» Pourquoi ne pas remettre le pacte scolaire sur la table ? « 

Le délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, juge les politiques trop mous en matière de réforme scolaire. Il leur propose une pax romana de huit ans. Apparemment, on l’écoute…

Le Vif/L’Express : Vous dénoncez souvent les inégalités à l’école. Des inégalités que tente de réduire le très controversé décret inscription. Une pétition vient de réunir 20 000 signatures contre ce décret. Qu’en pensez-vous ?

Bernard De Vos : Ceux qui se sentent lésés aujourd’hui par ce décret sont plutôt issus de familles aisées qui ont des capacités d’expression et des relais médiatiques que n’ont pas les familles moins aisées dont les enfants étaient très mal inscrits.

Avec le recul, considérez-vous le décret efficace ?

Je pense qu’il y a plus d’enfants bien inscrits qu’auparavant. Mais il n’y a jamais eu d’évaluation du décret. On ne sait pas combien d’enfants à indice socio-économique faible ont poussé la porte des bons établissements avec bonheur, sans ressortir par la fenêtre dès la première année. Cela dit, ce décret n’est qu’une petite pièce d’un puzzle qu’il faut recomposer d’urgence. Car mixer un public hétérogène dans les écoles demande évidemment une évolution des pratiques pédagogiques, une réflexion globale sur l’institution scolaire, une formation adaptée des enseignants…

Certaines mesures ont été prises, notamment pour lutter contre l’échec scolaire. La ministre de l’Enseignement secondaire a tout de même consenti 40 millions d’euros pour la remédiation…

J’applaudis des deux mains. Formidable ! Mais ce n’est rien par rapport aux 400 millions d’euros que représentent les coûts directs du redoublement. Dans un dernier rapport, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vient encore de pointer la Belgique parmi les pays champions en la matière, où le redoublement concerne 30 % des plus de 15 ans. Par ailleurs, on sait que le redoublement est contreproductif. De nombreuses études le montrent.

Alors, quoi ? Les politiques sont-ils trop timorés ? Que proposez-vous ?

Une pax romana de huit ans, après les élections de 2014, avec un projet que les ministres successifs ne pourraient remettre en cause. Soit deux législatures pour tout mettre à plat, pour lever les tabous, pour en finir avec les mesurettes comme le décret inscription. Le problème est qu’on enseigne aujourd’hui comme on enseignait il y a trente ans. Autour de l’école, il y a une série de questions cruciales qui doivent être abordées ensemble. On ne peut mettre fin au redoublement sans réfléchir à la remédiation, aux rythmes scolaires, aux stratégies éducatives plus participatives… Cette remise à neuf globale peut aller jusqu’à se poser la question clé : est-on obligé d’encore dépenser des sommes folles pour organiser différents réseaux d’enseignement ? Pourquoi ne pas remettre le pacte scolaire sur la table ?

Vous risquez de vous heurter à un mur. Tout cela n’est-il pas un voeu chimérique ?

Non. Les pays confrontés à des difficultés analogues et qui ont réussi à réformer leur système éducatif en sont passés par là. C’est le cas de la Finlande, souvent montrée en exemple, qui a notamment mis en place un tronc commun jusqu’à 16 ans, sans distinction entre filières technique et générale. Idem en Allemagne. Chimère ? Je suis conscient que c’est un dossier miné, que l’enseignement est une péniche et que pour en changer la direction ne fût-ce que d’un demi-degré, ce n’est pas simple. Mais j’ai rencontré pas mal de politiques, tous partis confondus, dont des présidents. Ils sont sincèrement ouverts à l’idée de passer de mesures cosmétiques à des mesures structurelles. Aucun ne m’a laissé entendre que j’étais à côté de la plaque en proposant cela.

Concrètement, vous faites quoi ?

Au sein de la délégation, on a mis sur pied, depuis deux ans, un groupe de réflexion avec de grands acteurs du monde scolaire : responsables de syndicats d’enseignants, professeurs d’université, directeurs d’écoles… Ils se rassemblent tous les lundis et travaillent alternativement sur le fondamental et le secondaire pour réfléchir à des pistes très concrètes en matière pédagogique mais aussi d’organisation.

Des exemples de pistes de réflexion ?

Pourquoi continuer à fonctionner avec des établissements impersonnels de 1 000 ou 1 500 élèves, alors qu’on sait qu’au-delà de 300 personnes, les membres d’une communauté ne peuvent se connaître ou se reconnaître ? Ne serait-il pas plus cohérent que les enseignants passent 36 ou 38 heures à l’école, pour favoriser, en-dehors des cours, les contacts avec les parents, qui sont devenus un enjeu terrible aujourd’hui, mais aussi avec les autres enseignants ou les associations qui proposent des projets intéressants ? Pour cela, il faut prévoir des lieux de rencontre dans les écoles et des lieux de travail pour faire à l’école le boulot de préparation et de correction qui est fait aujourd’hui à la maison. Il faut repenser l’organisation. Le groupe de travail réfléchit aussi à la faisabilité des pistes avancées. C’est cela qui est intéressant.

Cela débouchera sur quoi ?

Un rapport fouillé devrait sortir au mois de septembre. Rendez-vous à la rentrée.

ENTRETIEN : THIERRY DENOËL

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