane, l’ Américain Matt Watts et, bien évidemment, Teuk Henri. Leur récent album homonyme (chez Starman Records) est ce qu’il convient de baptiser une « petite merveille », tellement les chansons exsudent de sève, d’inspiration, d’oxygène mélodique . I H8 Camera est une affaire nettement plus bruitiste. La formation lancée par Rudy Trouvé (ex-dEUS) ne fonctionne qu’à l’improvisation: « On ne sait absolument jamais ce qu’on va jouer. Le principe est simple: chacun des musiciens, une demi-douzaine, lance tour à tour un morceau et les autres suivent. Rudy, qui chante et joue également de la guitare, prend alors le droit, lorsqu’il le désire, d’arrêter tel ou tel instrumentiste. Cela donne un sentiment de liberté totale. »

Teuk Henri, hédoniste et chercheur de sons.
Teuk Henri, hédoniste et chercheur de sons.© philippe cornet

Guitares chéries

Dans le séjour de son logement bruxellois, bibelots, bouquins et pots de couleur: « Pendant la pandémie, j’ai énormément peint. D’où ce tas de feuilles colorées. » Ici aussi, l’improvisation n’est pas loin. Teuk a arraché les pages d’un livre- dictionnaire et les a couvertes de curieuses géométries colorées. Autre fixette, les disques évidemment. Beaucoup de vinyles, notamment September Man (1974), un classique du grand Philip Catherine. « Un chef-d’oeuvre! Il résout ce qui est le plus important pour moi: le plaisir de jouer. Je suis un sentimental, un mélancolique, c’est cela qui me fait vivre! Je suis heureux quand je joue et quand je sens que j’ai des amis. D’autant que l’amour est compliqué. » Avant Sharko, Teuk a appris les songbooks de Dylan et Cohen, décroché un diplôme d’assistant bibliothécaire, multiplié les boulots alimentaires, accompli un service civil qui l’a mené à la bibliothèque de Leuven. Entouré de livres comme il l’est toujours aujourd’hui.

Dans la pièce où l’on s’est assis, une demi-douzaine de guitares regardent silencieusement leur propriétaire. Dont ses chéries, une superbe douze cordes acoustique et une Fender Telecaster vintage. « C’est une édition originale américaine, de 1970. Je l’ai achetée quand on payait encore en francs belges: 30 000, ce qui était une somme à l’époque. » Au mur, une Gretsch rouge-orange et puis d’autres six cordes. Plus un dédale de pédales. Teuk aime tellement son nid qu’il délaisse volontiers sa chambre pour passer les nuits sur son canapé, entouré de ses instruments.

Ce chercheur de sons, entre autres marqué par la scène new-yorkaise à la Marc Ribot/John Zorn, tire de ses guitares des zones sulfureuses, des no man’s lands, des dérapages parfumés, des paysages rêveurs ou pas. Comme ceux du poète flamand Jan Ducheyne dans Noodzakelijk Kwaad, flamboyant projet musico- littéraire. Enthousiaste, Teuk Henri nous fait écouter sa prochaine aventure, Ader, également en langage du nord: prévu pour sortir à l’automne, la musique est édifiante de beauté et d’ apaisement. « Cette musique-là est fluide, mais j’ai vraiment besoin de certains déséquilibres parce que je suis hédoniste. Disons que toutes mes relations avec les gens sont de nature sentimentale. »

(1) Individual Friends sera en concert à L’Archiduc à Bruxelles les 6, 13, 20, 27 septembre et le 1er octobre. (2) I H8 Camera se produira au Micro Festival à Liège le 7 août.

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