Prisons: dangereux surplace

La grève des gardiens de prison met la pression sur un gouvernement qui, malgré l’augmentation du nombre de places dans les établissements pénitentiaires, ne parvient pas à maîtriser une machine pénale qui s’emballe

Le 5 juillet 2000, c’est avec une certaine solennité que le ministre de la Justice, Marc Verwilghen (VLD), déposait au Parlement le rapport de la commission Dupont. Déjà en place sous la précédente législature, cette commission, présidée par un pénaliste de la KULeuven, le Pr Lieven Dupont ( lire l’entretien p.16), avait été chargée d’élaborer une « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus ». Une urgence, compte tenu de l’absence d’une base légale solide au droit pénitentiaire belge, qui en fait une rareté ans le paysage pénitentiaire européen. Deux ans plus tard, rien n’a bougé: les députés n’ont examiné qu’une quinzaine d’articles. Sans se faire d’illusions: comme d’autres textes concernant des problèmes de société importants mais dénués d’impact électoral (adoption, réforme du divorce…), cette proposition de loi, qui devrait instaurer un ordre plus juste dans les prisons, ne sera sans doute pas adoptée par l’actuelle majorité. Priorité a été visiblement donnée aux aspects répressifs de la politique du gouvernement arc-en-ciel: anonymat des témoins, protection des témoins menacés, techniques particulières de recherche, « repénalisation » du droit de la jeunesse. Et pendant que l’agenda de la commission « justice » de la Chambre explose, le feu est dans les prisons. Une précisionutile: la future loi Dupont pose, en préalable, le principe de non-surpopulation. Autant dire une chimère, dans les circonstances actuelles.

Avec quelque 8 890 détenus pour une capacité de 7639 places, et même si celle-ci va être bientôt portée à plus de 8000 places, le système pénitentiaire belge est paralysé. Doublement: par la surpopulation carcérale et par un manque chronique de personnel, aggravé par une nouvelle campagne de grèves décidée par un très large front commun syndical. Tout concourt à faire de ce dossier une épreuve récurrente pour un ministre de la Justice qui n’a jamais vraiment goûté le dialogue avec les corps intermédiaires. Et ce n’est pas l’inauguration de la nouvelle prison d’Ittre, dans le Brabant wallon, qui va résoudre le problème. Calquée sur le modèle high-tech de la prison d’Andenne, elle devrait accueillir 420 détenus francophones (prévenus et condamnés) avant la fin de l’année, ce qui permettra de délester la prison d’Anvers (où séjournent un certain nombre de francophones) et celles de Bruxelles. Elle démarrera, dans quelques semaines, avec une centaine de personnes, pour permettre de « roder » l’établissement. L’ouverture de la nouvelle prison de Hasselt (420 nouvelles places) est prévue en 2004 et la rénovation de certaines ailes des prisons de Mons et de Tournai a déjà permis d’augmenter le nombre de lits . Mais, vu l’hyperactivité des policiers et des parquets sur le terrain, tout indique, sauf changement de cap fondamental, que ces nouveaux espaces seront rapidement occupés. Ce qui rend le système ingérable? L’afflux continuel de nouveaux prisonniers condamnés à des peines toujours plus longues, l’allongement des détentions préventives et la rotation accélérée des « courtes peines » (moins de trois ans) que le ministre de la Justice libère , en catimini, par le système discutable des libérations provisoires (80% des sorties anticipées, les 20% restants passant par les commissions de libération conditionnelle indépendantes. Marc Verwilghen a déposé à la Chambre un projet de gestion pénitentiaire par le système des quotas, inspiré du modèle hollandais. Il rendrait chaque directeur de prison responsable de l’équilibre démographique de son établissement par le recours à diverses techniquesqui font immanquablement penser à la gestion des stocks dans la grande distribution, où l’on travaille par « flux tendus »: report d’incarcération, sortie anticipée, exécution de la peine à domicile, etc. Mais ce projet est, lui aussi, en sommeil à la Chambre, en compagnie d’une quarantaine d’autres textes émanant du cabinet de la Justice.

Epreuve de force

Voici pour l’amont, quand la machine pénale est lancée et que les directeurs de prison, pressés par un juge d’instruction ou un magistrat du parquet impatients, doivent ajouter des matelas en renfort, en se demandant quel métier ils font! En aval, et malgré une louable exception (les travaux d’intérêt général institués en peine autonome, c’est-à-dire pas comme une alternative à la prison), le gouvernement actuel n’est pas près de renoncer à l’arme pénale, en élaguant le Code des trop nombreuses incriminations qui y sont assorties de peines de prison.

C’est dans ce contexte délicat que les organisations syndicales ont décidé de relancer l’épreuve de force avec le ministre de la Justice, moins sur les questions initiales de surpopulation et de manque de personnel, que pour obtenir une amélioration du statut (augmentation des primes, réduction du temps de travail…) des surveillants et du personnel administratif et psychosocial. Du coup, les ministres (SP.A) du Budget et de la Fonction publique, Johan Vande Lanotte et Luc Van den Bossche, ont été appelés à la rescousse pour épauler leur collègue Verwilghen, qui rappelle que, sous son mandat, le budget pénitentiaire est passé de 9 milliards à 11,8 milliards de francs. Avec une prédilection marquée pour les « briques » et la technologie, au détriment, peut-être, des hommes et des femmes qui vivent ou travaillent en prison.

Marie-Cécile Royen et Thierry Denoël

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