Marc Dutroux n'a pas écrit la lettre lui-même. Il l'a juste approuvée. © REPORTERS

Pourquoi Dayez fait-il cela ?

C’est fait, l’avocat de Marc Dutroux a envoyé une lettre aux familles des victimes, au nom de son client. Première étape logique d’une longue procédure. Le contenu de la missive est sans vraie surprise. Analyse.

Bruno Dayez l’avait annoncé dans un entretien accordé au Vif/ L’Express fin mai dernier. Ce 27 août, l’avocat de Marc Dutroux a envoyé au nom de son client une lettre aux victimes et aux familles de victimes du condamné le plus célèbre de Belgique. Ni l’envoi ni le contenu de cette missive ne sont surprenants. Il s’agit plutôt d’une lettre  » d’apaisement et d’ouverture « , comme attendu. Ce n’est pas Dutroux qui s’exprime directement mais son conseil, avec le consentement de son client, dans une formulation et un style propres à l’avocat.

Dayez y explique que ni  » la condamnation implacable  » de Dutroux ni une  » indemnisation éventuelle par la Commission d’aide aux victimes  » ne peuvent  » tenir lieu de réparation « .  » Aussi n’est-il pas absurde de supposer que vous seriez en demande d’autre chose, ajoute le conseil à l’adresse des familles. Dans ce cas, il y a peut-être des initiatives utiles, voire nécessaires à entreprendre, et c’est le motif essentiel de cette lettre.  » Et d’ajouter que Marc Dutroux lui a confirmé qu’il ne cherchera plus jamais à les contacter d’initiative, comme il l’avait fait en 2013 avec Jean-Denis Lejeune dans une lettre de 44 pages où il tentait de se dédouaner de ses crimes, mais qu’il est prêt à leur répondre si elles veulent, elles, l’interpeller.

L’avocat rappelle, toujours sans surprise, que, concernant les chefs desquels il a été condamné, Marc Dutroux en admet beaucoup parmi les plus graves mais en conteste d’autres. Et d’ajouter qu’il  » a, comme la plupart des condamnés, « sa » vérité  » et que, de toute façon, sa responsabilité personnelle demeure accablante car,  » sans son concours, quel qu’en soit le degré « , le calvaire atroce de ses victimes aurait été épargné. La démarche de Dayez est sans équivoque. En préambule, celui-ci explique qu’il s’agit bien, via ce courrier, de remplir des conditions auxquelles est subordonnée toute décision de libération anticipée, notamment celle de l’attitude du condamné à l’égard des victimes.

Pourquoi Dayez fait-il cela ?

Il constate aussi que, durant vingt-deux ans, en raison des caractéristiques de notre système de justice,  » chacun a dû rester emmuré dans sa douleur et son silence « . Il n’imagine évidemment pas que les uns et les autres puissent fraterniser, mais considère que  » l’amorce d’un dialogue, sous quelque forme que ce soit, ne paraît ni exclue ni nocive  » et qu’il serait légitime que les familles exigent des comptes à Dutroux et lui  » intiment de répondre aux questions  » qui seraient demeurées en suspens. Enfin, l’avocat y met les formes, allant jusqu’à dire comprendre que ses prises de position en tant que conseil de Marc Dutroux aient pu les faire souffrir et laisser croire qu’il n’était pas sensible à leur souffrance. Ce qui n’est pas le cas.

Chemin tortueux

Cette lettre est la première étape d’un long processus annoncé. Ni Dayez ni son client ne s’en cachent. L’objectif est d’obtenir, à terme, une libération conditionnelle anticipée. Certains jugeront la démarche cynique. Elle est pourtant logique. Laetitia Delhez, Sabine Dardenne, les Lejeune, les Russo, les Marchal, les Lambrecks ne sont pas les premières victimes ou familles de victimes à recevoir une lettre de leur bourreau (ou de son avocat). La différence, ici, est qu’il s’agit de Marc Dutroux, le détenu le plus médiatisé du pays. En juillet 2017, Bruno Dayez avait déclaré se donner quatre ans pour faire libérer son client. Il respecte son engagement, conformément aux règles d’un Etat de droit qui prévoit ce genre de procédure pour les condamnés.

Bruno Dayez persiste et signe.
Bruno Dayez persiste et signe.© DEBBY TERMONIA

Arrivera-t-il à ses fins ? On peut en douter. Le chemin tortueux de la libération conditionnelle est encore long, très long. Avant de se présenter devant le tribunal d’application des peines (TAP) qui prendra la décision, le condamné doit préparer un plan de reclassement et faire l’objet d’un rapport, pour le moins favorable, du service psychosocial de l’établissement où il est incarcéré. La direction de la prison a également son mot à dire puisqu’elle doit remettre au TAP un avis, souvent pris en compte. Enfin, le détenu qui introduit la demande doit avoir bénéficié de congés pénitentiaires avant toute libération conditionnelle.

