Préparons enfin l’avenir

Un curieux hasard du calendrier a fait coïncider l’adoption par l’Europe du protocole de Kyoto et le vote de la sortie du nucléaire en Belgique. L’opinion publique apprenait ainsi que la Belgique allait devoir réduire ses émissions de gaz à effet de serre et se passer à terme d’une source d’énergie qui n’en produirait pas! Le nucléaire à la rescousse de Kyoto ? C’est malheureusement trop beau pour être vrai. La Belgique est aujourd’hui championne de l’atome (après la France) ET partage avec le Luxembourg le record européen des émissions de gaz à effet de serre par habitant. Si l’atome pouvait sauver le climat, il est ridicule d’avoir attendu qu’il soit trop tard pour le prouver…

Il est naïf et dangereux de s’alarmer de la fermeture des centrales. Toute usine doit rendre un jour ou l’autre son tablier. Après quarante ans? Un accord conclu avec les électriciens prévoyait une fermeture après trente ans. Le nucléaire s’est vu offrir du bois de rallonge par le gouvernement Verhofstadt. Les centrales belges vont devoir « tenir » une décennie de plus, au risque de voir se multiplier les incidents techniques.

Est-ce qu’Electrabel investit encore dans la sécurité de ses centrales nucléaires ? Dans un marché en cours de libéralisation, de tels investissements risqueraient de nuire à la position concurrentielle…

Les réserves d’uranium ne sont pas éternelles et le coût de son extraction risque de flamber. Impossible, dans ces conditions, de préserver l’indépendance énergétique de la Belgique.

Quant aux déchets radioactifs, inutile de rappeler qu’aucune solution n’est scientifiquement envisageable pour leur stockage pendant les siècles à venir. Le rapport SAFIR-2 récemment publié par l’ONDRAF (organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies) vient de confirmer ce que l’on savait déjà alors que les changements climatiques en cours corsent à leur tour le débat. Dans de telles conditions, qui peut augurer de la stabilité de couches géologiques dans trois cents ans ? Et dans dix mille ans ?

En Europe, des mécanismes pervers se mettent en place. Les nations de l’atome cherchent à exporter leurs déchets. La Russie serait preneuse. Il n’est pas impossible que la Belgique examine à son tour cette piste éthiquement peu recommandable. Sans voir aussi loin, il n’est pas normal d’imposer un tel fardeau aux générations futures. Nous ne gérons tout de même pas les séquelles de la politique énergétique menée à l’époque de la Révolution française! Avec 120 tonnes de déchets hautement radioactifs produites par an, toute prolongation de la durée de vie de nos centrales accroît la charge financière et morale que nous imposons aux enfants de nos enfants.

La décision du gouvernement belge est donc parfaitement « raisonnable ». Malheureusement, c’est la préparation de notre nouveau paysage énergétique qui pose problème. Notre pays ne dispose pas d’instruments adéquats pour évaluer le potentiel de son équipement actuel, extrapoler nos besoins futurs ou anticiper l’onde de choc de la libéralisation du marché de l’électricité. Rien n’est moins vrai ? Il y a quelques mois, la commission Ampere, mandatée pour estimer les options ouvertes dans le secteur de l’électricité à l’horizon 2010, publiait son rapport. Un rapport que Greenpeace a soumis à l’Institut Wuppertal, un bureau d’études allemand spécialiste de l’énergie. Que nous a appris cette évaluation ?

Essentiellement que la méthodologie adoptée par Ampere ne permet pas d’en tirer des conclusions fiables. Les scientifiques du Wuppertal ont aussi repéré quelques « anomalies » dans cette copie attendue qui expliqueraient pourquoi le potentiel de la cogénération (production combinée d’électricité et de chaleur) serait sous-estimé au même titre que celui de l’utilisation rationnelle de l’énergie (URE). Les chiffres étudiés par Ampère sont ceux d’Electrabel, propriétaire de nos centrales… Alors, « scientifique », cette étude ?

Cette perspective tronquée n’est pas sans conséquence. La cogénération est une technique qui couvre environ la moitié de la production électrique des Pays-Bas et du Danemark et apporte à l’Europe 11% de son électricité. Une étude réalisée en 1995 par le Pr Verbruggen, de l’université d’Anvers, démontre qu’un tiers de la consommation actuelle d’électricité pourrait être évité par la mise en place d’une politique volontariste d’investissements en efficacité énergétique.

La Belgique affiche parallèlement un retard considérable quant au développement des énergies renouvelables pourtant techniquement mûres. Le potentiel de l’éolien offshore serait amplement suffisant pour alimenter l’ensemble des pays bordant la mer du Nord. Quant au potentiel du solaire, il ne demande qu’à éclore. Prêchi-prêcha d’écologistes lunatiques ? Nombreux sont ceux qui estiment aujourd’hui que la combinaison « sortie du nucléaire + protocole de Kyoto » constitue pour la Belgique une occasion unique d’inscrire son paysage énergétique dans la perspective d’un marché européen libéralisé tout en lui donnant des contours d’avenir. Et la modernité en matière d’électricité ne peut qu’être une production essentiellement décentralisée (fin de la position dominante de l’atome), diversifiée (cogénération, URE…) et propre (renouvelable).

par Roland Moreau, directeur de Greenpeace.

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