© PHOTOS : LATOYA RUBY FRAZIER DE LA SÉRIE ET DES TERRILS UN ARBRE S'ÉLÈVERA, 2016-2017/COLLECTION MAC'S

Prise de terre

Invitée au MAC’s, LaToya Ruby Frazier expose ses images du Borinage. Un travail de mémoire influencé par la photographie sociodocumentaire américaine.

Les visages de Silvio, Emile, Jean-Claude et Antonio ouvrent sobrement l’exposition. Habitants à Flénu, dans le Borinage, ils sont juxtaposés côte à côte, et complétés par un souvenir, le plus souvent douloureux, de leur passé de mineurs de fond. On retrouve le quatuor à la fin du parcours dans le jardin d’Antonio : les visages sont tout aussi fermés, mais les bras dessus, bras dessous. Manifestement la vie n’a pas été rose pour eux, comme pour tous ces autres Borains -Ali, Maria, Béatrice, Marianne, Giovanni, Peppinu et bien d’autres – dont la photographe américaine LaToya Ruby Frazier dresse le portrait dans Et des terrils un arbre s’élèvera. Un regard qui vient de loin : l’exposition est le fruit d’une récente résidence de plusieurs semaines effectuée l’année dernière dans la région par la photographe sur l’invitation du MAC’s.

On ne peut apprécier le travail de Frazier sur le Borinage sans connaître ses travaux antérieurs, notamment ceux qu’elle a réalisés dans sa ville natale de Braddock, en Pennsylvanie. Un épisode américain, The Notion of Family, qui constitue heureusement la première partie de l’exposition. Née en 1982, LaToya Ruby Frazier a été confrontée, comme sa famille, à la crise économique des années 1980 qui a ruiné tout un pan de l’économie de la région. Son travail sur place est à double lecture : les clichés de ses proches et de ses amis, issus de la communauté afro-américaine, comme ceux des paysages urbains dévastés, se suffisent à eux-mêmes et n’ont guère besoin de commentaires. Chacun d’eux suinte la difficulté des conditions de vie et la détérioration de l’environnement.

Geste d’écriture

C’est cette double approche, humaine et paysagère, que l’on retrouve donc dans sa série consacrée au Borinage. Frazier ne s’est pas contentée d’en sublimer les paysages industriels ou urbanisés ; son sens inégalé du cadrage et de la perspective octroie d’ores et déjà à ses images le statut d’une mémoire. Sans doute est-ce en partie dû au fait de son extériorité, et d’un regard entièrement libre et non connoté qu’elle porte.

Héritière des Walker Evans, Dorothea Lange ou encore Gordon Parks, Frazier approche la photo en archiviste de la réalité. Elle a passé beaucoup de temps avec les anciens mineurs et leurs épouses à évoquer leurs souvenirs du travail dans la mine, une aventure professionnelle certes terrible mais qui tisse des liens indéfectibles entre ses protagonistes. La nostalgie des racines majoritairement italiennes pour les uns, turques pour les autres, reste vivace. Ils sont les survivants d’une époque et d’un secteur de travail – l’exploitation minière – qui, le temps aidant, apparaîtront bientôt aussi brefs que révolus. Le risque ? Que leurs figures disparaissent avec eux, comme ce fut le cas avec nombre de leurs sites de travail dont ne restent finalement que les terrils qui, eux, marquent durablement le paysage. C’est là qu’intervient le travail de Frazier. Au Grand-Hornu, les portraits sont explicités par les souvenirs égrenés par les anciens mineurs, tracés par une belle écriture homogène d’une séquence à l’autre : celle de l’artiste elle-même, anglophone qui s’est fait dicter leurs paroles en français. On sent dans ce geste d’écriture singulier et quelque peu maladroit le prolongement de la sensibilité qui affleure des images. Une façon d’opérer qui témoigne à n’en pas douter de l’intimité et de la confiance que Frazier a su gagner auprès des Borains.

Et des terrils un arbre s’élèvera, au MAC’s (site du Grand-Hornu), à Hornu, jusqu’au 21 mai prochain. www.mac-s.be

PAR BERNARD MARCELIS

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