On est loin du compte, sans oublier que Dutroux fait l’objet d’une mise à disposition du TAP. Il s’agit d’une peine complémentaire qui peut s’ajouter à la peine principale. Cette mesure permet de maintenir en détention certains condamnés, jugés menaçants pour la société, alors qu’ils ont purgé l’entièreté de leur peine. Le tribunal décide souverainement. Il peut prolonger la peine d’un an et renouveler la mesure avant l’expiration de ce délai.

Pas de remords exprimés

Par ailleurs, de la lettre envoyée par Bruno Dayez aux victimes, on comprend que la tâche de l’avocat avec son client s’avère compliquée : ce courrier reste, malgré tout, flou sur les responsabilités que Dutroux s’attribue. Et il n’y est pas question, à ce stade, de véritables remords. Dayez spécifie juste :  » Que M. Dutroux puisse exprimer ses regrets en vous avouant directement ses torts propres est, à mon sens, bénéfique à tous.  » C’est maigre. Surtout, le plus révélateur : la missive est écrite par l’avocat lui-même et non par son client dont le discours serait sans doute inaudible. Pour déterminer si celui-ci a changé, le tribunal d’application des peines sera forcément sensible à tous ces éléments qui démontrent l’ampleur du défi qui reste à relever par Me Dayez.

Un défi qui, rappelons-le, est légitime. L’avocat ne fait que représenter son client qui, comme tout justiciable, a le droit d’être défendu, même s’il s’appelle Marc Dutroux. On ne peut le reprocher ni à l’un ni à l’autre, à moins de remettre en cause nos règles démocratiques. Si ce n’était pas Bruno Dayez, ce serait un autre… Néanmoins, l’avocat bruxellois a décidé d’utiliser le cas extrême de Dutroux pour forcer un débat sur les failles du système pénal et carcéral, d’ailleurs dénoncées par de nombreux observateurs du système judiciaire. Un débat qui lui tient à coeur depuis des décennies. Il s’en est expliqué dans un livre, Pourquoi libérer Dutroux ? (éd. Samsa), présenté dans Le Vif/L’Express du 15 février 2018. Le choix de porter le débat de cette manière polémique est-il judicieux ? Il y a les  » pour  » et les  » contre « . L’entreprise de Dayez est très controversée. Cela participe aussi du fonctionnement normal d’une démocratie et ne justifie certainement pas les injures et menaces, nombreuses, dont l’avocat fait l’objet. Son profil Facebook est toujours régulièrement alimenté de commentaires patriculièrement virulents et nauséabonds.

Légitime. Jean-Denis Lejeune veut que les tueurs d'enfants ne sortent jamais de prison.
Légitime. Jean-Denis Lejeune veut que les tueurs d’enfants ne sortent jamais de prison.© DIRK WAEM/BELGAIMAGE

Perpétuité, l’autre débat

De son côté, Jean-Denis, le père de Julie Lejeune, prône, lui, un changement législatif pour qu’une perpétuité réelle soit appliquée aux tueurs d’enfants, ce qui, pour certains, serait une manière de rétablir la peine de mort telle qu’elle était appliquée avant son abolition en 1996. A-t-il raison ? A-t-il tort ? Ce débat-là aussi est légitime et devrait être, il est grand temps, mené sereinement. Nous l’avons déjà évoqué ( Le Vif/L’Express du 29 mars 2018) en nous interrogeant sur le sort judiciaire qu’il faut réserver aux psychopathes.

Mais – on le voit dans les réactions violentes provoquées par la démarche de Dayez – le nom de Dutroux suscite toujours énormément d’émotion au sein de l’opinion. Aux yeux de la plupart des Belges, il n’est pas un condamné comme les autres. C’est le  » monstre  » de Marcinelle. Il reste un tabou. C’est aussi cela que son avocat tente de changer. En vain, pour l’instant. De leur côté, les politiques ne semblent pas non plus enclins à mettre ces sujets sur la table. Quoi qu’il en soit, l’avocat bruxellois continuera son chemin. La prochaine étape sera d’évaluer la dangerosité de Marc Dutroux, aujourd’hui sexagénaire, avant d’aborder son éventuel reclassement, en cas de libération.

Bruno Dayez prépare également un autre livre, consacré à la justice réparatrice, un thème qu’il aborde dans la lettre envoyée aux victimes et familles des victimes, en expliquant :  » Si la justice pénale belge assume tant bien que mal deux des trois fonctions pour lesquelles elle est officiellement instituée (à savoir punir et mettre hors d’état de nuire), force est de constater qu’elle faillit gravement à sa troisième mission qui est de « réparer ».  »

Encore un chantier essentiel et louable. Mais parviendra-t-il à l’imposer via le cas Dutroux ?

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