Présidents et courtisans

Les hôtes de l’Elysée n’ont pas tous sacrifié à l' » esprit de cour « , juge Villepin. Florilège.

Giscard : le début de la fin

Pour rester sur la matrice qui nous occupe, je ne peux que constater à quel point sa présidence – on a envie d’écrire son règne – évoque l’Ancien Régime dans le sens péjoratif du terme. Par son histoire personnelle et familiale, Valéry Giscard d’Estaing incarne la fascination de la grande bourgeoisie pour la noblesse ancienne, fascination à laquelle, comme Jacques Chirac, j’ai toujours été étranger pour ne pas dire hostile. Par son langage, son attitude et sa diction, qui fera la joie des chansonniers, le nouveau président ne manque pas d’étonner quand il n’irrite pas en confondant le fait d’être hautain avec la hauteur et la prestance avec le snobisme. Beaucoup critiqueront son admiration pour la personne et le règne de Louis XV, révélant en creux un narcissisme contraire à la modernité qu’il prétendait incarner.

Sa présidence est également passée à la postérité par son observation sourcilleuse d’un protocole qui l’amenait, par exemple, à se faire servir avant certains de ses hôtes, choquant à juste titre ses visiteurs et nous couvrant, à travers lui, de ridicule. Le constat est d’autant plus accablant que cette mise en scène d’un autre âge voisine avec une volonté criarde de proximité qu’illustrent les  » dîners  » chez les Français ou l’invitation à petit-déjeuner des éboueurs, sans oublier, bien sûr, les solos d’accordéon. On assiste en réalité au spectacle malsain d’un pouvoir qui croit devenir populaire en  » faisant peuple  » et tente de compenser par la mise en scène de l’image son déficit d’imaginaire. Valéry Giscard d’Estaing a pu souffrir de l’obsession de sa place dans l’Histoire, au mépris de la prise en compte de la psychologie des hommes. Toujours désireux de tutoyer les sommets, l’homme qui avait côtoyé le général de Gaulle ne mesurait peut-être pas suffisamment combien nous avions changé d’époque, dans un temps où un homme ne pouvait plus à lui seul prétendre faire l’Histoire, sans paraître coupé des réalités.

Chirac ou l’anticour

Pour les élites politiques, économiques, administratives, médiatiques et intellectuelles qui avaient choisi Edouard Balladur, l’élection de Jacques Chirac résonne comme un coup de tonnerre. C’est en cela qu’elle marque une rupture avec la dérive de la Ve République depuis 1965. Pour la première fois, un président de la République est élu contre les avis et les pronostics quasi unanimes du système. Le choc est d’autant plus rude que le nouvel élu n’a jamais respecté les codes.  » La courtisanerie, dit-il, c’est comme la mauvaise herbe, elle se fauche.  » A l’esprit de cour Jacques Chirac avait ses antidotes personnels. Dès qu’il sentait approcher le cynisme, la flatterie ou le jargon de la technocratie, il inventait tantôt un légendaire instituteur de Corrèze qui, prétendait-il, lui avait ouvert les yeux sur des projets fumeux, tantôt un maire d’un petit village au solide bon sens. Ou alors il en appelait aux mânes du père Queuille, incarnation du radicalisme d’une IIIe et d’une IVe République les deux pieds sur terre. Quand je l’entendais invoquer ces figures tutélaires, je savais qu’il resterait campé sur ses convictions. [à].

Ce fut du secrétariat général à la présidence que je découvris le rapport trouble que l’ensemble des élites entretient avec le pouvoir. Il était d’autant plus curieux à observer que Jacques Chirac souffrait d’un excès d’isolement et que j’essayais, avec d’autres, de nous frayer un chemin en cherchant de nouveaux appuis parmi les intellectuels, les politiques, les industriels, et même au sein de l’Etat. Je fus notamment frappé par le fatalisme que je rencontrai chez la plupart de mes interlocuteurs qui prenaient mon impatience pour un dérèglement de la raison et ne tardèrent pas à me faire passer pour une sorte de barde illuminé, dépourvu de sens politique. Ce constat était parfois même relayé au sein de la maison Elysée, où je ne comptais pas que des amis et où ma détermination et ma loyauté envers le président de la République me valurent le surnom de  » phalangiste « .

Sarkozy : le premier des courtisans

La rupture, c’est une revanche, que traduisent le désir de la transgression et le goût de la surenchère. Il faut que la victoire soit totale, que le vaincu se soumette. Revanche personnelle, mais aussi revanche contre l’histoire de France, contre tout ce qu’elle porte. Rien n’est épargné par ses attaques : le modèle social né de la Libération, l’Etat, qui a construit la nation, les principes républicains. Le sarkozysme représente la France vue d’en haut, du point de vue d’élites qui voudraient refaire la nation à leur image, ou plutôt à l’image de leurs intérêts. C’est ainsi qu’il apparaît dans la campagne de 2007, brillamment orchestrée, en condottiere néoconservateur. Il passe de la théorie à la pratique l’année suivante. Lorsque, à Saint-Jean-de-Latran, il évoque avec la laïcité positive le rôle du curé, plus important que celui de l’instituteur. Lorsque, à Dakar, il moque l’homme africain, qui n’est pas entré dans l’Histoire. Lorsqu’il décide le retour dans le commandement intégré de l’Otan, comme si c’était une façon de nous mettre à l’heure du monde. Lorsqu’il défie les principes de notre droit : proportionnalité des peines, non-rétroactivité, responsabilité individuelle, égalité des citoyens devant la loi.

