POUVOIR ROYAL : UNE CONSTITUTION À  » NETTOYER  » ?

Près de deux siècles après l’instauration de la monarchie en Belgique, le pouvoir et l’influence du roi ne sont plus ce qu’ils étaient en 1831. Faut-il adapter les textes de la Constitution à la réalité ?

Obsolète, la Constitution belge, dans ce qu’elle dit des pouvoirs royaux ? En bonne partie. Elle indique ainsi que  » le Roi a le droit de battre monnaie  » (art. 112), formule qui n’a plus de sens depuis l’adoption de l’euro. De même, selon l’article 110 :  » Le Roi a le droit de remettre ou de réduire les peines prononcées par les juges.  » En fait, si le chef de l’Etat signe formellement une décision d’octroi de grâce individuelle ou collective, le ministre de la Justice en assume la responsabilité et son administration traite le dossier. Les décisions sur l’exécution des peines d’emprisonnement ne sont d’ailleurs plus concentrées entre les mains du pouvoir exécutif : depuis 2007, les tribunaux de l’application des peines (TAP) sont appelés à statuer. L’aumônier de prison qui, en mai dernier, appelait le roi Philippe à poser un geste fort  » de réparation « , l’octroi d’une remise de peine d’un mois à tous les détenus affectés par la longue grève des gardiens, n’a donc pas frappé à la bonne porte.

L’article 167 aux termes duquel le roi  » commande les forces armées  » est lui aussi périmé depuis des décennies. La volonté de Léopold I er de se mettre à la tête de l’armée a donné un sens particulier à cet article, sens qui n’a existé dans aucune autre monarchie constitutionnelle. Le premier roi des Belges, ancien général dans l’armée russe au temps des guerres napoléoniennes, a commandé l’armée belge aussi longtemps qu’elle est restée impliquée dans les opérations de guerre contre la Hollande. Cela a établi la coutume selon laquelle le souverain assume personnellement ce commandement en temps de guerre. Après Léopold I er, cette tradition a été suivie à trois reprises : en 1870, en 1914-1918 et en 1939-1940.

Déchirements passionnels

Le spectacle du chef de l’Etat conduisant l’armée revêtu de son uniforme de lieutenant général appartient donc au passé. Et pour cause : la crise issue de la capitulation militaire décidée par Léopold III en mai 1940 a provoqué des déchirements passionnels dans l’opinion publique. Depuis le dénouement de la Question royale et l’imbrication du pays dans des systèmes de défense collective (Otan, Eurocorps…), la décision d’engager des troupes ou de les retirer ne revient plus à titre personnel au roi, mais au gouvernement. La marge de manoeuvre de l’équipe de Charles Michel est d’ailleurs elle-même très limitée, comme on l’a vu tout récemment encore : Washington a fait pression sur la Belgique pour que le mandat des F-16 belges engagés depuis le 1er juillet dans la lutte contre Daech soit élargi à la Syrie. Le souverain est donc hors jeu, même si le serment royal comporte toujours la formule :  » Je jure de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire.  »

La Constitution persiste aussi à utiliser l’expression désuète  » le roi et ses ministres « , alors que les ministres sont ceux de la majorité. Faut-il, dès lors,  » toiletter  » ces textes, supprimer ces formules vides de sens ? C’est ce que suggèrent certains partis, la N-VA en tête, mais aussi plusieurs constitutionnalistes flamands et francophones. Jan Velaers, professeur de droit à l’université d’Anvers, déclarait récemment à la Chambre que la Constitution était écrite  » de manière pitoyable « . Pour Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel aux facultés Saint-Louis, il faudrait réécrire tout le titre II consacré aux droits et libertés.

Mais il y a aussi les gardiens du temple, Francis Delperée en tête. Le professeur émérite vante, dans un ouvrage publié le mois dernier et intitulé J’écris ton nom, Constitution, la rigidité qui caractérise la procédure de révision en Belgique. Pour le député fédéral CDH, l’Etat belge et sa Constitution, tous deux en  » perte de sens « , sont plus que jamais les cibles d’un  » tir groupé « .  » A ceux qui appellent à réécrire la Constitution pour y mettre de l’ordre, s’exclame-t-il, je réponds en invoquant le principe de précaution : ne mettons pas un bâton de dynamite entre les mains des nationalistes flamands, bien décidés à casser la baraque !  »

PAR OLIVIER ROGEAU

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