Pourquoi les francophones ont laissé faire

Milquet, Reynders et Di Rupo, otages d’une crise essentiellement flamande ? Malgré ses déchirures internes (lire p. 23), le CD&V reste tout-puissant. Les francophones n’ont pas bougé. Vont-ils laisser filer tous les postes à visibilité internationale ?

Qu’elle est rassurante, la nouvelle photo de famille du gouvernement où le  » sage  » Herman Van Rompuy a pris la place d’Yves Leterme, l’homme aux 800 000 voix flamandes qui doutait de la valeur ajoutée de la Belgique. Les partis francophones soufflent. De ce Leterme, ils ne voulaient plus. Quant à la perspective d’une nouvelle vacance du pouvoir, elle leur faisait peur. Bref, Van Rompuy leur convient. Cela se voit, cela se sent. Ils ont partiellement raison. Le sexagénaire aux fins binocles est un pragmatique, adepte de la politique des petits pas. Avec le nouveau Premier ministre, il n’y aura pas de grand soir communautaire, et les compromis seront préparés dans la discrétion d’un vieux château que le filou saura dénicher. Remember Jean-Luc Dehaene. Pas de pardon pour ceux qui auraient la langue trop bien pendueà De là à dire que tout sera rose ? Les anciens n’ont pu oublier que l’aîné des Van Rompuy était le président du CVP (rebaptisé CD&V) à l’époque où les sociaux-chrétiens flamands formaient un Etat dans l’Etat, contrôlant tous les rouages utiles. Van Rompuy, le citoyen de Rhode-Saint-Genèse, frère d’un député flamand si radical, pour qui la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde ne se discute même pas.

Malgré les déboires de Leterme, malgré l’échec total de sa politique du cartel noué avec les nationalistes de la N-VA, le CD&V a convaincu les conseillers du roi et gardé la main durant ces deux nouvelles semaines de crise. Une crise née dans les cabinets ministériels CD&V (Justice et Premier ministre). Une crise flamande. En tout cas perçue comme telle. Précipitée par un autre parti du Nord, l’Open VLD, trop heureux d’affaiblir l’encombrant partenaire chrétien. Or qu’ont dit les partis francophones de la majorité (MR, CDH et PS) ? Rien. Qu’ont-ils entrepris pour amender les plans de ce CD&V dont la puissance excède largement le poids politique ? Rien. Les francophones ont franchi le gué comme s’ils étaient gênés d’être là. En silence. Passifs. Presque complaisants.

La première raison est connue. Accepter Van Rompuy en évitant de s’écharper sur les mérites et limites des autres candidats au poste a permis aux partis francophones de ne pas raviver le débat sur le non-respect de la séparation des pouvoirs. Et donc de laisser dans l’opinion publique l’idée que ces dérives étaient le fait des Flamands. Particulièrement utile en cas d’élections anticipéesà

Deux : le MR de Didier Reynders n’est pas le PS des Spitaels, Busquin et Di Rupo, avant 2007. Il ne domine pas la famille libérale comme se le permettait, version socialiste, le PS avec le cousin flamand. Après la démission du gouvernement Leterme, les  » bleus  » ont laissé la main, comme on dit dans le jargon. Une erreur magistrale face à l’expérimenté CD&V. Les libéraux du Nord et du Sud sont éreintés par quelques conflits latents. Ni le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht, ni Bart Somers, président de l’Open VLD, ni Didier Reynders ne voulaient voir revenir le populaire Guy Verhofstadt, aux côtés de qui ils auraient fait de la figuration. Quant à l’arrivée de Reynders aux commandes du pays, elle s’est opposée à un  » niet  » catégorique duà PS, soutenu à voix basse par le CDH. Et aucun ténor libéral flamand n’a mouillé sa chemise pour Reynders.

Trois : les silences francophones résultent d’un long processus de neutralisation. Tant le PS que le CDH évitent de faire des vagues d’ici aux élections européennes, régionales et communautaires de juin prochain. Vu le froid polaire qui résume les relations libéraux/socialistes, le PS a arrimé le CDH, partenaire jugé loyal et qui grossit à vue d’£il dans les sondages. Le MR, lui, est en position délicate. Vu son implication dans l’affaire Fortis, aux côtés d’Yves Leterme, Didier Reynders pouvait difficilement se montrer vindicatif au cours de la crise des confiseurs. Soutiendra-t-il longtemps le gouvernement de Herman Van Rompuy ? Ou, au contraire, le chef libéral facilitera-t-il l’organisation d’élections générales, en juin, s’il considère qu’un grand accord peut permettre son retour au pouvoir en Wallonie, en Communauté française et à Bruxelles ?

En attendant, l’assourdissant mutisme des francophones a permis aux lobbyistes flamands de renforcer leurs positions. Un scénario circule depuis plusieurs jours dans les milieux politiques. Karel De Gucht remplacerait le libéral francophone Louis Michel à la Commission européenne, après les élections de juin, et Yves Leterme ferait sa réapparition aux Affaires étrangères. Bernique pour les francophones. Tous les grands postes assurant la représentation du pays à l’étranger leur échapperaient de nouveau.  » Plus jamais ça !  » nous déclare Louis Michel, premier intéressé, premier à rompre le silence.

Philippe Engels

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