Mais il y a une seconde dimension, présente dès le départ et révélée aux yeux de tous après la crise économique, qui invalidait en fait toutes les hypothèses de 2007. Désormais, il privilégie l’instrumentalisation des peurs et érige la division en méthode à travers l’activation des clivages idéologiques, la stigmatisation des immigrés ou de l’islam et la recherche de boucs émissaires. Cette vindicte masque une approche utilitaire et opportuniste de la politique, qui, conformément à l’esprit de cour, juge d’une action en fonction de son intérêt immédiat et de son apport tactique. L’ouverture gouvernementale va dans ce sens, de même que les provocations et les formules chocs telles que le  » Kärcher  » ou la  » racaille « . Il en va de même pour la récupération de l’Histoire à l’école, avec la lecture annuelle de la lettre de Guy Môquet. Pour la première fois, le pouvoir se confond avec la cour. Mieux, le pouvoir se fait cour. Voilà le paradoxe. Nicolas Sarkozy n’est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s’épuise dans l’art de séduire l’opinion, qu’il a érigée en nouveau souverain en lieu et place du peuple. Je n’oublie pas la confidence de Nicolas Sarkozy, à Matignon, au matin du second tour, alors qu’il me présentait la composition de son gouvernement. Lui faisant savoir une nouvelle fois ma vive opposition à la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, il ne me cacha pas qu’il avait bien pensé y renoncer, mais que ses spécialistes des sondages lui avaient fait valoir qu’il perdrait immédiatement les nombreux points et soutiens qu’il avait gagnés pendant la campagne avec cette promesse. Comme toujours avec le nouveau président, ce comportement traduit une sincérité certaine. L’homme n’a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu’il est. Il s’est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c’est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l’Histoire. Il déteste la retenue inhérente aux élites traditionnelles, dont il fustige depuis longtemps l’hypocrisie et la ringardise. L’homme martèle qu’il a tout conquis, sans que jamais rien lui fût donné, et pense que derrière chaque Français il y a un entrepreneur qui sommeille. C’est oublier que le pouvoir suprême oblige à la hauteur et à l’exemplarité pour espérer commander le respect. Aux antipodes de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a d’abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement. Il l’a également rabaissée par ses dérapages verbaux, sur lesquels je ne m’appesantirai pas, pas plus que sur l’étalage de sa vie privée, justement parce qu’elle doit rester privée. [à].

Enfin, l’hyperprésidence a poussé au paroxysme les pratiques de cour. A défaut de réellement réformer, Nicolas Sarkozy s’est replié sur son pouvoir symbolique, croyant que plus une cour est voyante, plus le pouvoir de son prince doit être grand. Il a fait ainsi prospérer une cour invraisemblable de perroquets apeurés distillant en boucle les mêmes éléments de langage, de flatteurs impénitents, de roseaux plus penchés que pensants qui ne vivent qu’à travers le regard du prince. On retient, entre mille autres, les images cruelles de ces querelles de préséances ridicules de tel ou tel ministre pour monter dans un carrosse royal en Angleterre ou pour entrer avec le président à la Maison-Blanche.

Par ailleurs, le pouvoir veut régner par la crainte et faire des exemples pour empêcher des défections éventuelles. Dans cette lignée, il renoue d’abord avec la faveur du prince, en usant et abusant de son pouvoir de nomination. Celle du président de France Télévisions s’inscrit dans cette optique, de même que la valse des préfets qui ont déplu pour ne pas avoir érigé de village Potemkine à ses passages en province, de même encore que les rapports avec les ministres d’ouverture, choisis non pour faire la politique de leurs idées, mais pour défendre les idées de sa politique. On le voit tour à tour élever et disgracier certains de ses ministres, l’une se retrouvant au ban du régime après en avoir été l’étoile, l’autre promu de ministère en ministère, chiffon rouge montré à la gauche qu’il a quittée. Cet autoritarisme ne manque pas, comme toujours, de susciter la peur et de provoquer en retour la servilité de ceux qui espèrent se sauver en multipliant les louanges dans des termes que l’on croyait révolus depuis Napoléon. Signe des régimes en déclin, l’ensemble de ces pratiques installe un climat détestable et l’on assiste dans les allées du pouvoir à la multiplication des coups bas et des règlements de comptes. Combien de hauts fonctionnaires m’ont fait part de leur tristesse et de leur indignation devant un spectacle digne de la cour du roi Pétaud.

Transgression aussi que l’omniprésence du fait du Prince.  » Si veut le roi, si fait la loi.  » Ainsi s’octroie-t-il, à peine arrivé, plus qu’un doublement de sa rémunération à l’heure du pouvoir d’achat en berne. Mais ce n’est rien comparé à l’impression d’apanage héréditaire lorsque son fils est pressenti à la tête de l’établissement public de la Défense dans son ancien fief des Hauts-de-Seine.

Enfin, le goût de la familiarité complète le décor. L’exposition de sa vie privée, la multiplication de saillies intempestives : autant d’éléments qui favorisent l’abaissement de la fonction. Nicolas Sarkozy a innové en inventant une cour à son image. Elle a la peur comme moyen, l’argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique. La politique n’y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l’on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l’intérêt du moment. L’affaire Bettencourt est à cet égard l’emblème d’une confusion et d’une consanguinité des intérêts publics et privés. Son feuilleton laisse entrevoir un monde caché, avec ses codes, ses hochets et ses secrets, un monde fait de petits arrangements et de renvois d’ascenseur. Elle dévoile, en un mot, une cour clandestine. l

 » Le sarkozysme privilégie l’instrumentalisation des peurs et érige la division en méthode  »  » Nicolas Sarkozy a fait prospérer une cour invraisemblable de perroquets apeurés « 

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