Principe de précaution, piège à c…

Il suffit désormais qu’un accident se produise ici ou là, sur terre ou en mer, grave ou bénin, exceptionnel ou chronique, naturel ou artificiel pour entendre tel ou tel responsable politique déclarer toujours avec solennité :  » Au nom du principe de précaution… » Car nous vivons désormais sous la dictature d’un nouveau principe. Après le principe de l’action et de la réaction, le principe d’équilibre, le principe d’harmonie, le principe d’Archimède, voici le principe de précaution.

Le mot  » principe  » donne une connotation scientifique et rationnelle à des attitudes qui sont ascientifiques et totalement irrationnelles. Celle-ci leur assure à coup sûr une approbation médiatique protectrice, souvent enthousiaste, qui transforme progressivement un pays qui se réclame du cartésianisme en patrie de l’absurdité paralysante !

Arrêtons les dégâts ! La précaution est une attitude, pas un principe. Aucun principe de précaution ne peut justifier l’inaction et encore moins la manipulation de milliers de citoyens, au moyen de la psychose collective.

On ne le répétera jamais assez : le risque zéro n’existe pas, ou plutôt il n’existe qu’après la mort pour un individu comme pour une société. Le dynamisme, l’essor, la vie, c’est le risque. Les pays asiatiques, menacés pourtant par les volcans, les séismes et les cyclones, sont économiquement les plus dynamiques. La menace du Big One ne paralyse pas la baie de San Francisco, elle la dope !

Une société qui ne se préoccupe que de se protéger contre les risques est une société tournée vers le déclin et une mortelle paralysie. L’Etat ne sera jamais un assureur contre la mort !

S’il est toujours  » difficile de prévoir, surtout l’avenir « , comme disait le grand physicien danois Niels Bohr, c’est encore plus difficile lorsque la science est elle-même incertaine. Il est possible, en revanche, de prévenir.

Nous gagnerions beaucoup à substituer au principe de paralysie le  » principe de prévention « . A la réaction affolée à court terme, la gouvernance du long terme.

Faire de la prévention, c’est par exemple installer un dispositif de surveillance à l’aide de satellites ou de ballons afin de détecter les largages sauvages d’huiles polluantes des navires, déceler le démarrage des feux de forêt nocturnes, développer un bateau-pompe permettant de vidanger en toute sécurité et rapidement tout pétrolier en difficulté, etc.

Au nom du principe de prévention, il faut interdire les farines animales pour les herbivores, bovins et ovins, mais aussi pour les truites, les saumons, les poulets, les lapins… Et le plus rapidement possible. Un herbivore ne peut pas être transformé en carnivore sans risque, car son système immunitaire est trop primitif pour arrêter la propagation des infections. C’est un principe général, et non pas lié à l’épidémie de la vache folle. C’est une prévention essentielle.

C’est vrai, aujourd’hui, comme ça l’était il y a cinq ou six ans, lorsque l’on dénonçait le caractère dangereux de ces farines. Si cette décision avait été prise à cette époque, le cheptel européen serait aujourd’hui plus sain. Le principe de prévention, c’est aussi éviter de donner de fausses garanties à la population. Scientifiquement, rien ne justifie qu’on abatte un troupeau lorsqu’une bête est malade de l’ESB. C’est ruiner certains éleveurs pour rien. Rien ne justifie non plus d’interdire la viande dans les cantines scolaires : cette panique n’est fondée sur aucune donnée sérieuse. En termes de probabilité, si l’on veut sauver plus de vies d’enfants, il est préférable de leur interdire de traverser les rues !

Par ailleurs, il n’y a pas de décision de prévention ou de précaution sans une analyse économique sérieuse. Chaque précaution a un coût, chaque décision a des conséquences économiques, à la fois en termes financiers et d’emplois. Il faut les évaluer, les afficher, les assumer.  » La vie humaine n’a pas de prix ?  » Calembredaine ! Si c’était le cas, on interdirait l’usage de la voiture le week-end, les randonnées en montagne ou la consommation de fruits exotiques, car ils peuvent être vecteurs de maladies voyageuses, ou encore certaines conditions de travail trop dangereuses ou usantes pour les travailleurs.

Nous devons recouvrer notre sérénité face à une menace qui n’en est pas une.

Nous devons aussi nous prémunir contre les futures psychoses collectives. Nous devons comprendre que l’on ne peut gouverner des sociétés où la science prend de plus en plus d’importance avec des décideurs qui ne savent rien de la science, de ses certitudes et de ses incertitudes. Comme le craignait Condorcet, nous risquons d’entrer dans le règne des experts et la dictature de l’ignorance : la démarche scientifique est plus que le simple bon sens, et le raisonnement du juste milieu ne s’y applique que rarement !

par Claude Allègre, ancien ministre français de l’Education

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire